Qui est l'auteur de cette chronique écrite en latin et ici traduite et accompagnée d'un précieux appareil de notes par Colette Beaune ? On dit que c'est la Chronique de Jean de Venette par convention ou facilité. On n'en est pas sûr. Aussi les historiens, devenus prudents, préfèrent souvent dire qu'il s'agit de la Chronique du Carme de la place Maubert, car il est certain au moins que cet auteur appartenait à cet Ordre religieux et qu'il vivait dans cette enceinte conventuelle.
De certains faits qu'il rapporte, il semble bien avoir été le témoin, et je pense en particulier au rassemblement qui eut lieu le matin du 22 février 1358 à l'invitation du Prévôt des marchands, Étienne Marcel, juste avant l'invasion du Palais de la Cité par des émeutiers armés et la tête couverte de chaperons mi-bleus mi-rouges, aux couleurs de Paris, et avant qu'ils n'abattent sous les yeux du Dauphin (notre futur Charles V le Sage), terrorisé, ses conseillers militaires, les maréchaux de Champagne et de Normandie. le Dauphin, lieutenant du roi, fut à peine rassuré et pris sous la protection personnelle du Prévôt des marchands. le détail intéressant est que cet épisode précède chronologiquement le meurtre de Regnaud d'Acy, négociateur, au nom de Jean le Bon prisonnier des Anglais après la bataille de Poitiers-Nouaillé-Maupertuis, d'un traité de paix avec le roi d'Angleterre Édouard III. Dans d'autres chroniques, l'ordre des meurtres est inversé. Et cela a son importance, car on devine que c'est cette chronique moins connue que les Grandes chroniques de France qui nous dit la vérité en certaines occasion, chaque fois du moins que son rédacteur rend compte de ce qu'il a vu et entendu ; à partir de là, l'historien peut plus facilement bâtir son récit en s'appuyant sur ce texte plutôt que sur des témoignages indirects ou retravaillés pour donner des faits une vision quelque peu déformée.
Reste que l'auteur oublie en même temps de donner des précisions qui pourraient être utiles.
Mais cette chronique complète utilement les autres chroniques du XIVème siècle. Et elle est indispensable aux historiens qui travaillent sur cette période.
Saluons le travail accompli par Colette Beaune avec la traduction en français de cette chronique publiée dans la collection Lettres gothiques dirigée par Michel Zink, car elle met ainsi ce texte à la portée de tout le monde.
François Sarindar, auteur de : Jeanne d'Arc, une mission inachevée
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Cette chronique dresse un portrait assez global de la France dans la guerre de Cent Ans (dont l'origine fut la prétention au trône de France d'Édouard III).
Il est important de noter que l'original de cette chronique a été perdu. Les historiens estiment donc qu'il s'agirait davantage d'un récit écrit en plusieurs temps par plusieurs personnes, et ayant fait l'objet de plusieurs retranscriptions.
La période traitée par l'auteur est, à mon goût, l'une des plus intéressantes de l'histoire de France durant le Moyen Age.
Au milieu du XIVe siècle, on se situe dans une phase difficile pour le royaume de France, qui subit alors de lourdes pertes (défaites militaires, pillages, épidémies, famines…).
Jean de Venette peint un paysage difficile de son temps, en faisant une analyse à la fois politique, économique et sociale du pays.
Mais ce qui est intéressant, c'est qu'à travers ces aspects négatifs (car la mort est présente partout dans son récit) on perçoit l'émergence d'une monarchie royale : avec la mise en place d'un impôt régulier, les tentatives d'élaboration d'armées par contrats (et non plus par levées féodales), et d'une certaine manière le développement d'un sentiment national résultant de l'antagonisme entre les Français et les Anglais dans cette guerre, on constate les prémices des évolutions de l'époque moderne.
C'est un récit très intéressant à lire, pour toute personne qui s'intéresse de près ou de loin au Moyen Age.
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Quand cessa cette épidémie, peste et mortalité, tous ceux qui avaient survécu, hommes et femmes, se remarièrent les uns aux autres. Les épouses conçurent plus d'enfants que d'ordinaire.
[...] Peut-on penser que par une telle mortalité, qui tua un nombre infini d'hommes à qui succédèrent d'autres hommes, le monde et le siècle étaient renouvelés ? Qu'il y avait en quelque sorte un nouvel âge ? Mais, hélas ! De cette rénovation du siècle, le monde ne sortit pas meilleur, mais pire. En effet, les hommes furent ensuite d'autant plus avides et avares qu'ils possédaient plus de biens qu'auparavant. Ils furent aussi plus cupides et s'en prirent les uns aux autres.
Chronique de l'année 1348 [du 20 avril 1348 au 11 avril 1349]
Sous couleur de défendre le pays et de repousser les ennemis, les seigneurs levaient des tailles et des impôts énormes, sans compter les taxes lourdes et inaccoutumées sur le vin et les autres marchandises. En ce temps-là, tout le peuple, tant en ville qu'à l'extérieur dans le plat pays, était opprimé aussi bien par ses amis et protecteurs que par ses ennemis.
Chronique de l'année 1363 (du 2 avril 1363 au 20 mars 1364), p.261.