On a grimpé la pente et on s'est alignés tout en haut. D'abord, je n'ai vu qu'une brume bleue. Puis mes yeux se sont adaptés à la lumière et j'ai pu contempler l'eau bleue gigante. Elle s'étendait sans fin jusqu'au bout de l'horizon. C'était une vision merveilleuse. Quelque chose a remué dans ma poitrine, comme si mon sang se rappelait la perte de nos ancêtres. J'avais du mal à croire que les pères et mères d'avant moi avaient pu traverser une si grande quantité d'eau ; ça ne paraissait pas possible.
Est-ce que c'est comme ça que ça doit se passer? Il a fini par demander. On va devoir se battre tout le temps rien que pour avoir un p'tit bout de terre de paradis? Pourquoi ils nous détestent si tant ?
Les Blancs, ils jettent toujours du feu chez les Noirs? demanda Roystone sur le chemin du retour, tout en dévorant son Kit-Kat.
- Non mé ils risquent de le fè de plus en plus souvent si nous on bouge pas.
- La flicaille attrapera pas les Blancs qui ont fait le coup, hein?
Comme moi, le soleil féroce avait consumé et rôti leurs corps. Le temps des moissons était de retour. Pendant des semaines sans fin, des journées sans fin nous attendaient.
"C'est quoi, cet endroit où qu'on est ?
- C'est là où les genses blancs gardaient leurs fusils. Ils étaient dedans une pièce du sous-sol.
- Hein ? Ils ont des pièces sous le sol ? Ils vivent comme les crabes de terre, les couleuvres et le vers, ces bougres-là ?
Un jour, les dieux akans se revancheront, disait-il souvent. Ils nous laisseront pas souffrir comme ça pour toujours. ça aurait pu être moi. C'est de ça que Papa voulait m'avertir. Mais au moins Vieux-Cliff a défunté en se battant pour la liberté.
Je préfère mourir en me battant que de mourir en travaillant pour les genses blancs.
Je n'ai pas honte d'avouer qu'écrire cette histoire m'a souvent fait pleurer ; mais cela a également amplifié mon admiration pour ceux qui ont vécu avant moi et ont combattu la barbarie impériale avec une immense bravoure.
Tacky, il se souvient encore des terres au-delà de l'eau bleue gigante. Une terre de paradis, comme il dit. Et il se souvient de mots et de coutumes que les genses blancs ont jamais su qu'ils existaient.
Le surveillant a fouetté Louis en plein visage. Le claquement a fait s'envoler quelques oiseaux. Des yeux sont apparus par les fenêtres des cases. Tout ce qui se terrait dans les broussailles a détalé en vitesse. Le visage de Louis s'est boursouflé, une horrible marque rouge courrait de sa lèvre supérieure au coin de son œil gauche. Le sang s'est mis à couler sur son menton saillant. Le fouet avait dû entailler fort sa pommette mais Louis a bien caché sa douleur.