Empruntant l’étroite ruelle parallèle aux murailles longeant le fleuve, il traversa bientôt la place du palais de l’Ombrière…Même à marée haute,excepté lors des crues et des plus forts coefficients, il restait à cet endroit un chemin à peu près praticable le long de l’enceinte protégeant la ville d’éventuelles attaques par le fleuve.
Bien sûr, il avait vu l’inévitable faune de tire-goussets, de vendeurs de fausses reliques assaillir les pèlerins de passage; bien sûr, les prostituées aguichaient les passants à l’entrée des ruelles…La misère était grande, hors les murailles, et les bateaux ne seraient jamais assez nombreux dans le port ni les vignobles assez vastes autour de la ville pour donner du travail à tous.
Chaque Anglais qui dépasse Blaye doit être muni d’un sauf-conduit, et s’il désire rester à terre à la nuit il ne doit pas quitter la résidence qu’on lui a assignée…Il doit aussi
effectuer tous ses déplacements accompagné de sergents du guet comme un malfaiteur…Ces stupides précautions entravent le commerce des honnêtes marchands et n’aura pour résultat que notre ruine à tous…
La petite église avait son porche à deux pas de l’hôtel de ville, sous la porte monumentale où une imposante cloche appelait jurats et citoyens aux assemblées de la commune. Toute la vie religieuse des élus représentant les différentes paroisses de la ville passait par Saint-Eloi.
La marée remontait la Garonne bien au-delà de Bordeaux et cette grève en pente douce, sommairement pavée, était recouverte d’une boue limoneuse épaisse dans laquelle pataugeaient les journaliers affairés au chargement des nombreux bateaux.
Sous les arbres séculaires la nuit était maintenant devenue presque totale. Dès la sortie de Bordeaux, le chemin de Compostelle devenait tel qu’il était déjà bien des siècles auparavant. Son revêtement de dalles romaines plus que millénaire était usé, profondément creusé par le passage d’une multitude de chariots depuis ceux des cohortes romaines se rendant à Dax ou Bayonne. Les marécages de la sortie de la ville dépassés, les pèlerins s’enfonçaient sous les arbres de l’épaisse et inquiétante forêt du Cernès qui s’étendait encore jusque-là et n’en ressortaient que pour aborder des landes désertes et sablonneuses plus au sud.
Se retournant à demi, il vit le cercle rapide d’un gourdin destiné à sa nuque. Du bras, il dévia la trajectoire, finissant de faire face au danger. Poussant un grognement sous la douleur qui traversait son avant-bras, il réussit pourtant à désarmer son adversaire avant même que celui-ci eût fini son geste, l’envoyant rouler dans la vase. Il découvrit alors les deux autres compères qui s’apprêtaient à fondre sur lui, pareillement armés d’impressionnants gourdins, à la mesure de leurs imposants propriétaires.
Du portail où se tenait Thomas, un autre chemin, bordé lui aussi de prés ou de parcelles cultivées, la différence était difficile à faire sous la neige, menait à un hameau un peu à l’écart de la demeure du maître. Au-delà du hameau, derrière le mur ceinturant le domaine, la masse sombre de la forêt visible tout autour indiquait que les terres de Montignac formaient une immense clairière gagnée sur la forêt.
Philippe de Bourgogne trouve que Louis XI jette des regards un peu trop gourmands sur son duché…François II de Bretagne aussi d’ailleurs…D’autres puissants seigneurs s’inquiètent eux aussi, ou sont mécontents des taxes que Louis exige maintenant…
Apaisé par le crissement soyeux du ressac qui léchait le sable de la plage, il se résigna à quitter une fois encore, une dernière fois espérait-il, le calme qu'il était venu chercher là, pour affronter de nouveau l'existence. C'était une décision d'une terrible violence pour lui. Les mesquineries, le besoin de posséder toujours plus, l'appétit insatiable et de humain de détenir un pouvoir, si dérisoire soit-il, sur ses semblables, lui semblaient si pathétiques et incompréhensibles qu'il avait peine à les combattre