Mezzo et Jean-Michel Dupont pour planetebd
J'attends, cramponné au sol, guettant l'onde de choc que doit déclencher la collision cerf/lac. Mais rien n'a lieu ou si ça a lieu, je n'en ai pas conscience... seul persiste le galop... dans ma poitrine. Enregistré et par le apis d'aiguilles. Diffusé à mon coeur qui me piétine de l'intérieur et me donne soudain envie de danser. Et les chasseurs qui surgissent des pins, leurs chiens qui aboient contre ma tête - ce que je redoutais me l'effet d'une bouffée de joie. D'un répit. Comme si le cerf avait siphonné le vomi de mon cerveau pour l'emporter dans son plongeon.
Rosée, tranche de soleil sur la maison, ciel clean. Je suis de retour dans la carte postale de Karine. Seules les mouches font désordre. Karine ne m'a pas repéré. Tout son repassage topless. Je l'observe... Ventre pastèque. Nichons fatigués. (...) Un nuage de vapeur rend l'ensemble bizarrement sexy. Sous les va-et-vient du fer. Je reconnais mon t-shirt surf. Les doigts de Karine s'attardent sur le logo, le caressent. (...) Karine se met à chialer, se reprend. Coup de fer sur ses larmes. Ringo n'a rien remarqué, trop occupé avec mon cheval.
Dans le crépuscule vacillant et froid, un chasseur dit que ma chair ne vaut finalement rien, un soubresaut de mon ventre finit d'expulser mes entrailles, elles s'accrochent à ma poitrine, tremblent... glissent dans un bruit d'enfant mort... Une onde de plaisir traverse les chiens et ils moussent et savent dans l'essence jusqu'à ce qu'un éclair de velours rouge les lance sur moi.
Roadrunner, roadrunner... l'aube glacée me gifle et j'ai hâte que le soleil grimpe. Je pourrais mettre la capote, mais rien de plus ringard qu'un roadster avec la capote relevée. Nul. Je préfère me les geler. Plus les kilomètres défilent, plus j'ai peur. Bientôt Moucheville sera en ébullition en apprenant la fuite du roi. J'entends déjà braire la cour. Ma mère, Sal, Karine...
- ça faisait longtemps que je ne m'étais pas senti aussi bien. J'avais l'impression qu'on me gonflait le cerveau avec une pompe à vélo. J'avais l'impression qu'il grandissait sous ma tête de mouche qu'il allait bientôt exploser. Et j'en avais envie... Oui, j'avais envie que mon cerveau explose et se répande dans la campagne.
Encore une heure avant Sal et les extas. Je zone au ralenti entre les baraques. Copiées-collées. Tapées de soleil et d'ennui. C'est mon monde, c'est ici que je dois vivre.
L'homme dit que ma peau se décolle mieux que du papier peint... Je reconnais la voix de Ramos et je noie un cri dans un reflux de pain et de café - à deux doigts de gerber. La dépanneuse me soulève. Les vandellas mâchent l'air comme des poissons asphyxiés, plantées dans le ciel de l'arrière-pays rouge qui chavire en silence. Insonorisé.
Je suis en nage. Chaque instant est peuplé de frissons. D'aboiements grandissants. De cors de chasse et de hurlements qui viennent agoniser dans ma tête. Il y a quelqu'un derrière moi. Quelqu'un qui me ressemble. Une bête traquée. La peur dans ses yeux, c'est la mienne.