"S'ils n'étaient pas si fous" de Claire Raphaël - Interview 3
Ludovic a parlé d’un ton las. Il n’aime pas faire la leçon à ses hommes. Il n’a jamais fait la leçon à son fils. C’est sans doute de la lâcheté. Cette lâcheté si banale qui empêche les pères d’élever la voix, et qui les pousse à hausser les épaules, espérant que la jeunesse passe, mais la jeunesse ne passe pas toute seule…
(page 135)
Je pensais à ce lien particulier qui a toujours existé entre la folie et la poésie, la folie refuse une réalité trop triviale, la poésie refuse un bavardage trop commun, les deux portent la même rébellion qui n’est pas politique mais sensuelle, corporelle, une rébellion contre les traîtres que sont tous les bourgeois, une rébellion contre les lâches qui obéissent à des lois perfides…
(pages 68-69)
Sous le portique de pierre et de chair
d’un hôpital qui n’a pas de nom
car nous devons rester discrets
nous sommes si fiers d’être encore en vie
nous sommes si heureux
d’incarner la patience
d’un peuple laborieux
fier de son expérience
un peuple sacrifié
nourri pas la souffrance
un peuple déchiré
par des désirs trop grands
nos désirs sont trop grands pour un monde ordonné par les raisons bourgeoises…
Quand la révolte adolescente rencontre le goût de l’argent, la plongée dans le crime est l’issue la plus probable.
(page 50)
Je sais bien que les fous ont des sentiments, comme tout le monde, ni plus ni moins, des sentiments bons ou mauvais, des sentiments purs, et d’autres plus crasseux, qui ont le temps de pourrir dans la rumination, la solitude, la monotonie d’une vie trop simple. Les sentiments nous poussent en avant, ou bien ils nous enivrent, et l’ivresse est souvent dangereuse…
(page 201)
- Il serait assez gonflé de déposer plainte.
- Il pourrait vouloir demander une indemnisation. Et s’il n’y pense pas tout seul, un avocat pourrait le lui conseiller. Là où il y a de l’argent à prendre, il y a des avocats.
(page 165)
Les gens ici semblent doux et patients faute de mieux. Peut-être sont-ils sages comme on le devient quand on a renoncé à plaire. Certains se plaignent mais ce ne sont pas les plus nombreux. Et leurs plaintes ressemblent à des comédies, soupçon de révolte sur un lit de lassitude, leurs plaintes ressemblent au bavardage de gens qui n’ont rien à dire et qui n’arrivent pas à l’admettre, ils n’arrivent pas à admettre que leurs pensées sont creuses depuis que leur curiosité est morte.
(page 11)
Les débutants servent à rappeler l’importance de la théorie, et la théorie est plus utile quand la compétence s’essouffle, les débutants servent à rappeler que la théorie pourrait prendre le pas sur l’expérience…
(page 103)
Elle a relevé la tête pour nous saluer, elle a souri mais son regard restait fixe, et j’ai pensé que c’était ça le signe le plus évident de la schizophrénie, la capacité de donner le change, de se conformer à des règles de politesse, sans que le corps ou le cœur ne s’engage, le corps, le cœur qui restent figés, emmurés, pétrifiés par la peur, l’angoisse ou le délire.
(pages 170-171)
Il était toujours aussi sobre, aride et courtois, tel un prêtre qui a perdu la foi mais a gardé le goût du rite, comme un médecin qui n’a jamais soigné personne mais qui connaît la souffrance.
(page 51)