Citations de Otsuichi (44)
Jusqu’alors, l’intérieur de la maison avait été un espace où clos flottant dans l’univers, semblable à un oeuf de ténèbres. Sa tiédeur avait préservé Michiru du froid, la laissant reposer dans un monde rassurant.
L’oeuf ne flottait plus dans l’air, elle avait le sentiment qu’il s’était posé. Dans son obscurité, elle avait moins l’impression de se trouver aux confins de l’univers. La présence d’un tiers l’ancrait à terre. (p. 133)
Chaque année, un prêtre choisissait deux boucs. Le premier était donné en offrande à Dieu, le second était pour Azazel. Le bouc de Dieu se faisait tuer, et son sang était versé en sacrifice. Le second était relâché dans le désert, après que le prêtre ait confessé tous les péchés du peuple. Abandonné vivant dans le désert, l’animal portait sur son dos tout le poids des péchés de la population. C’était ça, le bouc d’Azazel.
C'est juste que les autres utilisent les mots de façon abusive sans chercher à en comprendre le sens. Toi, tu es du genre à réfléchir au poids de chacune de tes paroles. Tu cherches, inconsciemment, à aller à l'essentiel, à trouver la meilleure formule pour t'exprimer. Au final, toutes ces paroles dénuées de sens sont pour toi comme des mensonges.
p. 110
C’est juste le hasard s’il a eu un destin malheureux, ça aurait pu être moi.
Quand je le vois comme ça, c’est juste un garçon comme un autre. Il n’a rien de différent par rapport à moi.
Peut-être qu’un seul aurait suffit pour changer le cours des choses
Nous autres, nous n’avions pas d’autre choix que de faire profil bas en restant en apnée. Tout, pourvu qu’on ne devienne pas la prochaine cible du monstre. Contrairement à ce que j’avais cru, la vie de lycéen n’offrait pas ni éclat ni joie.
Rester à l’écart de tout ça, c’est vital. Si on veut préserver sa modeste vie de lycéen.
En somme, dans quel but les gens vivaient-ils ? Le travail, la famille, les loisirs, était-ce là l’objectif de leur existence ? A quoi cela pouvait-il bien servir de vivre ? Les gens consacraient-ils donc leur vie à un seul maigre objectif, fonder une famille heureuse ?
Une fois seule, Michiru entra dans la maison ; la tristesse la submergea. Un vide qu’elle ne ressentait pas quand elle restait seule chez elle l’étreignait après ses sorties avec Kazue. Cela prouvait qu’elle avait passé un bon moment avec son amie.
Nous n'avons pas eu une vie facile...Nous n'avions pas les moyens d'éviter que le malheur s'abatte sur nous...Mais nous ne sommes pas les seuls.. certaines douleurs sont insupportables.. Elles nous pourrissent la vie..
J'ai alors prié .. pour que le monde soit plus clément.. pour que les gens n'aient plus à souffrir de la sorte...
Pour Akihiro, en l’occurrence, c’était une chance qu’elle quitte l’entrée. Si cette opportunité ne s’était pas présentée, il était de toute façon décidé à chercher une fenêtre ouverte pour s’introduire dans la maison.
C’était son monde à elle, compact, dépouillé de toute autre chose. »
Elle se disait bien qu’il devait survenir une multitude de choses de par le monde, mais ainsi enveloppée dans l’obscurité, elle se sentait parfaitement coupée de tout cela.
Elle, elle avait la maison et les ténèbres qui l’emplissaient.
Elle restait souvent plusieurs jours sans adresser la parole à quiconque. Son temps libre, quand elle ne s’occupait pas du ménage ou de la lessive, elle le passait souvent allongée sur les tatamis du salon, le corps ramassé en position fœtale.
Sa cécité avait constitué une source d’inquiétude pour son père, jusqu’à ce que celui-ci soit subitement emporté par une attaque cérébrale au mois de juin de l’année précédente.
Alors que l’obscurité envahissait graduellement son champ de vision, Michiru se rappelait être restée étrangement maîtresse d’elle-même.
Ses capacités visuelles diminuées de moitié, tout autour d’elle se trouva plongé dans un crépuscule permanent.
Elle n’avait pas perdu la vue brusquement, comme on bascule un interrupteur. Tout doucement, en une semaine, la lumière captée par les yeux de Michiru s’était amenuisée.
Le médecin lui annonça qu’elle perdrait presque complètement la vue sous peu. Tout découlait de l’accident. Elle traversait la rue quand une voiture, grillant le feu, l’avait renversée. A part un violent choc à la tête, elle n’avait souffert d’aucune blessure. Et pourtant, la lumière l’avait abandonnée.
Honma Michiru avait pour la première fois constaté ses problèmes de vue dans la salle d’attente d’un hôpital, trois ans plus tôt. Elle n’avait jamais beaucoup fréquenté les hôpitaux et n’aurait su dire si les néons éclairaient toujours aussi faiblement ou si, endommagés, ils avaient besoin d’être remplacés.
Une femme assise avec son enfant sur une banquette toute proche lisait un magazine, sans la moindre difficulté. En l’observant, elle réalisa que ce n’étaient pas les néons qui posaient problème, mais ses yeux.