Interview concernant le roman "Inside out", 2° partie
- Elena, tu m'as rendu fou. Tu m'as causé des ennuis considérables et j'ai déjà envisagé à deux reprises de te tuer.
Le souffle de Valek dans mon oreille envoya un frisson le long de mon dos.
- Mais je t'ai dans la peau, dans le sang... Tu as envahi mon coeur.
- On dirait que vous parlez d'un poison.
La confession de Valek m'avait à la fois choquée et transportée.
- Exactement, dit-il. Tu m'as empoisonné.
Il me fit rouler vers lui pour me regarder dans les yeux. Avant que j'aie pu dire un mot, il m'embrassa.
C'est la deuxième foi que je te perds, me dit-il. On aurait pu croire que ce serait plus facile, mais je n'ai jamais pu apaiser ma douleur. J'avais l'impression qu'on avait embroché mon coeur pour le faire grillé sur un feu.
Mais je n'avais pas pris le temps de le regarder vraiment. C'était une contradiction vivante. C'est homme qui passait des heures à sculpter de figurines délicates était également capable de désarmer sept adversaire sans qu'une goutte de sueur n'apparaisse sur son visage.
Je n'avais aucune envie de manger. Cela me semblait bien trop fatiguant. Mais quand le médecin m'apporta un plateau fumant, je me rendis compte que je mourais de faim. L'instant d'après, cependant, j'eus l'appétit coupé.
Mon thé était empoisonné.
Je rappelai le médecin en gesticulant.
– Il y a quelque chose dans mon thé ! M'écriai-je. Appelez Valek !
La tête me tournait déjà. Il existait sûrement un antidote, tentai-je de me rassurer.
Le médecin me fixa de ses grands yeux marron.
– Ce sont des somnifères, dit-elle. Sur ordre de Valek.
Je poussai un soupir ; mes symptômes d'empoisonnement disparurent aussitôt. Le médecin me jeta un regard amusé, puis disparut
Le soir tombait déjà, et la confiance que j'éprouvais depuis le matin laissa place à l'appréhension.
– Confiance, dit Kiki. Confiance égale bonbons menthe.
Je ne pus m'empêcher de rire. Kiki percevait le monde à travers son estomac. Pour elle, la comparaison avec un bonbon à la menthe était la plus grande des distinctions
Je me retournai pour lui lancer une pique et me trouvai nez à nez avec Valek. Je cessai de respirer. Il avait certainement observé mon entrainement ; J'en étais un peu gênée.
Un bruit de pas me fit sursauter. Avant que j'aie pu faire un geste, une grande forme noire se rua sur moi, m'arracha mon couteau et le plaqua contre ma gorge. La peur me suffoqua, et des images flottèrent devant mes yeux : celle des soldats qui m'avaient désarmée et arrachée au cadavre de Reyad. Mais le visage de Valek ne montrait aucune colère. Plutôt de l'amusement.
Lorsque nous entrâmes, chacun cessa de parler pour se tourner vers moi. Tous mes poils se hérissèrent. Je me sentis dévisagée de pied en cap. Les regards s'attardaient sur chaque centimètre de mon visage, de mes vêtements et de mes bottes crasseuses. Je réprimai une forte envie de me réfugier derrière Irys. Je regrettais déjà de ne pas lui avoir posé davantage de questions au sujet des Zaltana.
Enfin, un homme âgé s'avança.
– Je suis Bavol Cacao Zaltana, l'aîné des conseillers de la famille Zaltana. Es-tu Elena Liana Zaltana ?
J'hésitai. Ce nom m'était totalement étranger.
– Je m'appelle Elena, dis-je enfin.
A cet instant, un jeune homme d'une trentaine d'années se fraya un chemin à travers la foule et s'arrêta près de l'Ancien. Les yeux plissés, il me jaugea du regard. Un mélange de haine et d'horreur s'afficha sur son visage.
- Elle a tué, annonça-t-il. Elle empeste le sang

Deux semaines se déroulèrent ainsi. Peu à peu, une routine s’installait. Tôt le matin, je me présentais chez Valek pour prendre ma leçon quotidienne. Après de longues heures passées à renifler des éprouvettes, mon odorat s’était sensiblement affiné. Un jour, Valek m’annonça que j’étais prête à goûter les poisons.
– Nous allons commencer par le plus violent, dit-il. Si tu lui résistes, les autres ne te tueront pas non plus. Je n’ai pas envie de passer un temps précieux à te former, pour te voir mourir à la dernière leçon.
Il plaça sur son bureau un flacon délicat rempli d’un liquide écarlate.
– Un poison terrible, dit-il. Il ravage instantanément l’organisme.
Une lueur presque admirative brillait dans ses yeux.
– On l’appelle Un Petit Verre, Mon Amour, ou tout simplement Mon Amour, car c’était autrefois le poison préféré des épouses insatisfaites.
Valek déposa deux gouttes de poison dans une tasse de liquide fumant.
– Une plus grande dose te serait fatale. Avec celle que je te donne, tu as des chances de survivre, mais tu vas souffrir d’hallucinations et de délires paranoïaques pendant quelques jours, ainsi que…
– Valek, pourquoi faut-il que je goûte Mon Amour, si ses résultats sont immédiats? C'est à cela que sert un goûteur, non ? Je goûte un plat. Je m’écroule par terre, raide morte. Le Commandant ne touche pas à son repas, et on désigne un nouveau goûteur. Fin de l’histoire.
Je fis mine d’arpenter la pièce, mais les tas de livres me gênaient. Exaspérée, je donnai un grand coup de pied dans l’une des piles, éparpillant les volumes autour de moi. Valek me décocha un regard perçant qui m’empêcha de savourer ma rébellion.
– La fonction du goûteur est bien plus complexe que cela. Il doit être capable d’identifier le poison utilisé, pour m’aider à retrouver la trace de l’empoisonneur.
Valek me tendit la tasse.
– Si, pendant la fraction de seconde qui précède ta mort, tu es capable de t’écrier « Mon Amour », cela limitera la liste des suspects. Chaque poison a ses adeptes. Celui-ci, par exemple, provient d’une plante indigène du Territoire de Sitia. Depuis la fermeture des frontières, seule une poignée d’Ixiens sont assez riches pour s’en procurer.
- Je sais à qui je peux faire confiance.
- A un cheval, c'est ça? Tu es complètement folle.
Il secoua la tête. Je jugeai inutile de lui raconter que j'avais fait confiance à un tueur professionnel, une magicienne qui avait essayé de m'assassiner à deux reprises, et deux soldats qui m'avaient attaquée dans la forêtdes Serpents. Et que ces quatre personnes étaient aujourd'hui ce que j'avais de plus cher.