Cetro

Si elle est d'ordinaire indifférente à ses incessantes péroraisons, elle se trouve ce soir un peu gênée, il lui semble être bien plus impliqué dans les confidences qu'il lui fait. Elle l'écoute déballer ses préoccupations personnelles, et pressent qu'il va peu à peu déraper sur des considérations encore bien plus intimes.

On y colle nos trombines, pour espionner le plus gros fumier de la création, titre qu'il partage avec son frangin. Tous les deux sur le podium à se tirer la bourre pour monter sur la plus haute marche, c'est un don de famille.

Le plaisir qu'il prenait à enfoncer l'aiguille métallique dans cette épaisse couenne puis à tourner pour agrandir le trou était tel qu'il s'était juré d'essayer cela sur les petits esclaves lorsqu'il serait en âge de les surveiller.

Elle avait grandi dans un quartier un peu agité, à une cinquantaine de bornes de l'endroit où ils logeaient, où les dealers poussaient comme des champignons. L'un d'entre eux, d'un genre particulier, s'était spécialisé dans les médicaments de contrebande. Il était son ami, l'avait prise sous son aile en mémoire de son père parti quelques années plus tôt.

J'étais comme toi, je voulais plus penser à tout ça, parce que ça me faisait mal. Sauf que je me suis aperçue qu'essayer d'oublier, c'était juste pas possible, et que je devais vivre avec le passé. Je suis Virginie, Ninie, la sœur de Sam et de Néné. On a vécu ensemble chez Tonia et Fraco, et on les a aimés comme nos parents. Me dis pas que t'as oublié ça, je te croirai jamais.

Méfiante quant à cette approche douteuse, la prostituée se redresse pour la dominer de toute sa hauteur, la main plongée dans son sac à main, où un couteau n'attend que l'agresseur pour jaillir.
Peu lui chaut qu'il ne s'agisse que d'une ado, l'expérience lui a appris à se méfier de n'importe qui et à anticiper toute agression.

Elle lui doit d'être en vie, c'est un fait, mais leur route se sépare ici.
Il lui serait impossible de continuer à vivre à ses côtés comme si son frère n'était pas revenu dans le cours de son existence, l'oublier simplement parce que ce vieux salaud ne veut pas se mouiller.

Ça cingle, ça fait mal, mais surtout, ça humilie, ça sape jour après jour toute confiance en soi et ça maintient dans cette attente de savoir, non si, mais quand tomberont les prochains coups.

J'ai l'impression d'en connaître chaque cahot comme des repères fixes qui m'avertissent du temps qu'il me reste à être tranquille.
Sous mes conseils, Arnaud et Jérémy se tiennent déjà prêts à débarquer sans faire attendre ces messieurs à la patience maladive.

Les superlatifs pleuvent, et comme pour tout ce qui n'est pas prouvé, les gens finissent toujours par tenter le coup, en se défendant de leur naïveté par un stupide « je sais que ça marche pas, mais bon, je vais essayer ».

Faut pas brusquer un chien effrayé, pas entrer trop brusquement dans son périmètre de sécurité, sinon t'es assuré qu'il te ravagera à coups de mandibules. Je tiens pas trop à me faire tabasser et éteindre par réaction de défense.

Paraît qu'il suffit parfois d'un petit rien, d'une minuscule étincelle pour que les opprimés se révoltent. Et lui, c'est un putain de volcan à la limite de l'éruption !

Je devrais les avertir, leur gueuler qu'il fera d'eux des objets sans valeur tout juste bons à éponger sa haine, les inciter à se battre et à se révolter. Quitte à crever, autant le faire debout et vite, avant d'avoir à ramper dans sa propre merde et d'y étouffer à petits souffles.
Mais je fais rien. Rien du tout.

À quoi ressemble une pute ? Ben à une pute, mon ami. Je sais pas, moi, je l'ai vue que de nuit, dans un coin pas super éclairé. J'ai eu l'impression que sous ses airs de douce agnelle, elle en avait vécu, qu'elle avait des ressources insoupçonnées, tu vois le genre ?

Voyage dans le temps, retour en arrière express. Incroyable puissance évocatrice de ce petit bijou de pacotille, qui prend aujourd'hui une valeur inestimable pour ce qu'il évoque à mon esprit.
Il ramène avec lui tant de souvenirs, tant de pièces du passé, des personnes et des moments partagés.

Rentrer dans cette bétaillère serait pour lui impossible sans piquer une crise de panique. On a jamais su avec certitude d'où lui venait sa phobie pour ces bestioles, paraît qu'il est tombé dans un des box d'élevage quand il était tout minot, mais j'ai pas plus de précisions. Une chose est sûre, quand Fergus amène la discussion sur ce terrain pour le chambrer, Gaylord fait tout pour y mettre un terme. À bien y réfléchir, je crois bien que c'est pour ça qu'il m'a soudain à la bonne, soulagé de pouvoir m'envoyer faire la sale besogne sans qu'il ait à s'approcher de sa plus grande terreur.

Étrange sensation que celle de marcher au milieu de ces bâtiments abandonnés, en ruine, là où régnait autrefois une vie riche d'interactions, d'après ce que lui a raconté Brock, comme si elle profanait un lieu sacré et insultait le souvenir de ceux qui ne sont plus. Bien vite, le besoin de retrouver l'agitation frénétique et la sécurité relative du camp se fait sentir.

On ne sait jamais, à défaut d'être voyant comme notre voisine, mieux vaut être prévoyant.

On est prêts sans l'être vraiment, toujours un peu effrayés à l'idée de ce qui pourrait mal tourner.

On sait que pour eux, on est rien d'autre que des vagins avec des jambes, leurs yeux restent scotchés en bas et croisent jamais les nôtres. Toi... t'es différent. Quand tu m'as vue débouler, c'est ni mon cul ni mes nichons que t'as maté, c'est pourtant ce que je déballe et mets en avant pour appâter les mâles en rut.