KABÎR Une Vie, une uvre : le vagabond céleste (France Culture, 1991)
Émission "Une Vie, une uvre", par Claude Mettra, diffusée le 26 décembre 1991 sur France Culture. Invité : Guy Deleury.
Il n'y a pas d'austérité mortifiant les chairs qui sont plaisantes au Seigneur. Quand tu abandonnes tes vêtements, et tues tes sens, tu n'apportes aucune satisfaction au Seigneur : l'homme qui est agréable et qui pratique la droiture, qui reste impassible dans les affaires du monde, et qui tient compte de toutes les créatures comme de son propre moi, celui-là peut atteindre l'Être éternel : le vrai Dieu est toujours avec lui. Kabir dit : il atteint le Nom véritable dont les paroles sont pures, et qui est libre de fierté et de vanité.
Ne contemple, en toutes choses, qu’Une ; c’est la seconde qui te fourvoie.
Comment pourrai-je toujours exprimer Cette Verite ?
Comment puis-je dire: "Il n'est pas ceci, ni cela "
Si je dis qu'il est en moi, le monde est incredule,
Si je dis qu'il est au-dehors de moi, c'est mentir.
Il rend le monde interieur et exterieur
comme un tout indivisible:
Le visible et l'invisible sont ses marchepieds.
Il n'est ni manifeste, ni cache.
Il n'est ni revele, ni non revele.
Il n'y a rien en verite qui puisse exprimer ce qu'il est.
Si tu ne brises pas tes liens pendant la vie
Quel espoir de délivrance auras-tu dans la mort ?
Comme l'huile dans le grain de sésame
Et l'étincelle dans la pierre de silex,
Ton Seigneur est en toi :
Fais-le jaillir si tu peux !
Tous savent que la goutte d'eau se fond dans l'océan mais peu savent que l'océan se fond dans la goutte.
Ô Cadi, à quoi bon cette nouvelle exégèse ?
Qu'as-tu donc compris au Coran ?
Jour et nuit tu prêches les masses
Quel que soit le sens qui t'apparaisse !
Sûr de toi, tu veux me circoncire,
Mais cela, je le refuse, ô frère !
Si telle était la volonté d'Allah,
Alors tous les hommes naîtraient circoncis !
Si le circoncis devient Turc,
Qu'en est-il de sa femme ?
Si ta moitié ne peut être circoncise,
Tu restes donc à moitié Hindou !
Si le cordon fait le brahmane,
Qu'en est-il de sa femme ?
Si de naissance elle est servante,
Pourquoi goûter ce qu'elle cuisine ?
D'où viennent les Hindous ? D'où viennent les Turcs ?
Qui donc leur a montré un chemin différent ?
Interroge ton coeur, ton coeur à toi :
Où est ce paradis ? Qui donc y est allé ?
Au lieu de t'égarer, médite, médite sur Ram :
Pourquoi montrer, ô fou, tant de fanatisme ?
Dit Kabir, tu es perdu, ô mon ami,
Si tu n'implores la protection de Ram !
Aussi longtemps que l'homme réclamera le Moi et le Mien, ses oeuvres seront comme zéro.
L'Amour ne se cueille pas comme une fleur,
L'Amour ne se vend pas dans les échoppes.
Si d'Amour tu es en quête, que tu sois prince ou gueux,
Offre d'abord ta tête.
Ils disent tous : "J'irai au ciel",
Mais moi, je ne sais en quel lieu il se trouve !
Ils ignorent tout du mystère de leur moi,
Mais n'hésitent pas à décrire le paradis !
Aussi longtemps que tu désires un paradis,
N'espère pas prendre refuge aux pieds du Seigneur !
La porte du ciel, ses douves, sa forteresse :
Où se trouvent-elles ? Je n'en sais rien !
Dit Kabir : que puis-je dire de plus ?
La société des Sages, voilà le Paradis !