Anne Mette Hancock

« Il doit y avoir des centaines d’endroits où se cacher, là-dedans. Des greniers, des toilettes, un gymnase, des caves… Il faut fouiller partout. Tu dis que c’est par ici qu’il est entré ? »

Il avait la réputation d’être un indécrottable snob, nourrissant une haine profonde pour tout ce qui avait trait à la culture populaire. Ses articles s’adressaient toujours exclusivement au très faible pourcentage de lecteurs partageant son intérêt pour ce qu’Heloise appelait le gastro-onanisme satisfait.

Elle ne pouvait pas s’empêcher de se demander s’il existait des formes héréditaires du Mal. Si la pourriture pouvait se cacher dans le sang, comme une sorte de gène récessif capable de sauter une ou deux générations. Quoi qu’il en soit, c’était une expérience pour laquelle elle n’avait aucune envie de servir de cobaye.

Il détestait le silence. L’attente l’avait toujours rendu nerveux. Elle lui donnait des aigreurs d’estomac. Il préférait l’action, le mouvement. Le silence, propice à la réflexion, faisait remonter les souvenirs. Il le ramenait immanquablement aux cadavres déchiquetés entre lesquels il avait dû se frayer un passage au travers d’une fumée épaisse, au sang sortant de ses yeux et s’écoulant sur ses joues – et à cet autre silence. Le silence assourdissant qui avait suivi l’explosion et au milieu duquel ceux qui le pouvaient encore s’extrayaient en rampant de l’obscurité épaisse de cendre et de poussière pour se regrouper devant la maison en ruine.Hébétés. Pétrifiés.Il aurait voulu pouvoir effacer les images. Les lâcher comme un bouquet de ballons gonflés à l’hélium et les regarder s’envoler dans le ciel jusqu’à ce qu’elles disparaissent pour toujours.

La température à Copenhague oscillait depuis plusieurs jours autour de zéro degré, mais la violence du vent donnait aux habitants l’impression de vivre l’hiver le plus froid du siècle. Les rues étaient désertes. On se serait cru dans une ville fantôme.

La paréidolie est un phénomène psychologique dans lequel des impressions anodines sont perçues comme essentielles. C’est une forme d’illusion d’optique: l’oeil reconnait une forme là où, en réalité, il n’y en a pas et en tire des conclusions hâtives et erronées.

« Les gens qu’on ranime après un arrêt cardiaque de quelques minutes disent parfois avoir vu un visage entouré d’un halo lumineux. Évidemment, ils en déduisent aussitôt qu’il y a une vie après la mort. Ils deviennent super croyants et tout ça. En réalité, le plus probable est qu’il s’agit simplement d’impulsions lumineuses aléatoires. Que pendant les quelques secondes qui ont précédé leur mort, leurs yeux ont enregistré certains objets au hasard, que leur cerveau a identifiés comme des traits humains. Et que c’est cette vision qu’ils se rappellent à leur réveil. - Alors tu ne crois pas qu’ils ont eu le temps de boire un petit gin tonic vite fait avec leur créateur? »rétorqua Schäfer avec un sourire espiègle.

Schäfer s’éloigna des containers en direction des clignotements bleus des gyrophares, longeant la maison de retraite Nybodergarden dont les minuscules jardins pétrifiés donnaient sur la petite rue. […] Chaque appartement avait son petit vieux, séparé de ses voisins par un mur en plâtre tapissé de papier peint, et Schäfer songea au silence qui régnait dans ces appartements. Il se le rappelait pour l’avoir écouté maintes et maintes fois pendant la dernière année de la vie de sa mère dans une semblable catacombe de dégénérescence couleur nicotine. Un silence uniquement interrompu par le tic-tac de l’horloge et quelques râles sporadiques résonnant ça et là à travers les cloisons trop minces. Le bruit de la mort qui tarde à venir.

L’école Nyholm était un endroit chargé d’âme, de… spiritualité. Schäfer se fichait des prix remportés par les architectes en vogue et des innombrables réceptions organisées en leur honneur. Ils pouvaient construire toutes les stations de ski durables et les maisons écologiques qu’ils voulaient, on ne lui ôterait pas de l’idée que toutes ces constructions en verre qui poussaient comme des champignons partout dans la capitale défiguraient la ville. Il se disait parfois qu’il devait être le dernier homme sensé de ce pays. À d’autres moments, il se demandait s’il ne commençait pas à se faire vieux. Mais est-ce que cela ne revenait pas au même?

La fille en face d’Heloise se redressa aussitôt sur sa chaise. Elle pinça bizarrement les narines, humecta ses lèvres entr’ouvertes et fit une moue visant sans doute à en augmenter le volume, mais qui eut surtout pour effet de lui donner l’air de quelqu’un qui vient de sentir une odeur nauséabonde. L’expression selfie songea Heloise. L’une des plus étranges inventions de l’époque actuelle.

Puisqu'on me prise de ta présence, Heloise, donne moi au moins par tes mots la douce essence de ton être.

C’est-à-dire que la plupart des individus s’éloignent très peu des stéréotypes. La pute heureuse, le politicien honnête, le champion non dopé? Vous pouvez les sortir de votre tête. Il s n’existent pas.

La seule chose qui procure plus de plaisir que de s'acheter des objets est de parvenir à les revendre.

""Les pétales violacés et la texture de la fleur accentuent l'illusion de se trouver face à un morceau de chair pourrie et permettent à la plante d'attirer certains coléoptères nécrophages qui entrent dans sa corolle pour la polliniser. La traduction littérale du nom latin de la plante est : pénis géant difforme."".

Elle plongea sa cigarette, fumée à moitié, dans un verre d’eau qui se trouvait sur le comptoir. « On fait tout ce qu’on peut pour être la meilleure mère possible pour son enfant, mais ce n’est jamais assez. Je n’en sais rien… Frank, lui, il est parti. Il nous a abandonnées. Moi au moins, j’ai donné à notre fille un toit sur la tête et un lit où dormir.

La seule chose qui procure plus de plaisir que de s'acheter des objets est de parvenir à les revendre.

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"Putain, je n'y crois pas! s'exclama-t-elle en roulant des yeux. Tristan et Iseut sont des amants du Moyen Age, comme Héloïse et Abélard.
- ça va peut-être te surprendre, répliqua Schäfer, mais je n'étais pas né en ce temps-là. Je n'ai pas eu le plaisir de rencontrer les cinglés dont tu me parles.

Elle reconnut deux fidèles, assis de part et d'autre de la nef, tête baissée en prière et dégageant cette aura de ferveur particulière aux gens qui souffrent.

Elle n’était pas seule.
Quelqu’un l’observait quelque part derrière elle, dans l’obscurité.
Elle tourna prudemment la tête.
« Qui est là ? »
Elle perçut un mouvement.
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