Citations de Anna de Noailles (313)
Avides de s'unir au glorieux été
La pivoine touffue et l'anémone rose
Se pâment de désir et semblent rejeter
Le lâche vêtement des corolles décloses...
(Bittô)
Chaleur ...
Tout luit, tout bleuit, tout bruit,
Le jour est brûlant comme un fruit
Que le soleil fendille et cuit.
Chaque petite feuille est chaude
Et miroite dans l’air où rôde
Comme un parfum de reine-claude.
Du soleil comme de l’eau pleut
Sur tout le pays jaune et bleu
Qui grésille et oscille un peu.
Un infini plaisir de vivre
S’élance de la forêt ivre,
Des blés roses comme du cuivre.
Je me sens inutile mais irremplaçable.
« Nocturne »
Je rêvais sous l’arceau de la nuit claire et lisse,
La Mort m’a pris le bras,
Elle m’a dit : Tu bois la vie et ses délices,
Et pourtant tu mourras.
Un étrange, effrayant et douloureux mystère
Gèlera tout ton sang…
Ah ! le bruit aplati et lourd que fait la terre
Quand un corps y descend !
On te laissera là. Peut-être la nuit même
De cet enterrement,
Sur toi qui fus si douce et d’une ardeur extrême,
Il pleuvra froidement ;
Tu dormiras d’un long, épouvantable somme,
Qu’aucun songe n’émeut ;
Tes yeux qui se couchaient dans le regard des hommes
Seront seuls tous les deux.
« Silence en été »
Silence ; le soleil est pris dans le volet,
Et reste là, comme une abeille qui volait
Et qu’un lis blanc retient dans sa forte étamine.
Silence ; on n’entend pas que le temps vif chemine.
C’est un répit si clair, si sûr, si persistant
Que l’on croit être, enfin et pour toujours, content,
Et l’on sommeille, et l’air est jaune comme l’ambre.
– O silence, couleur de soleil dans la chambre !
Silence : horloge molle, au son faible, enchanté,
Qui marques les instants du bonheur, en été !...
Violente et dressée, d'une voix désordonnée, ainsi qu'on éparpille des mots et son sang, elle lui dit :
— Vous êtes mon jardin refleuri, ma maison retrouvée, ma volupté vivante, vous êtes ma tristesse et ma bouche, je vous ai, ah! je vous ai! Non pour ma vie, non pour toujours, mais pour une heure, mais pour une nuit. Cela suffit. Une nuit pour que je saccage mon rêve! Une nuit pour me gorger, pour me lasser de vous ; pour que meure en moi jusqu'à la racine de ce désir ; une nuit pour te voir comme tu es, faible, pâli, vieilli, ô mon amour, ô dieu terrible de mon souvenir!… Ah! une nuit pour que je te goûte encore, et que délivrée, que délivrée enfin, je puisse dire : « J'ai revu Antoine Arnault, il n'est plus comme autrefois. Sainte Marie, je vous adore et je vous loue, il n'est plus comme autrefois… »
-Le Paradis -
Le paradis c'est vous beaux cieux lourds de nuages
Cieux vides , mais si vifs ,si bons , si charmants ,
Ou les arbres ,avec de longs et verts jambages
Pointus , larges , légers ,agités ou dormants ,
Ecrivent je ne sais quelle supreme histoire,
Quel livre de l'espace ,odorant ,triste et vain
Quel mystique Koran ,qui relate la gloire
De l'azur éternel et de l'éther divin.
Le paradis c'est vous ,voyageuse nuée, robe aux plis balancés d'un dieu toujours absent ,
Vers qui montent sans fin ,ardeur extenuée ,
Les vapeurs du désir et le parfum du sang.
C'est vous le paradis ,jardins gais ou maussades,
Lustrés par le soleil ou le vent du matin,
Ou les fleurs de couleur déroulent leurs torsades,
Et jouissent en paix du sensuel instinct.
Et c'est vous ,sols poudreux ,argileux ,tiède terre ,
Le paradis naif et muet qui m'attend ,
Lorsque la mort viendra rompre le mol mystère
Qui me lie ,o douceur ! A la beauté du temps....
l
Antoine se taisait, et il évitait de rencontrer les mains que Donna Marie lui tendait ; mais elle laissait, sans colère, glisser ses mains et poursuivait :
- Avant vous, vous le savez, j'étais timide, innocente, mais tu m'as pris tout cela. Après toi mes gestes n'ont plus eu peur. Les nuits d'Italie sont terribles, mon chéri, elles viennent sur nous et nous étouffent, et tout le cœur est comme un jardin de jasmins ; alors la volupté, les caresses ne semblent pas un péché, elles semblent de beaux anges du soir qui passent sur le ciel de Florence ; de beaux anges, l'ange du bienheureux Angelico, qui court si vite, tu le sais, dans la fresque de Saint-Marc, qui vient comme un jeune homme si pressé, si ardent, et qui dit "Je vous salue, Marie…"
Ils arrivèrent à Florence un jour où le jour est plus tendre qu'un clair visage oriental tatoué de beaux soleils bleus ; un de ces jours où la terre est comme un navire, avec des matelots qui chantent et de l'espoir tout autour d'eux ; où le ciel glisse et se dissout, et, puisant dans son bonheur, détache des portions d'azur et les fait flotter vers les hommes.
