Amandine D. Valemme

À vingt-trois ans, ma meilleure amie a la vie devant elle. Célibataire, jolie comme un cœur avec ses yeux de biche d’un vert pétillant et son allure gracieuse, elle a un charme naturel et sophistiqué. Tous les mecs à des kilomètres à la ronde bavent sur son passage. Tout le contraire de moi. Je suis plutôt timide avec la gent masculine et les hommes me fichent une frousse monstrueuse. Oui, je sais, c’est débile. Je suis enceinte. Et pas du Saint-Esprit, ça, c’est sûr ! Lui. Il était différent. Au début... Un beau gosse intéressé par une intello de vingt-quatre ans à peine sortie de l’université, c’était irréel. Mes cheveux blonds tirés en arrière, relevés en chignon haut, ainsi que mes yeux bleus cachés derrière mes petites lunettes rondes font de moi une jeunette trop sage, un brin coincée. En somme, une fille pas très jolie et insipide.

Cette femme me rend de plus en plus dingue ! Et voilà qu’elle me raccroche au nez !

La peste !

Non, mais pour qui elle se prend ? La nuit dernière n’a-t-elle pas compté pour elle ? D’abord elle disparaît de ma vie. Pendant quatorze ans, bordel ! Ensuite, elle resurgit de nulle part, et voilà qu’elle joue la brebis mystérieuse ?

OK, je ne sais pas si c’est un vrai concept, mais c’est à ça qu’elle me fait penser, avec sa pudeur éternelle et sa nouvelle manie de fuir.

Et moi, comme un con, je me jette à ses pieds, je ravale ma peine, ma colère, toutes ces années de chagrin et de frustration pour tenter de la reconquérir.

La porte de mon appartement claque bruyamment. Je grimpe les marches deux par deux. Malgré ma motivation en début d’après-midi pour ranger mes affaires, cela n’a pas été suffisant. Mon nouveau chez-moi est en désordre. Des boîtes sont encore éparpillées aux quatre coins de l’appart’. J’empoigne avec violence celle qui se trouve sur mon passage et la balance à l’autre bout de la pièce. Je m’effondre à genoux sur le sol en carrelage beige. Tremblante comme une feuille. Je ne suis pas saisie de peur, mais d’un sentiment inexprimable.

Cette rencontre-là, mon cœur n’y était pas préparé !

Les traits de Dorian se durcissent et son regard s’obscurcit. Sa voix est remplie de colère et de tristesse mélangées. Je ne peux plus le regarder en face, c’est trop dur. Mon cœur se fendille au fur et à mesure qu’il m’incrimine de l’avoir sciemment abandonné. Je me lève d’un bond, complètement chamboulée par son ton désapprobateur. Je dépose ma tasse sur une petite desserte au bout du canapé et balance le plaid à ses côtés, dévoilant mes jambes nues.

Avec les hormones, j’ai des envies de meurtre sur tout et n’importe quoi. Grrr !
Je ne sais pas depuis combien de temps Jackson me trompait. J’aurais dû m’en rendre compte bien avant. Ses cachoteries, son changement de comportement ainsi que ses mensonges à tout bout de champ auraient dû me mettre la puce à l’oreille. J’ai commis la plus grosse connerie de toute ma vie. Être tombée amoureuse d’un minable dans son genre m’a anéantie.

Je ne suis pas un objet sexuel. Quand bien même j’ai la gueule de l’emploi, je ne me sers pas des femmes pour assouvir mes besoins sexuels. Jamais ! Je ne sais pas quel abruti a pu vous faire souffrir pour que vous soyez si aigrie, mais je respecte les femmes, moi, madame. Votre grand-mère m’avait pourtant dit que vous étiez quelqu’un de très amical. Mon Dieu, elle a dû se tromper de petite fille ! Ce n’est pas possible autrement.

Je monte les escaliers deux par deux pour rejoindre Arthur à l’étage. Il est installé sur le canapé gris à rayures blanches qui trône au milieu de mon minuscule salon et de mes derniers cartons. Ses yeux vagabondent un peu partout. Je l’observe silencieusement.

- Ta décoration est quelque peu austère, bafouille-t-il, une moue perplexe sur le visage. Je t’apporterai des affaires de chez moi, si tu veux.

Je ne bouge pas, médusée par le comportement de ce mec que je ne connais presque pas. Il s’est incrusté chez nous depuis près de deux semaines sans mon consentement, sous prétexte qu’il s’envoie en l’air avec ma meilleure amie. Je n’aurais pas imaginé un instant qu’un homme comme lui, un homme si attentionné en apparence pouvait s’emporter aussi rapidement pour des broutilles.

Ma meilleure amie adore jouer la provocatrice en public et draguer tout ce qui bouge. Elle aime être sexy et aguicheuse en toute circonstance. « On ne sait jamais qui peut venir frapper à notre porte… » Sa phrase favorite ponctuée d’un clin d’œil suggestif. La nature profonde de ma meilleure amie : la luxure. Ni plus ni moins. Eh, que peut-on y faire ? Rien.

Je me mens à moi-même. Je n’ai qu’une envie, qu’il m’embrasse. Là. Toute de suite. Les papillons dans mon ventre se réveillent. Je veux sentir son odeur partout sur moi, ses lèvres brûlantes sur chaque parcelle de ma peau, sa langue au goût houblonné dans ma bouche, sa salive fruitée se mélangeant à la mienne, me grisant à mon tour de promesses inavouables…