Citations de André Laude (64)
La ville s’ouvre comme une étoile à cent branches
dans les rues les amants font les soleils
la lumière coule le long des façades
les bourreaux traquent les anges et les merveilles
et pourtant des cœurs battent au secret des pierres
proclamant la puissance des passions dans la noirceur des guerres
j’ai vu l’homme couché dans son manteau de nuit
j’ai vu la femme humiliée
et l’enfant assis sur un tas d’ordures d’excréments
j’ai vu flamber l’orient
craquer les méridiens et tituber les aubes
j’ai vu l’amante déchirer douloureusement sa robe
j’ai vu le père se taire auprès des cendres du foyer
j’ai vu l’amour bafoué l’espoir insulté l’avenir mis aux fers
je n’ai jamais renoncé à la lumière
au Feu sur la terre.
Sang
sang rauque de mes paumes
qui appelle et nomme en vain
Sang couleur de vin
couleur de nuit d’orage sur Brest
Sang où j’enracine désespérément le plus
puéril de mes gestes
à l’orée des pollens et des vagues îles
De la nuit
je transcris les messages violets et mauves
De la nuit
je sauve une enfant au col blanc
Il n’est pas lueur qui puisse
ici-bas
entre chien et loup
briser les flammes dures du supplice.
Je songe à une Poésie… à s’ouvrir les veines.
Federico Garcia Lorca
dans un pays troué
j’écris mes famines
Avec le bleu de mon sommeil
j’élimine les ogres et les fous
dans un pays roux
je m’efforce Je m’échine
La mort gagne à tous les coups
Je meurs d’une œillade assassine
je meurs d’un songe de Chine
d’une lune égorgée par cent loups.
À Renée Batilliot
extrait 6
De mes mains maladroites je bâtis une demeure
un poème d'ailes et d'eaux
pour que tu habites enfin un moment de Palestine
un versant d'évangile
je te cache au plus profond de la plus humble
fleur
sous l'ortie sèche qui flambe au milieu des cailloux
je n'ai que toi pour faire face à l'inconnu, aux
orages des enragés.
La caresse te donne la courbe des eaux
et ton visage se confond à la transparence des
oiseaux
l'amour te fait plus belle que dans la comptine
et ton corps saigne majestueux sur mes lèvres
enfantines
Les mots que je dis sont aussi vrais que la mort
et la pourriture
Je mens sans doute mais à travers eux tu touches
enfin l'azur.
…
À Renée Batilliot
extrait 5
La ville s'ouvre comme une étoile à cent branches
dans les rues les amants font les soleils
la lumière coule le long des façades
les bourreaux traquent les anges et les merveilles
et pourtant des cœurs battent au secret des
pierres
proclament la puissance des passions dans
la noirceur des guerres
…
À Renée Batilliot
extrait 4
Rumeur du ressac à Roscoff
ton visage
et puis tes mains sur mes yeux
Le temps des otages et puis le temps des amants
l'aube de ceux qui savent caresser la vie sans
la déchirer
comme une belle précieuse étoffe.
Dans la paix des morts
nous enracinons des songes violents
dans leurs regards éteints des blés de fable
lèvent
Leur silence est une étrange sève
qui coule le long de nos veines
Déchiquetés nous aimons encore
…
À Renée Batilliot
extrait 3
j'ai vu l'homme couché dans son manteau de
nuit
j'ai vu la femme humiliée
et l'enfant assis sur un tas d'ordures d'excréments
j'ai vu flamber l'orient
craquer les méridiens et tituber les aubes
j'ai vu l'amante déchirer douloureusement sa
robe
j'ai vu le père se taire auprès des cendres du
foyer
j'ai vu l'amour bafoué l'espoir insulté l'avenir
mis aux fers
je n'ai jamais renoncé à la lumière
au Feu sur la terre.
…
À Renée Batilliot
extrait 2
De la nuit
je transcris les messages violets et mauves
De la nuit
je sauve un enfant au col blanc
Il n'est pas lueur qui puisse
ici-bas
entre chien et loup
briser les flammes dures du supplice.
Sang
sang rauque
au creux de mes paumes
qui appelle et nomme en vain
Sang couleur de vin
couleur de nuit d'orage sur Brest
Sang où j'enracine désespérément le plus
puéril de mes gestes
à l'orée des pollens et des vagues îles
…
À Renée Batilliot
extrait 1
dans un pays troué
j'écris mes famines
Avec le bleu de mon sommeil
j'élimine les ogres et les fous
dans un pays roux
je m'efforce Je m'échine
La mort gagne à tous les coups
Je meurs d'une œillade assassine
je meurs d'un songe de Chine
d'une lune égorgée par cent loups.
