Anita Diamant on THE BOSTON GIRL
" Comment suis-je devenue la femme que je suis aujourd'hui ? " Tout a commencé dans cette bibliothèque, au club de lecture. C'est là que je suis devenue moi- même.
Je lui demandais si elle l'aimait.
"Pas encore. Maman dit qu'on apprend à aimer quelqu'un quand on fait sa vie ensemble. Elle dit qu'un homme qui aime ses enfants est un homme bon. Myron a six ans et Jacob presque quatre, et ils ont besoin d'une mère. Comme dit maman, j'ai presque trente ans et qui sait si j'aurai encore une chance comme celle-ci. Il s'occupera de moi, et de Maman et de Papa quand ils seront vieux."
(p.60)
Elles étaient toutes d'accord que les choses allaient bien mieux avant. Certaines étaient tristes, et d'autres étaient aigries, mais c'était toujours : rien ne va aussi bien que jadis.
Je me suis promis de ne jamais parler ainsi, et tu sais quoi ? Maintenant que je suis moi-même une vieille dame, je crois que les choses vont bien mieux maintenant. Vois ta soeur, qui est cardiologue, et toi qui vas sortir diplômée de Harvard. Ne me parles pas du bon vieux temps. Qu'est-ce qu'il avait de si bon ?
(p.232)
Me retrouver dans la classe de mr.Boyer était un des meilleurs accidents qui me soient jamais arrivés. Quand j'ai commencé à enseigner, je me suis souvenu de sa façon de nous parler, et vous savez quoi ? Quand vous recevez chaque question comme si vous ne l'aviez jamais entendue auparavant, vos élèves sentent que vous les respectez, et tout le monde apprend beaucoup plus, même l'enseignant.
(p.145)
Je n'ai rien dit de mes plans jusqu'au jour où mes parents ont déménagé. Quand le camion est arrivé devant chez nous, j'ai dit à mes parents que j'avais pris une chambre à la pension de la rue de Trémont. Un endroit très respectable, et Betty m'avait dit de signaler que c'était surtout des dames juives qui y vivaient, comme si ca pouvait faire une différence.
Mon père a fait une sale tête, mais il n'a pas eu l'air surpris, ce qui me fait croire que Betty lui avait dit d'avance. Ma mère, c'était une autre histoire. Elle me regardait comme si j'étais un ver. " Je devrais être heureuse que tu ailles vivre dans un bordel juif ?".
Et ce n'était que le début. J'étais désobéissante et têtue. Méprisante. Je ne lui disais jamais ce que je faisais ou où j'allais. J'étais une déception, une idiote. J'étais prétentieuse.
Plus elle continuait, plus elle s'enervait.
Puis elle finit : " Tu vas le regretter. Et ne reviens pas quand tu seras dans le ruisseau."
Ma mâchoire faisait mal à force de la serrer. Je m'étais promis de ne pas me battre, mais dans ma tête j'hurlais. Ne m'appelle pas une pute. Pourquoi est-ce que lire un livre me rend prétentieuse ? Pourquoi tu ne me demandes jamais ce que je lis ? Le ruisseau ? Qui paye le loyer ici ?
...
J'aimais à m'imaginer comme il serait merveilleux, le jour où j'irai vivre seule, mais ce dont je me souviens, c'est que j'ai courru jusqu'au coin de la rue et que j'ai vomi au caniveau.
(pp.230-231)
Le jour du mariage, il faisait un temps magnifique, si bien que Mameh [ maman ] a dû cracher trois fois pour éloigner le mauvais oeil.
- C'est la pluie qui apporte la chance.
Levine a tenu l'un des piliers de la "houppa". Il était au bord des larmes quand je lui ai demandé. Le frère de Aaron en a tenu un autre et je ne me souviens pas des deux autres hommes. Cela ne m'était jamais venu à l'esprit de proposer à Betty ou Rita. Il y a cinquante -huit ans, demander à une femme de tenir un pilier aurait été aussi fou que de se demander quand un homme marcherait sur la lune. Ada, ne laisse personne te dire que c'était mieux avant.
Aujourd'hui, personne ne sourcille en apprenant que quelqu'un a la grippe. Elle peut encore être dangereuse pour les personnes âgées, mais la plupart guérissent. En 1918, elle était presque toujours mortelle et s'attaquait aux plus jeunes. Davantage de soldats et de marins sont morts de la grippe que de la guerre.
Je ne connaissais pas très bien mon père. Ce n'était pas comme aujourd'hui, où les pères changent les couches de leurs enfants et leur lisent des histoires. Quand j'étais petite, les hommes travaillaient toute la journée et à leur retour à la maison, nous étions censés être silencieux et les laisser tranquilles.
A la maison, ce n'était pas terrible. Mais j'aimais aller à l'école. J'aimais cette sensation d'être dans des pièces avec des plafonds hauts et de grandes fenêtres. J'aimais lire et avoir de bonnes notes et entendre que j'étais une bonne élève. J'allais à la bibliothèque chaque après-midi.
Ayant fini l'école primaire, un des enseignants vint à la maison pour dire à Maman et à Papa que je devais aller à la grande école. Je me souviens de son nom, mr. Wallace, et il leur dit que ce serait dommage de ne pas y aller et que j'aurais un meilleur emploi si j'y allais. Ils l'ont écouté, très poliment, mais quand il eut terminé, Papa dit " Elle sait lire et compter. C'est assez."
J'ai pleuré toute la nuit, et le jour d'après, je suis resté très tard à la bibliothèque, même si je savais que je me ferai gronder. Je ne voulais même pas regarder mes parents, tellement je les détestais.
Mais la nuit suivante, ma soeur Celia me dit que je pourrai aller à la grande école au moins pendant une année. Elle a du parler à Papa.
J'étais si contente d'aller au secondaire. Les plafonds étaient encore plus hauts, je me sentais comme si j'étais une géante, comme si j'avais de l'importance. J'adorais l'école. Ma prof. d'anglais, une vieille dame qui portait toujours des cols en dentelle, me donnait toujours des "A" pour mes devoirs, mais disait qu'elle s'attendait à mieux . J'étais presque aussi bonne en arithmétique, mais mon prof. d'histoire se moquait de moi, me demandant si j'avais des fourmis dans ma culotte parce que je n'arretais pas de lever la main.
Comme beaucoup de filles de mon année, après l'école, j'allais au centre social de la rue de Salem. J'y prenais des cours de cuisine, mais je passais le plus clair de mon temps à la bibliothèque...C'est sans doute là que commence la réponse à ta question : comment suis je devenu qui je suis ?
(pp.13-14)