Un jour de roses écloses ! les parfums jouaient sur l'air comme des âmes réelles, comme des enfants divins. Élisabeth goûtait, mêlés, ce plaisir et cette déception que causent les choses nouvelles. Elle n'imaginait point ainsi la ronde perle toscane. Trop de perfection arrêtait l'élan de son âme. Ville parfaite, un peu sèche, qui respire, repliée sur elle-même, le fort opium de sa grandeur monastique.
Ils partirent donc.
Ils connurent les longues journées désaltérantes, où l'air, en plein visage, est frais et bleu comme un matin qui s'éveille entre des sapins, sur la montagne. Ils connurent la différence des paysages, la force de la verdure, qui ici est vive et là penchée, les détours des rivières et les changements des habitations des hommes.
Ils connurent jusqu'à l'ivresse, jusqu'à l'étourdissement, jusqu'au malaise et jusqu'à la fatigue et l'obsession, la route blanche qui se précipite dans un arceau d'azur.
Ils s'amusèrent des villes traversées au milieu de l'intérêt et de la bonhomie des paisibles habitants ; ils goûtèrent l'accueil et l'emphase du petit hôtel éveillé où l'on passe la nuit : Hôtel de l'Écu-d'Or, hôtel d'Occident, hôtel des Rois, hôtel des Voyageurs…
Les femmes, songeait-il [...], les femmes sont des colombes attachées avec un long ruban ; elles se croient libres parce qu'elles n'ont pas été au bout du fil qui les tient.
Antoine regarda les femmes. Il les trouvait impérieuses, arrogantes, satisfaites d'elles-mêmes dans leurs toilettes luisantes et tendues, sous leurs chapeaux de fleurs, avec leur air volontaire et restreint. Mais il les regardait aussi avec sympathie, "car pourtant, pensait-il, elles meurent dans nos bras de désir et de plaisir !…"
Il évoquait leurs tendres plaintes ; il les voyait toujours incomplètes, insatisfaites, penchantes, achevées seulement par les caresses des hommes.
« Madame, voici quinze jours que je vous ai quittée et que je voyage. Je ne sais pas encore si je puis ou si je ne puis pas vivre sans vous. »
« Je songe à la sympathie que vous me témoignez, à ce qu’il y a de commun entre votre cœur et mon cœur. »
Sa devise : « L’important n’est pas d’être sage, c’est d’aller au-devant des dieux ! »
Mes livres, je les fis pour vous, ô jeunes hommes,
Et j'ai laissé dedans,
Comme font les enfants qui mordent dans les pommes,
La marque de mes dents.
Nos désirs fuient tels que les vôtres.
Et je vous tromperai, mon cher,
Comme les autres.
Anna de Noailles, 1895
Allez, mon âme inassouvie
Dormir dans l'ombre le grand somme,
Ayant rêvé, par triste envie,
La joie au-delà de la vie,
Et l'amour au-dessus des hommes...
1er mai.
Sainte Vierge Marie, je vous offre le mois de mai, le mois de mai où chantent les colombes, où les douces nuits brûlent comme des veilleuses blanches, où le cœur de toutes les jeunes femmes se brise, quand, au bord des fenêtres d'été, l'odeur du jasmin est plus forte que tout leur courage...
Je suis venue à vous sans peur et sans prudence,
Vous donnant ma raison pour le bien et le mal,
Ayant pour toute joie et toute connaissance
Votre ame impétueuse aux ruses d'animal.
......
Soumise ainsi que l'onde ou l'arbre se reflète,
J'ai connu les désirs qui brulent dans vos soirs
Et qui font naitre au coeur des hommes et des betes
La belle impatience et le divin vouloir.
Alors je pourrai croire avoir connu dans l’ombre
Ce mystique baiser que souhaite mon sang,
Baiser dont on ne sait ni le nom ni le nombre,
Qu’on pense avoir reçu de l’infini puissant.
Et je serai pareille alors aux saintes vierges,
Nymphes en manteau noir du couvent espagnol,
Dont les pieds sont baisés par la flamme des cierges,
Dont le visage meurt d’un sanglot fol et mol,
Vierges aux yeux luisants, à la bouche fardée,
Qui désignent leur cœur comme un brûlant aveu,
Dont le regard s’éteint d’extase poignardée
Au milieu du parfum de rose des cheveux,
Et qui, pleines d’un deuil ineffable et trop tendre,
Ivres des pleurs versés sur la mort de leur dieu,
Brûlent d’humilité, et ne peuvent défendre
Leur bouche désolée et leur cœur radieux…
A peine ai-je le courage de refaire par le souvenir le trajet que j'ai accompli dans un ouragan de témérité, et de resignation violente, mais s'il fallait encore choisir l'arme d'un déchirant triomphe, je demanderais au destin la poésie, raison incluse dans la musique, indication du rêve que les harmonies de l'univers ne proposent qu'à l'instinct, et que le verbe confie à l'intelligence.