…
Journal de bord de mort
je ne suis pas encore né…
je ne suis pas encore né
et pourtant j’éprouve la douleur
déchiré par la flamme du miroir
je m’endors dans les nœuds d’abîmes
et pourtant je suis mort depuis longtemps
crâne pur et propre
étonné de porter encore un nom
que j’aime pour la beauté qu’il prend
quand la bouche féminine le murmure
— lèvres rouges et mouillées atrocement lointaines —
collée contre un corps blessé que je n’habite
que par la souffrance violente qu’il me procure
aux heures obscures des dégoûts véhéments
à travers un parfait délire
Je voyage
et parfois
la seule vision de mes mains
m’effare
et puis me fait sourire
comme la terrible absence de dieu
Ne me demande pas pourquoi j’écris
ne me demande pas pourquoi tête la première
je plonge dans le tumulte volcanique des syllabes
que le passage de mon corps réveille
Ne me demande pas pourquoi au lieu de dormir
comme font les honnêtes gens
je cloue à minuit des papillons de couleurs et de sons
sur le ciel des solitudes
Ne me demande pas pourquoi je saigne auprès des lampes
ne me demande pas pourquoi dans la rue
j’enlace le tronc d’un marronnier en pleurant les cheveux sur les yeux
pour ne pas être vu
Ne me demande pas pourquoi Lazare appelle et parle dans mes veines
pourquoi je bondis d’un espace à un autre
pourquoi j’enfonce les ongles dans la jacinthe brûlante des draps
alors que déchiré d’amour j’ai une respiration de fleuve entraîné par l’élan élémentaire
Ne me demande pas pourquoi ceci n’est pas vraiment un poème,
mais un feu de mots soudés par la salive le souffle
Ne me demande pas
Écoute. Regarde. Ouvre les mille pupilles sèches de ton sang
Tends l’oreille dans la direction de la rue de la terre sueurs et larmes
Écoute
Regarde :
Les géantes copulations de la clarté et du néant
le temps aux tempes des hommes. Les éclairs des famines.
Ne me demande pas.
Nous savons saluer l’aurore
nous sommes civilisés
nous faisons comme tous les peuples
l’amour la guerre des enfants
nous enrichissons les riches
avec notre sueur notre imagination notre sens de l’ouvrage bien fait
nous sommes de bons citoyens
on nous récompense royalement : exil migraine chômage rêves différés accidents du travail
Nous nous lavons les dents
avec des dentifrices célébrés dans les colonnes du Monde, de L’Humanité ou du Figaro
parfois nous attrapons la mauvaise fièvre gauchiste
les poux de la subversion nichent dans nos cheveux
nous parlons français. Avec l’accent. Longtemps nous avons tourné la tête
pour pleurer
quand le vieux parler irritait soudain nos paupières
Mais maintenant c’est fini
Nous savons saluer l’aurore
nous avons étudié l’économie
nous savons à quoi nous en tenir
nous sommes des êtres humains à part entière
nous savons à quoi nous en tenir
LA RÉVOLUTION OCCITANE fleurira bientôt en livres de
sang et foudre dans les vitrines des libraires du Quartier latin.
Poésie urgente
Plus que jamais la poésie est urgente. Vitale comme le pain et le vin. Nécessaire comme la pluie et le soleil, les néons et les nuits polaires.
À l’heure où s’effondre définitivement le rêve révolutionnaire nourri d’octobre 17, à l’heure où l’abjecte massification, l’uniformisation dans le pire médiocre s’accélèrent, à l’heure où en dépit de certaines apparences, la « liberté » de l’individu - fondement incontournable de toute civilisation - rétrécit, à l’heure où les politiques s’épuisent, où les tyranneaux prolifèrent, où les nationalismes, les intégrismes se réveillent, où la pauvreté enflamme les têtes autant que les slogans stupides et simplistes, la poésie est, d’abord et avant tout, une « arme miraculeuse » (Aimé Césaire) pour la Résistance. Totale Irrécupérable Sur tous les fronts.
Résistance contre ce qui endeuille l’être, souille, mutile, brise, l’élan de l’individu vers le « Champ des possibles », l’immense continent de la Vie encore inconnu, qui attend son Christophe Colomb. La poésie ne relève pas des dogmes établis. Elle est cet outil pour l’homme qui lui permet de prendre la mesure de sa non-finitude, de sa majesté et de son mystère émouvant et inépuisable.
Elle est le vent qui le pousse dans le dos dans sa marche à l’étoile, l’éclair qui l’arrache à l’humus pour le projeter à hauteur d’astres de plomb et de feu.
