Bande annonce de la série The Spanish Princess (2019), basée sur les romans The Constant Princess et The King's Curse de Philippa Gregory
Tout le monde se fiche comme d'une guigne qu'une femme vive ou meure, dans cette Cour.
Devant chaque reine se dresse sa jolie remplaçante, et derrière elle, un fantôme.

Cet enfant est venu à moi alors que je pensais ne plus jamais en avoir, et je refuse de le tuer.
— Mais tu sais comment faire ? insista Alys.
— Oui, répondit sa mère d’une petite voix.
— Est-ce que ta mère l’a déjà fait ?
— Oui. Quand elle jugeait que c’était préférable pour la mère, ou pour l’enfant, pauvre petite chose, parce qu’il était déformé ou de travers – sans avenir. Elle le faisait pour épargner la souffrance. Je le ferais aussi, pour empêcher un autre être de souffrir. Je pense que c’est la bonne chose à faire quand le but est d’épargner de la douleur. Si j’avais mon mot à dire, les femmes seraient libres de choisir si elles veulent concevoir, porter et mettre au monde un enfant. Ça ne devrait pas être aux hommes de décider de ça, parce que c’est la vie de la femme et de son enfant. Mais je ne ferai pas ça au mien. Je préfère la douleur que de le perdre.
— Est-ce qu’il faut des plantes ?
— On commence par des plantes, et si l’enfant ne s’en va pas, alors il faut utiliser un fuseau ou un poinçon, un long couteau fin ou une alêne, qu’on fait entrer dans la femme pour poignarder le bébé recroquevillé dedans, expliqua calmement Alinor alors qu’Alys l’écoutait, horrifiée, les mains plaquées sur la bouche. Il faut enfoncer l’aiguille six fois, sans savoir si on perce la tête du bébé, si ça passe dans l’œil, l’oreille, la bouche, ni même si on ne transperce pas la mère en même temps. C’est aussi impitoyable que de massacrer un veau. Pire, même. Tu ne vois rien de ce que tu fais, et tu ne peux pas savoir ce qui se passe. La femme peut se vider de son sang à l’intérieur, ou bien le bébé peut mourir sans sortir, et il pourrit en elle. Ou alors elle donne l’impression d’avoir expulsé l’enfant mort, mais elle meurt d’une fièvre. C’est la mort pour l’enfant, et parfois aussi pour la mère. Est-ce que c’est ça que tu veux pour moi ?

