- Tu sais pourquoi la SHER se conduit de cette façon ? Tuer les Reboot quand ils ont vingt ans ?
- C'est censé être un moyen pour contrôler la densité de population. Ils n'ont pas besoin de tant de Reboot que ça. Et puis, apparemment, ils ont découvert que vers dix-neuf ou vingt ans, c'est l'âge à partir duquel on commence à devenir très agités à l'intérieur des complexes. A faire des trucs délirants comme de se mettre à penser soi-même.
Je posai le doigt sur le plastique pour toucher ce petit visage humain si laid.
- C'est toi ? demanda Callum en surgissant à côté de moi. Ah ben non.
- Ben si, répondis-je doucement.
Il scruta la photo dans la pénombre. Peut-être regardait-il les joues creuses, le menton pointu ou cette façon de fixer le vide, au-delà de l'objectif.
- Tu en es sûre ?
- Oui. C'est un prof qui l'a prise, je m'en souviens.
- Tu n'as plus la même tête.
- Elle était tellement moche.
- Tu n'étais pas moche. Regarde-toi. Tu étais mignonne. Pas particulièrement heureuse, mais mignonne.
- Elle n'était jamais heureuse.
- Ça me fout la trouille la façon dont tu parles tout le temps de toi à la troisième personne.
- Excuse-moi. Je ne me sens plus du tout cette personne-là, expliquai-je avec un petit sourire.
- Tu ne l'es plus. Je n'y avais encore jamais réfléchi, mais je suis content que tu ne sois pas une humaine. C'est un drôle de truc à dire, non ?
- Non. Moi aussi, je suis contente que tu ne sois pas un humain.
- Tu n'as guère le choix, lui fis-je remarquer.
- Mais je devrais. Rien de tout ça n'est ma faute. Je n'ai pas demandé à mourir ni à ressusciter.
Je fis le tour de la salle des yeux. J'espérais que les humains ne pouvaient pas nous entendre. Ce genre de propos valaient aux Reboots qui les tenaient d'être éliminés.
- Prends sur toi, dis-je en baissant la voix. La première sortie est la plus éprouvante. Tu vas t'adapter.
- Je refus de m'adapter. Je refuse de devenir un monstre qui prend plaisir à pourchasser les gens.
Et là, il me désigna.
Un couteau se planta dans mon cœur. Je clignai des paupières, ne sachant quoi faire de cette douleur. Ses mots résonnaient dans mes oreilles et soudain, j'avais du mal à respirer.
Un monstre qui prend plaisir à pourchasser les gens. Ces mots me déplaisaient, je n'avais pas du tout envie qu'il pense à moi de cette façon.
Depuis quand je me souciais de ce que mes stagiaires pensaient de moi ?
- Le gars t'a tiré dessus quatre fois. Tu n'as même pas cligné des paupières. Comme si tu ne t'étais aperçue de rien.
- On m'a très souvent tiré dessus. On finit par s'y habituer, répondis-je.
- Toi, peut-être. Moi, je ne peux pas.
- Son formateur lui a tiré dessus tant et plus, expliqua tranquillement Ever. Elle avait peur, elle aussi, alors les gardiens et lui, ils l'ont mitraillée jusqu'à ce qu'elle n'ait plus peur.
— Alors, Callum, hein ? Tu as formé un Vingt-deux ?
— Oui.
— Puis-je te demander pourquoi ? Ou avais-tu commencé à choisir tes novices sur le critère de leur jolie gueule ?
— Il me l’a demandé, répliquai-je.
— Il te l’a demandé ? Eh bien, merde alors. Si j’avais su que c’était la bonne méthode pour te faire faire des choses, j’aurais essayé depuis belle lurette.
Je mis ma main devant ma bouche pour essayer de ne pas rire mais je ne pus me retenir.
— Ça ne marcherait pas aussi bien si ça venait de toi, Riley.
— Waouh, tu es devenue toute douce et fleur bleue. C’est mignon.
— Je me ferai un plaisir de te montrer à quel point mon poing n’est ni doux ni fleur bleue si tu as besoin de t’en souvenir.
— Je ne vais pas profiter de cette offre, mais merci.
Les gardiens détestaient me toucher. Je crois que ca leur fichait la trouille.
Il me montra la porte en s’essuyant les mains sur son pantalon, comme s’il pouvait se debarrasser de la mort.
Rien a faire. J’avais déjà essayé.
- Cette nuit, j'ai pensé que, peut-être, c'était injuste de ma part de te dire ce que tu devais ressentir, déclara-t-il tranquillement.
Je posai la main sur sa poitrine, en jouant avec le tissu de sa chemise. Ne sachant quoi répondre, je demeurai silencieuse. C'était peut-être injuste.
- Et je t'aime bien parce que tu es drôle, solide, différente...
- Stop, dis-je en me cachant contre sa chemise parce que j'avais les joues en feu.
- C'est toi qui m'as accusé de ne pas aimer celle que tu es, répliqua-t-il en riant. Alors je fais la liste de ce qui me plaît.
- Je sais. Je regrette d'avoir dit ça.
[...]
- Ça m'est égal que tu aies tué des gens parce que, si tu l'as fait, c'est que tu devais le faire, déclara-t-il. La première fois que tu t'es retrouvée dans l'obligation de tuer des innocents, tu étais horrifiée. Tu n'es pas assez indulgente avec toi-même. Je regardais Micah ce soir et je me suis dit que tu aurais pu devenir comme lui. Mais ça n'a pas été le cas. (Il me caressa les cheveux.) Pas du tout, même.
[...]
- Je suis désolée, dis-je sans vraiment cesser de l'embrasser. Je vais rester pour t'aider, d'accord ? Je sais que c'est important pour toi.
Pour moi, ça ne l'était pas et je sentais le poids de cette vérité suspendu entre nous. Mais si ce qu'il disait était vrai, qu'il ne voulait pas me dicter ce que je devais ressentir, alors il n'y avait peut-être pas de problème.
- Je sais, dit-il. Et je t'en remercie.
Je m’efforçais de garder un ton léger mais, à vrai dire, j’étais inquiète.
— Oui, c’est à elle de décider.
Il poussa un soupir, comme s’il était déçu.
— Quel soulagement, répliqua sèchement Addie. Ma fabrique à bébés et moi-même, nous allons répandre la bonne nouvelle
Une fois, j’avais vu un Reboot voler. Il avait sauté du haut d’un immeuble de quinze etages, les bras en croix, avait touché terre et tenté ensuite de trainer son corps fracassé vers la liberté. Il n’avait pas fait un metre qu’ils lui avaient collé une balle dans le crane.
Les humains avaient en eux quelque chose de lumineux, un éclat que seule la mort réussissait à ternir.