Le Chant de la pluieSue Hubbard
Éditions Mercure de France
Collection Bibliothèque étrangère
Le jour où son mari Brendan meurt brusquement, Martha, enseignante anglaise vivant à Londres, part se réfugier en Irlande. Peu habituée à aller dans ce cottage au bord de la mer appartenant à son époux, elle rencontre ses voisins : le sympathique Paddy, attaché à ses terres et le désagréable Eugene ainsi que le jeune et charmant poète Colm, qui redonne à cette femme blessée le goût de vivre. ©Electre 2020
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Chacun de nous a besoin de redécouvrir l'essentiel, de trouver un paysage qui convienne à nos rêves et à nos déceptions. Lorsqu'il ne reste plus rien, il y a encore l'océan et le ciel.
Il n'était pas taillé pour être contremaître. Il n'aimait pas dire aux autres ce qu'ils avaient à faire. Il avait une chambre près de Cumberland Street, là où les plus pauvres parmi les pauvres venaient faire leurs courses. Ceux des cités ouvrières et des camps des gens du voyage. Les rues étaient jonchées de bouilloires usagées et d'horloges en panne, de chaussures dépareillées et d'assiettes ébréchées.
La musique emplit l'habitacle comme un cocon. Un espace protecteur et pourtant comme noyé dans ce paysage pluvieux. Elle est tentée de continuer à conduire indéfiniment, de suivre la route au hasard. Devenir gitane, faire sécher son linge sur un buisson d'aubépine. Cette idée lui semble rassurante : ne pas choisir de destination, ne pas être forcée d'arriver et de prendre des décisions.
L'amour passion ne donne guère d'indices sur la manière de gérer les choses après le premier tourbillon. Mais l'amour n'est pas fixe; comme le ciel surplombant ce cottage irlandais, il est en flux constant.
« Maman, où vont les étoiles quand il fait jour ?
Elles ne vont nulle part, mon chéri. Elles sont toujours là. C’est seulement qu’on ne les voit plus. »
Il était le genre d’homme qui, la rencontrant sur la plage en train de lire un livre, se vantait aussitôt de ne pas avoir le temps de lire. Avec son emploi du temps, il ne pouvait se permettre que les journaux et les magazines professionnels. Comme si lire était un signe d’inutilité. La preuve que l’on avait rien de plus important à faire.
C'était "l'été de l'amour", 1967. Elle portait des jupes courtes, les cheveux longs et les Beatles étaient plus célèbres que Jésus-Christ. Mais elle se sentait retenue par... par quoi? Une sorte de voix maternelle et sévère.
Ces derniers jours, elle a lu ses poèmes et certaines de ses images lui sont revenues pendant ses promenades. Son écriture est forte, rugueuse. Un cynisme fatigué vient équilibrer une humanité tendre.
« L’aube a la couleur de la pluie. Cela fait douze semaines que Brendan est mort. Pendant plus de trente ans, elle a partagé un lit avec lui, s’habituant à sa circonférence croissante, aux pattes d’oie qui commençaient à apparaître aux coins de ses yeux. Elle ne peut pas être certaine qu’il n’ait jamais amené Sophie ici, qu’ils n’aient pas fait l’amour dans le lit où elle dort à présent. Elle aurait aimé mieux le connaître, cet homme qui était son mari. Elle regrette qu’ils aient été incapables de se soutenir mutuellement dans leur peine. Il lui manque. Son équilibre impassible, son poids rassurant dans son lit. Elle se demande si ses doigts sentirons à nouveau l’odeur du sexe. Elle a cinquante-six ans. Elle est presque vieille. »
Elle avait pris l'habitude d'être jeune et soudain, sans avertissement préalable, tout a changé. Elle s'est réveillé un matin et sa vie était davantage derrière elle que devant. Elle a perdu son enfant et son mari. Elle a oublié qui elle est et quel sens a sa vie. Parfois ses souvenirs sont clairs et vivaces, mais d'autres jours elle se souvient à peine du passé et son existence semble pleine de projets avortés, de désirs inassouvis. Un sentiment d'angoisse l'envahit lorsqu'elle pense à ces heures dont la mémoire lui échappe. Elle pense à ce poème sur la route qu'on a pas empruntée et se demande quelle autre vie elle aurait pu avoir, en prenant d'autres directions.