Olivia Billington

Je n’ai pas l’énergie pour danser, la tristesse trouve toujours le moyen de se faufiler. Des petits détails qui me font penser à toi. Cette ombrelle dans mon verre, cette coupe de cheveux, ce regard en coin… Je ne parviens pas à t’oublier, je ne parviens pas à oublier tes mains sur mon corps, ta bouche sur mes lèvres, ton…
Un inconnu se penche sur moi, je le vois un peu trouble à travers les effluves d’alcool. Il m’a l’air séduisant, enfin, je crois. Il chuchote à mon oreille :
– Tu veux me goûter ?
J’ai dû mal entendre, le regarde un peu bêtement.
– Quoi ?
Ma voix coassant semble l’amuser.
– Je peux goûter ? demande-t-il en indiquant ma boisson.
Surprise par cette entrée en matière pour le moins inédite, je secoue la tête.
– Non. On te dit souvent oui ? Sérieusement ?
– Je n’avais jamais posé la question avant et c’est la première chose qui m’a traversé l’esprit.
– C’était complètement idiot.
– Ah, la demoiselle aime la franchise. Ça me plaît.
Il s’assied à côté de moi, me tend la main.
– Moi c’est Fabian, et toi ?
J’hésite à peine, après tout, je suis ici aussi pour ça. Me changer les idées passera peut-être par le lit d’un inconnu.
– Jasmine.
Il garde mes doigts entre les siens, caresse ma paume de son pouce. Un léger frémissement me parcourt. Puis je me reprends : qu’est-ce qui me prend de flirter avec le premier venu ? Je ne suis pas encore rassasiée de toi – pourquoi m’as-tu quittée ? « Tu n’as jamais parlé de moi à quiconque ! » C’est vrai. Je voulais garder notre relation secrète, qu’elle n’appartienne qu’à moi. Qu’à nous.

« Est-ce que tu t’autodétruis après les deux questions ? Est-ce que ma première question compte comme une vraie question ? Zut, est-ce que je peux recommencer ? »
Alexia pouffa. Ses doigts hésitèrent au-dessus du clavier, puis elle se lança.
« La clémence du jury t’est accordée, tu peux recommencer. »
« Tu es sûre ? Raaah, je viens de perdre une question ! Bon… Est-ce que je te fais sourire, au moins ? »
« Non, je fais partie de ces gens qui mettent des émoticônes hilares, mais dont le visage reste impassible en vrai. Oui, tu me fais sourire. »
Je ne vais pas te faire l’affront de sortir l’expression, n’est-ce pas… #nobanalité »
Le hashtag amusa Alexia qui tapa sans réfléchir : « Andouille ! »
« Ah, direct les petits mots doux. Moi je veux bien, mais tu ne crois pas qu’on va un peu trop vite ? Si on continue comme ça, ce soir on va au théâtre, demain on adopte un canari et dans trois semaines, ivre d’amour, tu enfiles une robe blanche. »
« Trois semaines ? Mais ça ne me laisse pas le temps de planifier ! »
« Tu as raison, même moi je ne suis pas aussi organisé que ça. T’as vu comment j’ai placé une de mes qualités ? Pas un fantoche – un fanfaron, peut-être… »

Je voudrais ne plus penser, seulement agir, mais le moins possible. Agir c’est souvent trop agir, et forcer les choses. Mais rencontrons-nous, car les longs échanges virtuels sont trompeurs, et fantasmatiques, je préfère aux mots les regards, c’est plus vrai, plus intéressant. »
Oui, d’accord, tout à fait. Agissons donc le moins possible et ne répondons pas.

Elle commença à lire un message qui paraissait intéressant – un pavé, toutes proportions gardées – toutefois finit par déchanter : voilà le parfait exemple du pseudo-intellectuel démagogue qui croyait que la flatter outrancièrement allait lui permettre de la rencontrer plus vite. Ils étaient plusieurs à étaler leur culture, ou à tenter de s’exprimer avec plus de vocabulaire que les autres : « Bonsoir, je vais tenter de vous séduire à l’écrit puisque c’est la dernière aventure du XXIe siècle si j’ai bien compris... Charmé par votre profil. Taches de rousseur, lunettes, et tatouages : tant de bon goût et d’ouverture d’esprit vous honorent. L’équilibre, si difficile à trouver au sein d’un couple, est ce à quoi j’aspire. Pour avoir vécu pas mal de désillusions, je me méfie des échanges virtuels trop longs, et préfère voir rapidement la personne.

