La littérature en Corée commence bien souvent par la production de nouvelles. Genre particulièrement apprécié dans ce pays, la nouvelle est souvent l’occasion de remarquer un nouvel auteur par l’intermédiaire des revues ou de la presse. C’est ce genre majeur que les Éditions Philippe Rey ont choisi de mettre en avant avec le recueil Nocturne d’un chauffeur de taxi : des textes contemporains d’auteurs en majorité féminines (9 sur 10) qui donnent à voir une Corée moderne et l’intimité d’une société qui semble quelque peu en perdition.
Les 10 nouvelles que nous découvrons ici sont parues entre 2000 et 2013 et forment d’une certaine façon un ensemble cohérent où on retrouve à chaque fois des personnages engoncés dans leur propre contradiction entre tradition et modernité. Petits contes cruels où l’ironie se fait souvent sombre, elles portent un œil critique sur les vicissitudes d’une société où le travail, les liens familiaux, la pression sociale va à l’encontre du bien-être personnel de chacun.
La fabrique de conserves nous plonge dans le quotidien d’une usine à la chaîne et relève l’absurdité du travail répétitif avec ses employés condamnés bon gré, mal gré à se nourrir des conserves qu’ils produisent jour après jour. Dans Nocturne d’un chauffeur de taxi, nous suivons le parcours d’un homme, loser patenté de la famille, qui a épousé une chinoise d’origine coréenne, évoquant ainsi le phénomène des mariages avec des étrangères, les femmes manquant en Corée. On retrouve le thème de l’immigration dans Rumeurs. Une femme et sa fille disparaissent de la ferme où elles étaient hébergées, concomitamment à celle de la femme du pharmacien du village. Les rumeurs enflent, malveillantes : meurtres, infidélité, … tout est évoqué gangrenant ainsi les relations entre voisins. Des relations qui sont au cœur de ce recueil. Celle d’une femme qui découvre un jour que son mari est peut-être un meurtrier dans Mon mari. Celle d’une jeune femme qui se perd dans l’alcool et la rêverie depuis qu’un drame a touché sa vie (Semailles) ou celle d’une autre dans La maison en Légo, réduite à nourrir son petit frère et un père invalide et grincheux depuis le départ de leur mère avec un autre. Même la liberté acquise ne semble pas se départir d’une chape de tristesse (Stoppie à moto).
Doux-amers, mélancoliques, ces récits sondent la face cachée d’une Corée ignorée que les différents auteurs se plaisent à détailler en douceur, tout en nuances. Une vision à la fois quotidienne et distanciée sur la société coréenne qui ne se départ pas d’une certaine forme d’humour un peu grinçant, renvoyant ainsi une image très réaliste, très lucide sur notre monde. Tiraillées entre une modernité implacable et une forme de tradition séculaire, les femmes semblent particulièrement enfermées dans un espace familial morose et leurs tentatives de briser le cercle s’accompagnent malheureusement d’une liberté désenchantée qui annihilent toute forme de bonheur. La famille n’est plus une valeur refuge, le travail encore moins.
L’avenir semble bien gris sous les cieux coréens. Pourtant l’existence de ce recueil prouve que des voix s’élèvent au dessus de la mêlée et annonce un véritable dynamisme littéraire à suivre assurément. Cette jeune génération d’auteurs encore peu ou pas traduits en France font preuve d’une belle modernité. Il serait dommage de ne pas leur laisser leur chance !
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