Le livre du jour, France Info : "Bienvenue au Paradis" dÁngel Parra, traduit de l'espagnol (Chili) par Bertille Hausberg
La bourgeoisie, on peut lui toucher les fesses, pas le porte-monnaie.
LARGUÉ!
Madeleine, cette femme qui a rempli ma vie un certain temps, a joué le rôle du juge et du bourreau. Sans difficulté : elle n'a rencontré aucune résistance. Je ne l'ai peut-être jamais aimée. Je l'ai seulement laissée remplir ma vie. Habituée a former de jeunes anarcho-débutants dans sa cellule gauchiste, son caractère viril et énergique l'a aidée a prendre rapidement des décisions. De plus, elle était Karatéka, ceinture noire, je l'ai vue de mes yeux casser des briques du tranchants de la main droite. Le sujet de sa conférence préférée destinée a instruire ses militants consistait a leur expliquer comment préparer, cacher et lancer un cocktail Molotov. C'est exactement ce qu'elle a fait avec moi. Pour mettre les choses au clair, je m'explique : je comprends sa réaction de femme lassée des amours sans surprise que je lui offrais. Elle m'a précipité a grand renfort de coups de pied et de bourrades symboliques dans l'immense abîme de ce voyage sans m'offrir d'alternative.
La rencontre entre Cupidon et son petit cœur a eu pour résultat cette prise de décision a ma place.
Une mesure parfaitement arbitraire selon moi. On aurait pu discuter des modalités de notre séparation mais cela ne s'est pas passé comme ça. Elle m'a expédié par DHL pour se débarrasser de moi et pouvoir vivre librement sa nouvelle passion. Avec Norberto, le bandonéoniste, elle découvrira l'univers maléfique du tango, dans toutes ses dimensions.
L’amour à petites doses m’a nourri à cette époque. Et c’est sans aucun doute ce qui m’est arrivé de plus important pendant ces années-là. J’ai appris à découvrir la tendresse et une forme de relation différente avec les femmes européennes. Une expérience fantastique. Ce n’est pas moi qu’elles aimaient mais ce Chili lointain et éprouvé.
Les premières années de mon exil parisien m’ont servi d’école primaire et secondaire de la vie. Je suis devenu un expert en matière de ce que je m’étais imposé : nier ce que j’avais vécu, oublier le passé.
Temps perdu. Le temps c’est de l’argent. Pour moi le fait de le laisser passer sans hâte est devenu un rituel que je pratique régulièrement à Paris. C’est ma manière d’imiter les poètes. Comme eux j’ai toujours sur moi du papier et un crayon. Depuis mon époque d’écrivain de la gauche d’abord victorieuse puis vaincue, je n’ai jamais plus écrit une ligne.
Je suis né avec ce qu’on appelle communément des pieds plats. C’est ce défaut physique qui a déchaîné la tempête entre elle et moi. La déformation de mes extrémités inférieures m’empêche d’apprendre à danser correctement le tango.
L’imagination est la liberté de l’esprit. Savoir mesurer et apprécier les événements, “sentir le vent”, comme on dit aujourd’hui. Mais ici, les cons dans mon genre, on les repère et on les sent de loin, voilà le problème.
C'est le lot d'un pays sous dictature, on entend des coups de feu dans le noir, des autos qui accélèrent, des cris étouffés ou déchirants. Cela se termine presque toujours en veillées funèbres.
En sortant de la séance de tortures, plié en deux comme un vieux, j'ai maudit, en pleurant de rage et de douleur, le fils de pute qui a trahi le Président de la République, la Constitution et les Lois, bien planqué, comme les lâches et les rats.
Ceux qui sortent de l'interrogatoire en meilleur état me disent :
- Tu t'es comporté comme un homme, Rafa.
Ça me fait rire malgré la douleur. Je n'aurai pas pu faire autrement.
- Tu n'as pas donné un seul nom.
- Pardi, je ne connais personne.
Il vaut mieux être seule que mal accompagnée.