Langages, étranges copulations de mots, bouleversements de syntaxes, volontés de dialogue, énoncés du monde sensible, fouillements des ténèbres, cris d’amour, d’humour surtout « noir », enracinements dans l’errance, la glèbe ou la « big city », explosions de désespoir qui s’ouvre curieusement sur quelque innommable espérance, la poésie est aussi, dans sa plus haute condensation, germination, acte.
Acte qui implique que tout poète authentique, fut-il élégiaque et soumis aux subtils secrets métaphysiques, est un réfractaire un vrai outlaw Hölderlin, Rimbaud, Maïakovski même combat !
Poètes Solitaires. Poètes Solidaires. Jusqu’au revolver, la jambe pourrie, la raison « saccagée ».
La poésie est ce dont l’homme - même s’il l’ignore ou feint de l’ignorer - a le plus besoin pour tracer au flanc du monde la cicatrice de sa dignité. La poésie : un vertige permanent entre la lune et le gibet.
Sans Poésie - libre, follement libre - l’univers serait boule morte. La poésie aux lèvres
rouges : la potion magique pour guérir, peut-être, l’angoisse électrique de l’inconnu qui écrivit une certaine heure de fièvre sur les murs de Mai 1968 : « Y a-t-il une vie avant la mort ? »
Avec ma gueule de métèque
je marche le long des grands boulevards
de l’Europe de l’Ouest sclérosée
à la peau du ventre fripée
Je suis juif de Lodz
j’ai quitté
il y a
à peu près un siècle
le Shettl natal
pour devenir
raccommodeur de vieux vêtements
rue des Ecouffes
fidèle client
de la synagogue
et du bistrot
de Goldenberg
Je m’appelle
Moshé Isaac Lewinshon
Je suis kabyle
du Ravin de la femme sauvage
je balaie les feuilles mortes d’octobre
en récitant du Prévert
L’été je vide les poubelles
c’est beau
Paris à cinq heures du matin
dans l’Ile-Saint-Louis
Là-bas m’attendent
femmes et enfants
je reviendrai un jour
au douar
riche et tuberculeux
Je m’appelle Mohamed Larbi
Fils de la Kahena
Enfant du grand désordre
Je suis nègre
du pays des grands fétiches
et des lacs profonds, brûlants
aux poissons lourds
chez Renault Billancourt
je travaille à la chaîne
À la pause de midi
je tape sur les vieux bidons
cabossés
et ça fait rire les copains français
qui entre eux à voix basse
prétendent
que j’ai bouffé mes grands-parents
Je suis nègre
syndiqué
il y a des femmes blanches
que je désire
en silence
Je m’appelle Abou Diouf
et il paraît
que j’ai vingt-trois ans
je ne bois jamais
car je suis bon musulman
et les autres se mettent en colère
parce que je refuse de me saoûler
en leur compagnie
quand tombe la nuit
sur Pantin Saint-Ouen
Bagneux Ivry
rue Saint-Denis
Avec ma gueule de métèque
je marche le long des grands boulevards
de la civilisation occidentale
j’ai toujours peur
des flics qui cognent
tâtent sournoisement
sous mon imperméable
j’ai toujours peur
des regards haineux
des sourires des mères
qui promènent
leur progéniture
j’ai toujours peur
des néons
de la foule
des bagnoles qui me frôlent
des feux rouges
des fins de journées
des patrons de cafés
et de leurs chiens-loups
J’ai toujours peur
dans le métro
au BHV
dans la rue
dans ma chambre
propre et triste
nue
J’a toujours peur
de mon visage
dans le regard de l’autre
J’ai toujours peur parce qu’obscurément je sais
que je suis coupable
coupable de tout
Pensez :
Je viens d’ailleurs
Ma voix est rauque
je suis différent
Mon sang
a coulé
d’un feuillage inconnu
ici
J’ai toujours peur
Et pourtant
j’aimerais avec chacun
parler
de la pluie
et du beau temps
leur montrer à tous
les vieilles photos jaunies
de là-bas
du pays
Mais je ne peux pas
faire le premier geste
car j’ai toujours peur
Mais je vous demande
Pardon
Le Fou parle n°12 - mars 1980
Corrida
J’adhère à ma mort comme l’astre au ciel.
La vie cruelle
a tué en moi beaucoup d’or
et d’enfants qui ont pleuré au bord des lèvres.
Le temps est venu
de remettre les pendules à l’heure.
Adieu heure d’été, Adieu heure d’hiver
c’est maintenant l’heure de l’exil blanc et des remords.
