Après le déchaînement des critiques qui se sont abattues sur
Zola dès la publication du quinzième volume des Rougon-Macquart La Terre, il décide d'écrire un livre dans lequel les lecteurs ne le reconnaîtront pas. Un roman qui ne choquera personne, y compris les jeunes filles innocentes. Un roman qui laissera couler une idylle, sans aucune violence décrétée ordurière par ses détracteurs. Il laisse donc de côté la réalité crue du Second Empire, et nous offre une petite part de rêve, un petit moment imaginaire baignant dans la pureté, dans le sentimentalisme et dans des légendes religieuses, source indispensable du miracle.
La date, le lieu renvoient dès les premiers mots à une ambiance religieuse dans laquelle
Zola nous englue assurément. Il nous tire les larmes en ce petit matin de Noël avec cette enfant de neuf ans qui grelotte sous ses haillons, tentant de se protéger de la neige derrière un pilier dans le renfoncement de la porte Sainte-Agnès de la cathédrale de Beaumont-l'Église.
D'une étroite bâtisse accolée à cette cathédrale, un gentil couple de brodeurs la prend en pitié et la recueille pour en faire leur apprentie avant de l'adopter définitivement puisqu'elle a été abandonnée à l'Assistance Publique. La violence du monde, dont
Zola ne peut se défaire complètement, figurera ici dans le passé d'Angélique et il n'en sera plus question après les quelques informations qu'elle délivrera rapidement aux Hubert. Et pour figurer dans le cycle des Rougon-Macquart avec l'hérédité qui coule dans les veines de cette vaste famille, l'auteur prête à Angélique des réactions orgueilleuses et coléreuses, pleines de passion excessive mais vite suivies de larmes de remords et de regrets. Un foyer aimant dans ce petit coin béni fera-t-il taire les tares héréditaires ?
Pour Hubertine, sa mère adoptive, le respect et l'obéissance doivent éloigner d'elle ce penchant fougueux et passionné et elle doit y veiller. Angélique grandit donc cloîtrée dans cette maison, à l'ombre de la cathédrale, sans jamais s'éloigner de ce petit bout de ville exhalant son souffle religieux.
Zola lui donne alors « une vie de soumission, de pureté et de croyance » accentuée par la lecture de la Légende dorée, ses belles gravures et son monde de bondieuseries dont elle s'émerveille et se passionne.
J'admire habituellement les capacités de l'auteur à s'emparer d'un sujet et à l'exploiter sous tous les angles mais là, les éléments qu'il a puisés dans ce livre très ancien m'ont fait bailler d'ennui. Trop de martyrs, de saints qui se bataillent contre les diables, de supplices et tortures dont ils ressortent triomphants et grandis, trop de passages assommants en vieux français…
Plus ancré dans le réel, j'ai préféré le vocabulaire propre au métier de chasublier qui défile à la façon « zoliesque». Les ors et les soies, en longues aiguillées, se brodent sur les tissus des chasubles et Angélique y dépose sa passion et excelle dans ses ouvrages. Et, bien mieux que n'importe quelle appréciation posée sur le talent de l'auteur à faire vivre la cathédrale, je préfère vous en donner ce bel exemple « Des plantes, toute une flore, les lichens, les graminées qui poussent aux fentes des murailles, animaient les vieilles pierres du sourd travail de leurs racines. » Il fait donc vibrer ici cet édifice religieux, lui donnant une place centrale dans cette part de rêve.
Zola porte un accent particulier sur le symbole de pureté qu'amène la couleur blanche et y revient régulièrement avec les murs à la chaux de la chambre d'Angélique, avec les morceaux de tissus qu'elle dérobe enfant, avec la blancheur du linge d'où émergera l'idylle avec Félicien pour enfin sortir du rêve de la jeune fille qui espère son prince charmant.
Zola s'essaierait-il au conte de fées ?
Dans un étourdissement de sainteté, de cantiques, de processions, d'encensoirs, ce n'est pas un souffle mystique qu'il fait défiler mais une réelle tempête religieuse qui peut plaire ou agacer…
Angélique n'est pas sans nous rappeler Albine de la Faute de l'abbé Mouret. Elle est l'image même de la vertu, de l'ignorance, de la naïveté et toutes deux vivront un amour ardent.
Mais les miracles existent-ils en dehors du livre des légendes ?
Le Rêve, parenthèse purement romantique et religieuse, répond tout à fait à la mise au placard de toutes les indécences, violences, hypocrisies que
Zola développe énergiquement dans ses autres romans. C'est peut-être pour cette raison qu'il paraît bien fade et que j'ai apprécié son petit nombre de pages, il n'aurait pas fallu que
Zola s'éternise davantage sur cette « vie telle qu'elle n'est pas, telle qu'on la rêve.»