"Je n'ai jamais aimé nager. Ce que j'aimais, c'était gagner. Arriver la première, toucher le mur et lever les bras au ciel, encore et encore. Je voulais être la meilleure. J'y ai consacré toutes mes forces."
Je me sens prête. Aux journalistes, j’annonce la couleur : je veux être championne olympique. Je le dis sans fausse modestie ni vanité. C’est ce que je veux, voilà tout. Je ne suis pas venue pour faire de la figuration, encore moins du tourisme.
Je n’ai jamais aimé nager. Ça n’est pas pour rien que j’emploie le verbe « aimer ». Depuis longtemps, c’est l’amour qui motive mes choix. C’est l’amour qui décide à ma place, pour le meilleur et, parfois, pour le pire. Mes histoires de cœur ont fait la une des journaux, plus souvent encore que mes performances sportives. Je n’ai jamais cherché à faire parler de moi, mais je ne me suis pas cachée non plus. Je me suis trompée souvent, mais j’aime aimer. Je ne crois pas que ça soit un crime.
Je n’ai jamais été très studieuse. À l’école, je suis là sans être là. Je m’ennuie vite. Je déteste apprendre par cœur, l’histoire, la géographie… Ma vie est ailleurs. Dehors. Dans la petite cour où je joue aux billes, à 1,2,3, soleil !, aux osselets, à l’élastique ou à la corde à sauter, cette corde dont les poignées sont équipées d’un compte-tours qu’on fait tourner à vide pour tricher.
Chez moi, on ne claque pas l’argent. Ils sont tellement droits, tellement honnêtes qu’ils ne s’autorisent pas à jouir des quelques avantages que ma situation leur offre. Grâce à mon contrat d’égérie Lancel, je peux par exemple entrer dans n’importe quelle boutique, choisir ce qui me plaît, et repartir avec.
Laure Manaudou s’est plantée, Laure Manaudou a déçu, Laure Manaudou est finie. Je n’arrive pas à chasser de mon esprit mon échec, la litanie de mon amertume. Je ressasse les phrases cruelles, les mots blessants lus avidement sur les forums Internet. Comme si je me mutilais moi-même, je n’ai pu m’empêcher d’aller regarder ce qu’on disait de moi, de lire, page après page, commentaire après commentaire, les réactions et les critiques qui décuplent encore l’humiliation et la douleur. Les formules chocs des journalistes, qui n’ont pas eu de mots assez durs pour me faire tomber du piédestal où ils m’avaient mise, quatre ans plus tôt.
Dans une discipline où l’on ne gagne pas bien sa vie, où les sponsors ne se bousculent pas, c’est historique. Énorme, au point que j’ai du mal à me rendre compte de ce que ça représente. Bien sûr, je peux me payer rubis sur l’ongle une belle maison à l’âge de vingt-trois ans. Mais pour le reste, c’est abstrait. L’idée de pouvoir entrer chez Gucci pour choisir la paire de lunettes de soleil qui me plaît et repartir sans la payer me paraît plus réelle, comme un rêve de petite fille lâchée dans un magasin de jouets. Ça, c’est tangible, et ça m’enchante !
Avec Nicolas, c’est à la vie, à la mort. On s’aime autant qu’on se déteste. Je n’ai pas souvenir d’avoir eu, petite, d’autres compagnons de jeu. À cette époque, on se suffit, mais on se bat tout le temps. C’est peut-être de cette rivalité que me vient mon instinct de compétition.
Quand on est avec quelqu’un, qu’on a des sentiments, on ne s’imagine pas que ce genre de chose puisse arriver. Je voudrais mettre en garde les jeunes filles, leur dire de faire attention, de penser aux conséquences quand on se laisse aller à ce genre de petit délire avec son amoureux. On n’est jamais à l’abri d’un mouvement d’humeur, d’une sale petite vengeance. On traîne ça ensuite comme un boulet, à vie.
Finalement, Barbara a arrêté la natation. Je n’ai aucune idée de ce qu’elle est devenue. Elle et son père ne s’en doutent pas, mais je crois que je leur dois la carrière que j’ai eue. C’est contre eux que j’ai aiguisé l’acier de mon ambition. C’est pour les vaincre que j’ai découvert en moi la détermination qui allait me permettre de prétendre à un rêve : les jeux Olympiques.