L’individu marchait vite, à grandes enjambées. Il gravit les escaliers et se retrouva à l’air libre, Ailina et Gabriel Cardell sur ses talons. Il traversa la chaussée, sans prendre garde aux véhicules qui, pour certains, klaxonnèrent. Toutefois sans insister car, vu le gabarit et la mine patibulaire de l’homme en veste de cuir, personne ne souhaitait de confrontation avec lui. La filature se poursuivit, à une distance raisonnable. Mais Ailina ne fut pas assez rapide à se détourner lorsque, soudain, il pivota et l’étudia de haut en bas, avec un petit rictus. Gabriel s’absorba dans la contemplation de la vitrine d’un magasin de vêtements tandis que l’homme s’avançait vers la jeune femme

Elle se vit, quelques années en arrière, avec celui dont désormais elle portait le nom (une tradition dont elle n’était pas friande, mais elle avait cédé pour faire plaisir à son cher et tendre), celui qui avait le don de la faire rire, celui avec lequel elle se sentait en sécurité. Évidemment, leur relation n’était pas une idylle de tous les instants, mais l’alchimie restait présente. Penser à lui fit gonfler son cœur de tendresse. Puis lui revint leur dernière dispute et elle se rembrunit. Pas si présente que ça, en fait, l’alchimie… Elle songea au vieux couple dans l’ascenseur, les envia, se demanda si Mathieu et elle atteindraient ce stade dans leur relation. Désabusée, pourquoi se posait-elle la question ? Elle savait pourtant qu’elle ne finirait pas sa vie avec son mari, cette conviction se faisait chaque jour plus forte. Mais elle n’avait pas le courage de partir, elle restait pour les enfants. Et puis, peut-être que tout irait pour le mieux, finalement…Daphné arriva, spectaculaire dans sa robe lilas ; tous les regards convergèrent vers elle, comme Cynthia l’avait prévu.

Épouser un homme jeune, riche, et beau, qui me fasse d'adorables bambins. Notre rencontre a bouleversé tous mes principes, tous mes préceptes, ensuite très vite, je n'ai pu me passer de toi. Je n'arrive pas à me passer de toi. J'ai besoin de toi, de tes baisers ardents, de tes doigts si habiles. Besoin de tes bras qui m'enlacent, de tes mots d'amour. J'aimerais tant que tu me reviennes...

Froide, glacée, glaçante, voilà comment parfois on la voyait. Mais elle n’en avait cure. Tout le monde endosse un costume, personne ne révèle jamais son vrai visage. La faculté de l’humain à dissimuler, à feindre, à prétendre est affreusement admirable. Carnaval des sentiments, succession des mensonges qui vont de « je vais bien » à « mais oui, je t’aime ».Elle ouvrit l’enveloppe qui accompagnait les fleurs, s’immobilisa en découvrant le nom sur le carton, suivi d’un numéro de téléphone. Le patronyme ne lui était pas inconnu, mais la ribambelle de souvenirs masculins ne mit en lumière aucun visage. Puis ses yeux s’écarquillèrent : non, pas lui, tout de même ? Cet homme croisé à la cérémonie des obsèques du mari, ou du père – elle ne savait plus –  d’une journaliste, cet homme qui lui avait souri pendant l’éloge funèbre, un sourire déplacé, elle en avait frissonné.

Elle avait réalisé son rêve de toujours en devenant illustratrice – et scénariste pour certains projets. Le chemin avait été long, semé d’embûches, mais elle ne regrettait rien. À présent, elle avait beaucoup de publications à son actif, son blog était plébiscité, elle était invitée à des salons renommés.

Ce n’était pas tant sa beauté – pourtant indéniable – que son charme assuré et son assurance charmante qui attiraient les hommes. Son rire, lorsqu’il prenait son envol, les captivait. Bas, rauque, obsédant, il semblait le prologue à des confidences douces et sensuelles, chuchotées au creux de l’oreille.