[Catherine Howard, juillet 1540]
Bien que tout à fait assurée de ma stupidité et de mon incapacité à entretenir, selon les paroles de ma grand-mère, « plus d'une idée à la fois », je constate à tout le moins que le roi a perdu l'esprit – et le monde avec lui. Son épouse devient sa sœur tandis que je la remplace à ses côtés. Moi, Cathy Howard, je me transforme en reine d'Angleterre : Voilà !
Je peine encore à le croire. En outre, j'aimerais que l'on me réponde sur ce point : qu'est-ce qui empêchera le roi de s'éveiller un beau matin en me déclarant préalablement fiancée moi aussi et notre union invalide, ou encore infidèle, afin de me décapiter ? Qui l'empêchera de succomber aux yeux de biche de l'une de mes jolies demoiselles d'honneur, puis de me répudier ?
Exactement ! Je crois que nul n'y songe, hormis moi-même. Ces éminents personnages, comme ma grand-mère, qui distribue insultes et gifles avec tant de libéralité ou s'extasie devant cette extraordinaire occasion offerte à une péronnelle de mon espèce, oublient que tant va la cruche à l'eau qu'à la fin elle se casse ! Et qui, alors, en recollera les morceaux ?
[Anne de Clèves, 1539]
Je réussirai. J'honorerai ma fonction de reine d'Angleterre. J'apprendrai leur langue - je la comprends déjà quelque peu quoique je peine à m'exprimer. Je retiendrai les noms et les rangs de chacun, ainsi que la façon appropriée de m'adresser à eux, pour ne plus me tenir comme une poupée dont on tire les ficelles. Sitôt arrivée, je commanderai de nouvelles robes ; mes compatriotes et moi-même ressemblons à des canards gras face aux élégants cygnes anglais. Les femmes de ce royaume avancent à demi vêtues, une fine coiffe sur les cheveux. Elles se meuvent d'un pas léger dans leurs étoffes délicates tandis que nous tanguons, enfoncées dans une épaisse futaine. Je me montrerai élégante, charmante - royale, enfin ! -, mais, par-dessus tout, je parviendrai à affronter une centaine de personnes sans que la peur me couvre de transpiration !
[Catherine Howard, avril 1540]
Alors que je me dirige vers les appartements de la reine peu avant le dîner, une main légère se pose sur ma manche. M'imaginant qu'il s'agit de John Beresby ou de Tom Culpepper, je me retourne en riant afin de leur enjoindre de me lâcher, mais j'aperçois le roi et plonge aussitôt dans une révérence.
– Ainsi, vous m'avez reconnu, énonce-t-il sous le grand chapeau et dans la large cape qui, à ses yeux, suffisent à le rendre méconnaissable.
Grand et gras comme il est, exhalant une odeur de viande avariée, le reconnaître ne nécessite guère un sens particulier de l'observation, mais je m'exclame :
– Je crois que je reconnaîtrais Votre Majesté en tout temps et en tous lieux.
[Anne de Clèves, janvier 1540]
Le branches dénudées des arbres tranchent sur le ciel comme les fins entrelacs de fils sombres sur une tapisserie bleue. Dans le parc qui s'étire sur des lieues, le vert se mêle à l'éclat blanc du givre tandis que le soleil d'hiver nous baigne d'une lumière jaune pâle. Partout, derrière des cordons aux couleurs chatoyantes, se pressent les Londoniens qui m'acclament. Pour la première fois, je cesse d'être Anne de Clèves - moins jolie que Sibylle, moins charmante qu'Amalie. Ce peuple étrange, riche, aimable, excentrique, m'a adoptée ; j'incarne à ses yeux cette reine honnête et bonne qu'il aspire à voir régner sur son pays.
Je balaie la Cour du regard, considérant tous ces gens occupés à se servir de pleines assiettées, à claquer des doigts pour que les serviteurs leur apportent toujours plus de vin. Cette Cour est devenue un monstre qui se dévore lui-même, un dragon qui se dévore la queue par goinfrerie.

[Marie Boleyn, Été 1526]
La reine hocha la tête en apprenant, comme les courtisans qui tendaient l'oreille, qu'elle n'accompagnerait pas le roi dans son périple estival.
– Merci, répondit la souveraine avec une dignité simple. La princesse m'écrit qu'elle fait de grands progrès en grec et en latin.
– Cela ne lui sera guère d'utilité pour concevoir des fils et des héritiers, répliqua sèchement le roi. J'espère qu'elle ne deviendra pas une savante voûtée. Le premier devoir d'une princesse est d'être la mère d'un roi, comme vous le savez, madame.
La fille d'Isabelle d'Espagne, l'une des femmes les plus intelligentes et les mieux éduquées d'Europe, croisa ses mains sur ses genoux et baissa les yeux vers les riches bagues qu'elle portait aux doigts.
– Je le sais, en effet.
Henri se leva brusquement en claquant des mains. Les musiciens s'interrompirent aussitôt, attendant ses ordres.
– Une gigue ! ordonna-t-il. Dansons avant le dîner !
Ils s'exécutèrent aussitôt et les courtisans se mirent en place. Henri s'avança vers moi. Je me levai mais il me sourit seulement avant de tendre la main à Anne. Les yeux baissés, elle passa devant moi. Sa robe me frôla avec impertinence, comme pour me signifier de reculer. Levant les yeux, je croisai le regard de la reine, aussi vide que si elle eût observé des pigeons pépiant dans un colombier, persuadée de leur insignifiance.
Pendant le banquet, George et moi, assis côte à côte, observâmes notre sœur, à côté du roi.
- Nulle autre femme n'eût réussi, déclara mon frère. Elle se montre déterminée à prendre place sur le trône.
- Ce ne fut jamais mon cas, observai-je. Je désirais seulement ne pas être délaissée.
- Oubliez cela, me conseilla George avec sa franchise habituelle. Vous et moi ne sommes plus rien. Elle demeurera la seule Boleyn dont on se souviendra jamais.
Au mot "rien", mon amertume me quitta soudain et j'affichai un grand sourire.
- Vous savez, le bonheur pourrait fort bien consister à n'être "rien".
Élisabeth s'est rétablie - cette mauvaise cousine, cette reine diabolique ! Elle est guérie, alors que je suis toujours emprisonnée, et personne ne viendra me libérer. Personne ne viendra me couronner aujourd'hui.