Serena Caudill entendit des pas dehors, puis le grincement de la porte de la maison, et elle comprit que John était rentré. Elle continua à attiser le feu dans la cheminée, dans laquelle dorait une poule.
-Où est Boone ?
-Dans les parages, je suppose.
Levant la tête, elle le vit fermer la porte à cause de la pluie, sans se retourner, ses yeux embrassant la cuisine sombre. Il boita jusqu’au mur en produisant un bruit sourd irrégulier sur les lattes épaisses du plancher, commença à accrocher son manteau à la patère, puis se ravisa et le reposa sur ses épaules. Dans la chaleur de la pièce, il émanait de lui des odeurs de vache, de sueur, d’alcool et de laine mouillée.
-On peut savoir quand il pleut rien qu’en écoutant le bruit de tes pas, dit-elle en le suivant du regard.
-Tu dis tout le temps ça.
Il se planta devant la fenêtre, comme s’il pouvait voir à travers le papier huilé qui servait de carreau, et ajouta :
-Tu changerais de refrain si tu avais reçu une balle dans la jambe.
-Je dis pas que c’est rien, répliqua-t-elle, et elle examina la cuisson de la poule avec une fourchette.
Elle le revoyait encore le jour où il était rentré de Tippecanoe avec une balle dans la cuisse et la peau ensanglantée d’un Indien dans son havresac. Il avait gardé le scalp et tanné la peau pour s’en faire un cuir à rasoir. C’était il y a longtemps déjà, trop longtemps pour continuer à souffrir d’une blessure.
(Incipit)
Du sommet, Boone voyait jusqu'à l'infini, dans presque toutes les directions. C'était une région dégagée, pelée, sans limites. Elle s'étendait jusqu’au ciel, tour à tour plate et vallonnée. Impossible de s'imaginer que le monde entier était aussi vaste. Le cœur se soulevait. On se sentait tout petit, et grand en même temps, tel un roi qui contemple son royaume. Boone songea qu'un oiseau devait éprouver la même sensation de liberté.
-On dit qu'une mule te mènera toujours où tu veux aller,(...), mais le temps qu'elle y arrive, très souvent t'as plus envie d'y aller.
Le fusil se cabra contre l'épaule de Boon, lézardant le silence. La balle produisit un bruit sourd et un petit nuage de poussière s'échappa du bison comme s'il avait été frappé par un caillou. Pendant un instant, il resta immobile, inactif et triste, et on aurait pu croire qu'il ne s'était rien passé, puis il partit vers la sortie du ravin, dans un galop pataud. Boone l'observait. Il entendit un autre claquement à côté de lui et vit l'animal plier les genoux et tomber en avant, sur le museau. Il bascula sur le côté en agitant les pattes, son souffle ressemblait à un ronflement.
Boone se rapprocha.
-C'est un sacré beau pays, là-haut, il paraît.
Summers le regarda et sa bouche esquissa un sourire.
-Sauvage. Sauvage et beau, comme une vierge. Quoi que tu fasses, tu as le sentiment d'être le premier à le faire.
-En route vers l'ouest?
-Je me tâte, j'ai l'esprit qui va et vient, comme le chien qui court aboyer d'un côté et fait demi-tour pour aboyer de l'autre, sans plus savoir ce qui lui fait peur.
Les trois vieux étaient assis, fumaient, lâchaient un mot, puis se taisaient pour entendre ses échos, comme s’ils possédaient l’éternité pour dire ce qu’ils avaient à dire.
Summer pulled up and swung his leg from across his horse and stood looking down at the plains, which seemed close but would take a spell to get to with the going like it was. Though spring was coming on, Summers still wore his old capote with the Hood that came up from it and went over his head. He reached inside and got out a piece of roasted liver and began to munch while his eye traveled north and south and back again.
La Teton était un cours d'eau rapide, comme si elle était impatiente de rejoindre la Marias et de se jeter dans le Missouri, elle aimait aller vite pour le plaisir de filer et de confluer. Elle était comme un être jeune, plein de fantaisie et d'énergie, attiré par l'ailleurs, mais son flot limpide se chargerait de boue et finirait par grossir des eaux plus lourdes, qui serpenteraient paresseusement jusqu'à la mer.
Dick Summers songeait avec ennui que tous ces gens qu'il avait à conduire étaient bien différents des hommes de la montagne. Aucun d'eux ne savaient jouir paisiblement du temps présent. Ils s'acharnaient à vouloir tirer quelque chose de la vie, comme si l'on pouvait la saisir à pleines mains et la modeler à sa convenance à force de calculs et de combinaisons. Ils ne parlaient jamais de castors, de whisky ni de squaws en s'abandonnant à la douceur du soir. Ils ne parlaient que de récoltes, de force hydraulique et de bénéfices, sans accorder autrement d'importance au soleil et au verdoiement des jeunes pousses qu'à un décor vague et imprécis sur le chemin de ce qu'ils voulaient être ou avoir. Plus tard, certains d'entre eux regarderont peut-être en arrière et se demanderont comment toutes ces choses merveilleuses ont pu leur échapper (...).
Mais c'est toujours l'insouciance passée qui fait l'amertume des souvenirs. On ne peut pas revenir sur ses pas.