Solène T.B.

Ce ne sont pas toujours ceux qui jouent les malheureux qui le sont ! Surtout à ces âges-là. Ceux qui fument et boivent se disent malheureux, mais ils ont le courage de fumer et de boire et, en bonus, de paraître cool. Ceux qui sont vraiment malheureux n’en ont pas la force car ils ont bien d’autres préoccupations.
Mon sang bout dans mes veines.
‒ Et maintenant, elle est morte...
‒ Nous espérions que vous pourriez venir avec nous récolter les témoignages, dit King. Votre point commun avec les victimes peut toucher les proches et les pousser à parler...
‒ Je veux bien.
Elles affichent une mine satisfaite. Mon cœur tambourine. Je vais vraiment devoir parler à ces gens. Je vais les voir en vrai. Ils pourront peut-être même m'aider à comprendre comment et pourquoi ma vie a basculé du jour au lendemain à cause d'une identité. Elle ne fume pas et ne boit pas... Plutôt rare à dix-huit ans, et... j'étais pareille. Tous ces détails commencent à me faire froid dans le dos et me rappellent que je suis la quatrième. Et, sûrement la dernière.

Oh ! Je vois... la curiosité est un vilain défaut face à la police.

Je me disais que l’affaire serait résolue et que je serais hors de danger. Le problème c’est que les jours ont passé et que la peur ne m’a pas quitté. Le lien que j’ai avec ces victimes me fait froid dans le dos. Je suis obligatoirement dans la liste d’un psychopathe et je ne sais même pas pourquoi. Je n’en peux plus. J’ai attendu en pensant que j’allais me réveiller et que le meurtrier serait derrière les barreaux, mais je ne peux plus rester seule. Je ne me sens pas en sécurité.

C’est un meurtre déguisé en suicide. On blâmerait une nouvelle fois la victime au lieu de l’agresseur, et à travers ça, il veut prouver qu’il a réussi à lui gâcher la vie jusqu’au bout et qu’il gagnerait toujours ! Et, que les proches, en plein déni d’un bourreau, croient au suicide plutôt qu’au meurtre, la coupe Ivy.

L’humeur n’est pas à la plaisanterie. Inutile d’essayer de détendre une atmosphère chargée de tension. Pourtant, je me trompe peut-être, mais je n’ai pas l’impression que les deux femmes soient agacées ou qu’elles perdent leur temps avec moi. Non, j’ai plutôt l’impression qu’elles ont retrouvé l’espoir, que je suis une nouvelle piste… Je dois affronter qui je suis, et qui j’étais avant Lisa Q. Je dois affronter celle que j’ai essayé de négliger, de dompter, de cacher. Et tout ça parce qu’il y a d’autre « moi ». D’autres Lise Queb. Et qu’un assassin les a réduites en cendres. Bien sûr que je prendrais part à l’enquête pour coincer ce monstre. Je ne peux faire que ça. Il a limité mes choix, et ce, sans que je le connaisse ni d’Ève ni d’Adam. Il ne va pas s’en sortir comme ça.

Encore une nuit de passée, une autre victoire sur la mort. Il n'est pas venu me tuer dans mon sommeil. Mais il fait pire, il me garde dans une pièce sombre ; il me séquestre mentalement en m'empêchant de vivre ma vie normalement. Je dois avouer que j'ai veillé une bonne partie de la nuit dans la ville endormie, prête à bondir au moindre mouvement. Pourquoi tarde-t-il autant à me tuer ? Qu'on en finisse ! S'il veut supprimer toutes les Lise Queb de la surface de la Terre, pourquoi s'arrêter si proche du but ? Il est évident qu'il aime torturer psychologiquement ses victimes. Est-ce ce qu'il est en train de faire avec moi en ce moment ? Je suis la quatrième et la dernière...

J’ai vu le visage de ces filles à la télévision, dans les médias, partout et elles sont toutes brunes, comme moi. Ce n’est qu’un détail qui n’a pas d’importance, mais cela me perturbe. Brunes aux yeux marrons, quoi de plus banal ? Mais je ne supporte plus ces ressemblances, j’ai besoin de changement, car si je reste à ne rien faire j’ai l’impression d’attendre la mort. Je n’arrive pas à écrire, mais hors de question que je reste toute seule chez moi à me faire peur. J’appellerai la police en fin d’après-midi après être passée chez le coiffeur pour éliminer une de mes ressemblances avec ces filles.

En réalité, je sais pas mal de choses sur les victimes, mais je ne dis rien pour laisser les professionnelles me faire leur exposé. Il sera sans doute plus intéressant que tout ce que je pourrais raconter. Je les suis dans une salle de réunion. C’est écrit sur la porte en bois vernis. Il y a une table ovale, élément central de la pièce, ainsi qu’un tableau à feuilles avec de multiples schémas. C’est tout. Je m’installe pendant qu’Ivy prend place en face de moi et que King se tient prête à prendre des notes sur le tableau en dissimulant ses mèches rebelles derrière ses oreilles.

Je suis la quatrième et je ne peux plus le garder pour moi. Vais-je enfin avoir le courage de prévenir la police aujourd’hui ? Cela ne sert à rien de repousser l’échéance. Depuis deux semaines, les médias s’enflamment sur l’affaire avortée des Lise Queb. La première hypothèse est qu’un tueur s’en prend aux femmes qui ont ce nom et ce prénom. Déjà trois victimes. Quand, comment, pourquoi ? Nous n’avons encore aucune réponse. Et moi, sur les couvertures de roman je m’appelle Lisa Q, mais ce que personne ne sait c’est que ma vraie identité est Lise Queb. Je tremble encore plus.

Il me semble que mes paupières sont anormalement lourdes. Mon esprit est brouillé. J’entends des voix mélangées comme si elles parvenaient d’un lave-linge. Impossibles à distinguer à cause d’un écho troublant. Je ne les connais pas. Je tente d’ouvrir brusquement mes yeux couleur marron. Ont-elles vécu quelque chose de semblable, à ce qu’il se passe en ce moment, avant d’être retrouvées mortes ? Est-ce en train de se produire ? Je suis la quatrième. Est-ce qu’il m’a eue ? Mes membres sont engourdis. Il m’a eue. Où suis-je ? Il m’a kidnappée. Au secours !