Laurence Voïta présente son nouveau roman « Aveuglément »
Quand on a de la peine à exprimer ses émotions, c'est moins difficile de les taire.
Je suis certaine quant à moi qu à sa place, au tout dernier moment, i'aurais voulu qu'ils sachent. Qu'ils sachent devant moi, pour jouir de leur surprise! Mais pouvoir affirmer sa fierté d'être une femme n'est peut-être qu'une notion moderne? Qu'a donc vécu Marie Anne pour se battre avec tant de fougue et d'enthousiasme? Qui plus est pour une terre qui n'est pas la sienne ? Avec une détermination qui ne se démentira pas. Jusqu'à la mort. Et mon propre rejet de toute forme de férocité ne serait-il donc que culturel ? Aurais-je pu être comme elle à une autre époque? Avec le même aplomb et le même sentiment que mon combat est juste? Je l'observe encore et encore, avec le peu que je sais d'elle.
« J’aime l’aspect ludique du polar, l’obligation d’aller d’un point à un autre pour résoudre une énigme où j’ai pris plaisir à semer des fausses pistes. Pour le reste, ce roman - comme les précédents - vient de ma passion pour les rapports humains. J’avoue avoir une sorte d’hypertrophie de l’empathie qui me pousse à toujours imaginer ce que les gens vivent. Quant aux thèmes de la disparition et de la cécité présents dans Aveuglément, j’ai choisi le premier pour son évidente dimension romanesque et parce qu’il répond à un fantasme personnel (continuer à vivre alors que l’on a disparu pour les autres). Le second en revanche, tout comme le personnage de José,
m’évoque plus une tristesse infinie que de la peur. »
– Souvent, je me demande vraiment si ça vaut la peine de vivre sans voir. J’ai tellement aimé les couleurs, Mathilde, j’ai tellement aimé l’éclat du soleil qui fait vibrer le monde ! Prenez juste les verts ! Le vert électrique de l’herbe lorsque la lumière est rasante, le vert jade opaque du lac ravivé par le blanc de l’écume des vagues lorsque le vent souffle de l’ouest, le vert tendre des jeunes feuilles de tilleul, qu’on associe à leur odeur au début de l’été, ou l’odeur de la sauge et ce vert un peu argenté qu’elles ont, vert mousse presque fluo, vert forêt, kaki, vert d’eau, vert bouteille, vert absinthe, je…
« Comment je vais m’y prendre ?… »
Si quelqu’un sur la place avait levé les yeux à ce moment précis, avec la tête de Marco ainsi dessinée derrière la vitre, la fenêtre aurait semblé le cadre d’un portrait ancien, sombre et intraitable. En s’en approchant, il y aurait vu les rides, creusées de chaque côté de la bouche, dont les lèvres autrefois pleines semblent réduites sous l’effet du ressentiment et de la colère contenue qui l’animent encore aujourd’hui.
Les cloches de l’horloge de la place finissent de sonner l’heure.
« 16 heures pile. Petit pays si sûr de lui, irréprochable et fier de l’être. Et pourtant si facile à mystifier », a murmuré Marco en serrant les dents.
Voir la porte se refermer. Entendre le bruit du verrou. Se trouver dans l’obscurité. Ne pas savoir pourquoi ni jusqu’à quand. Écouter chaque bruit. Attendre celui des pas. L’espérer et le craindre à la fois. Ne pas comprendre la raison de cet enfermement. Penser qu’on va mourir. Crier et puis se taire. Dans le noir et le froid. Être là par la volonté de quelqu’un. De quelqu’un qu’on ne connaît pas. Avoir peur de mourir. Gémir pour entendre sa voix. Sangloter puis se taire. Refermer sur soi toutes les sensations. Ne plus voir. Ne plus entendre. Se retirer dans un monde sans début et sans fin.
Roman humaniste, polar sur le fil, "Personne ne sait que tu es là" propose deux histoires entremêlées. L'une permet de remonter jusqu’à l'enfance d'une mère, l'autre de donner un nom à un homme mort sous un pont. Laurence Voïta tisse avec justesse les récits d'une quête des origines.Dans "Personne ne sait que tu es là", l’enquête est surtout humaine. (…) Elle est celle d’une origine, de la définition de soi et du lien aux autres. Le personnage use de ses réflexes de pisteur. Sous l’entêtement du chien de chasse s’enfouissent l’appréhension, la peur de trouver la vérité au bout du chemin de la vie, sous les secrets.
Personne ne sait que tu es là", un polar à part, une narration qui fait la part belle à l’amour des autres et de soi-même, à la paix que l’on peut trouver en laissant le passé derrière et en regardant vers l’avenir. Celui de Laurence Voïta est à présent tracé. Son prix littéraire l’a fait basculer du côté des professionnels de l’écriture, lui donnant un élan supplémentaire et une légitimité méritée. A présent, tout le monde sait que Laurence Voïta est là.
Catherine Fattebert rts
"Bruno est un flic à l'ancienne et cela commence parfois à lui jouer des tours, mais au fond il s'en fout. Il vomit les procéduriers qui se contentent de suivre les règles. Ceux pour qui le respect du droit remplace la pensée"
Marco a laissé passer un silence. Un silence minéral sur son visage fermé à double tour. Puis il a ouvert la bouche pour ajouter quelques mots qui ne sont pas sortis.
« 16 heures pile. Petit pays si sûr de lui, irréprochable et fier de l’être. Et pourtant si facile à mystifier », a murmuré Marco en serrant les dents.