Déjà je m’enfonce en terre
chandelle éteinte.
En bon et fougueux matador
j’esquisse une feinte.
À quoi sert de défier cape rouge et cape noire.
La poésie est simple comme bonsoir
au milieu d’une arène de sable et de sang. Décapité
Nous n’habitons nulle part nous ne brisons de nos mains
rouges de ressentiment que des squelettes de vent
nous tournoyons dans un désert d’images diffusées par les
invisibles ingénieurs du monde de la séparation permanente
retranchés dans les organismes planétaires planificateurs
infatigables du spectacle
nous ne sommes rien nous ne sommes qu’absence
une brûlure qui ne cesse pas nous n’embrassons nulle bouche
vraie nous parlons une langue de cendres nous touchons
une réalité d’opérette
nous n’avons jamais rendez-vous avec nous-mêmes
nous nous tâtons encore et toujours
nous errons dans un magma de signes froids nous traversons
notre propre peau de fantôme
le soleil du mensonge ne se couche jamais sur l’empire de
notre néant vécu atrocement au carrefour des nerfs
nous n’avons ni visage ni nom nous n’avons ni le temps
ni l’espace des yeux pour pleurer trente-deux dents
totalement neuves pour mordre
mais mordre où mais mordre quoi
de fond en comble toutes les chaînes
autour desquelles s’articulent nos chairs nos pensées
d’aujourd’hui
jusqu’à ce qu’elles cassent dans un hourrah de lumières de
naissances multiples
décrétons le refus global
les jardins des délices tremblent et éclairent au-delà
la révolte met le feu aux poudres
taillez enfants aux yeux d’air et d’eau les belles allumettes
dans la forêt des légitimes soifs
taillez les belles allumettes pour que flambe le théâtre d’ombres universel.
Le ver dans le fruit
Je longe le long sillon qui conduit aux morts muets.
Je songe à la neige, aux chevaux de feu,
à l’hiver des paroles.
Je vois des bois brûlés, des vaisseaux échoués,
des mouettes prises par le gel.
Je longe le fleuve de sang et de larmes
qui traverse les inquiétantes ruines.
Je sens l’odeur des prédateurs, l’urine
de la hyène, la matière fécale des jeunes bébés.
J’écris à partir d’un noyau de nuit.
J’écris à partir d’une tranchée noyée de boue.
J’écris corde au cou.
La trappe déjà tremble sous mes pieds.
Je longe le marbre froid qui donne le frisson
et chante une très étrange et vieille chanson,
qui dit qu’aujourd’hui et pour toujours
le ver est dans le fruit.
e m’appelle personne
Je n’ai pas de nom. Je m’appelle Personne.
Les riches ont l’or,
mes maigres mains creusent le rio.
Mes maigres mains creusent un sillon de mort.
J’ai enterré tant d’enfants que ma mémoire
est une encre sauvage.
Je n’ai plus de mains. Je n’ai plus d’âge.
J’ai la sagesse des grands arbres brisés par les Américains.
Je suis un Peau-Rouge. Jamais je ne marcherai
dans une file indienne.
J’ai très mal au cœur, au sexe, aux entrailles.
Je prie. Je suis Sioux.
Je prie. Je crois à la revanche.
Je suis celui qu’on ne peut pas tuer au cœur de la bataille.
Parce que nous en avons assez d’être parqués dans les
pâtures empoisonnées du malheur
parce que nous en avons assez de loger dans l’aile en
ruine de l’histoire
parce que dans nos poignets brûlent des avoines et des
seigles de tendresse
parce que des faims neuves provoquent des émeutes au
fond des faubourgs du sang
et que les écluses de la patience fléchissent à travers la
géographie mouvementée de notre rêve
Nous allons seller les chevaux fabuleux de la révolte et
du courage…
si j’écris c’est pour que ma voix vous parvienne
voix de chaux et sang voix d’ailes et de fureurs
goutte de soleil ou d’ombre dans laquelle palpitent nos sentiments
si j’écris c’est pour que ma voix vous arrache
au grabat des solitaires, aux cauchemars des murs
aux durs travaux des mains nageant dans la lumière jaune du désespoir
si j’écris c’est pour que ma voix où roulent souvent des torrents de blessures
s’enracine dans vos paumes vivantes, couvre les poitrines d’une fraîcheur de jardin
balaie dans les villes les fantômes sans progéniture
si j’écris c’est pour que ma voix d’un bond d’amour
atteigne les visages détruits par la longue peine le sel de la fatigue
c’est pour mieux frapper l’ennemi qui a plusieurs noms.