Anne Plichota

- Tu crois ?

- J'en suis persuadée.

Elle posa l'index sur le bout de son nez et le remua.

- Truc de filles...

Quand Tugdual vit arriver Mortimer et Josh dans le couloir de Saint Mary's,une joie tendre et profonde l’étreignit . Les signaux était pourtant tenus,quasiment imperceptible,il fallait l’œil affûté d'un frère attentif pour voir combien les deux garçons irradiaient. Ils passèrent près de lui et le regard de Mortimer croisa le sien; Une légère rougeur teinta le front du cadet des Cobb.

Il souleva les lunettes qui masquaient le regard vide, Victoria voulut l'en empêcher.

- Tu sais que je n'aime pas que tu me voies comme ça.

Il y avait quelque chose de si troublant dans ses yeux morts et cependant vibrants de larmes que Tugdual fut ébranlé.Mal à l'aise de la fixer sans qu'elle puisse le faire en retour, il baissa la tête.

- J'ai cru que j'allais devenir folle, tu m'as fait si mal!

( Toi aussi )

- Pourquoi tu m'as rejetée comme ça ?

Tugdual pensait depuis plusieurs jours à ce moment et sa décision était prise : lorsque ça arriverait, il ne tricherait pas. Il ne tricherait plus.

- Je ne t'ai pas rejetée, Victoria, dit-il en lui effleurant la joue. J'ai juste tout fait pour éviter de te tuer.

De retour dans sa cabine, il avisa son portable dont l'écran encore lumineux indiquait qu'il venait de recevoir un message. Il y en avait trois en attente, un de Tugdual, un autre de Zoé.

Et le dernier de Josh. À l'instant même.

Son coeur s'emballa comme jamais lorsqu'il pressa la touche lecture.

" Ça bouge. Continuez ! Je t'm. J. "

Increvable...

Mais au lieu de foncer comme une fusée vers la surface, elle inspira à fond, enfouit la tête entre ses genoux et ferma les yeux. Son souffle se transforma en un petit nuage de vapeur glacée lorsqu'elle expira.

Sans lever la tête, elle tendit la main vers le haut. L'éclair jailli de sa paume et crépita jusqu'au sommet d'où il s'élança vers le ciel.

Des tonnes de glace s'effondrèrent alors à l'intérieur de la crevasse dans un fracas de fin du monde.

- Un parking à soucoupes, hallucinant ! commenta Mortimer

- Quand tu crois avoir tout vu, tu finis toujours par t'apercevoir que tu as encore de la marge, fit Tugdual.

Alors Tugdual leur tourna le dos et prit Victoria dans ses bras. La jeune fille pleurait à chaudes larmes. Il lui caressa le visage, retira ses lunettes, embrassa ses paupières, ses lèvres, la serra aussi fort qu'il le put.

Choisir, c'est fermer une porte pour en ouvrir une autre, sans pouvoir savoir ce qui se trouvait derrière celle qu'on a laissée close.

- Avoir besoin des autres, ce n'est pas être faible. Le reconnaître et l'accepter est une preuve de force.

Si la nouvelle avait fait les​ gros titres des journaux de la région, tous se bornaient à relater la version officielle fournie par les autorités : l'armée américaine avait déjoué de justesse une attaque terroriste de drones qui visait la paisible petite ville de Serendipity. Dès qu'il ​s'agissait de sécurité nationale, l'information restait soumise à un formatage drastique, malgré des sources et des moyens de communication illimités. Mais comment annoncer aux populations l'existence - et la présence ! - d'extraterrestres sur la Terre sans risquer d'engendrer un épouvantable chaos ?

J'ai l'impression de m'être transformé en ours, ne put s'empêcher de grommeler Mortimer.

- Tu ne t'es pas transformé en ours, tu es un ours !

- Écoute, mec, je t'aime...

Et la communication fut coupée à cet instant précis.

Au fond d'eux, ils ressentaient cette même fierté d'avoir accompli quelque chose ensemble. Le destin et ses méandres les avaient opposés et avaient fait d'eux des ennemis mortels, avant de les révéler cousins. mais aujourd'hui ils étaient plus que cela : des amis.

Que pouvait-elle faire maintenant qu'elle n'avait plus son bracelet de cristal-éponge ? Où aller ? Elle n'en savait rien. Trop de désillusions. Trop de souffrances. Plus vraiment d'espoir. Elle n'avait jamais été dans cet état d'esprit, même quand les personnes qu'elle aimait le plus au monde étaient mortes - ses parents, sa grand-mère - même quand on lui avait volé toute possibilité d'aimer. Même pendant les moments les plus sombres de sa vie.

Le fléau légué par son oncle l'avait beaucoup changée. En mal. Elle se sentait poussée vers quelque chose qui lui répugnait et la fascinait à la fois.Elle devenait quelqu'un qu'elle n'aimait pas, mais elle n'avait aucun moyen de le contrer.

Josh prit place à côté de Mortimer.

- Tu vas avoir un paquet de trucs à me raconter, toi...

- C'est sûr. Il faut juste que tu trouves trois ou quatre jours à me consacrer !

- A ce point là ?

Mortimer opina de la tête.

- On est où là ? Au Groënland ? Au Pöle Nord ?

- Au Pôle Sud. Au point le plus éloigné qui existe.

- Et... Est-ce que tu peux juste me dire ce que C. fait là, au fin fond du pôle Sud, à commander une armée ?

- Non. Je ne peux pas te le dire. Pas maintenant.

- OK, je ne demande plus rien, fit Josh en levant les mains devant lui.

Il pinça les lèvres, sans afficher pourtant la moindre rancune. Les deux garçons échangèrent des regards pleins de tendresse avant que leur attention ne soit à nouveau attirée sur ce qui se déroulait dehors, véritable scène de film de science-fiction.

-Dois-je te dire adieu, Tugdual?

- Tu vois, mon garçon, tout choix porte son lot de doutes, mais je peux t'assurer que pas une seule seconde je n'ai regretté d'avoir suivi celui que j'aimais et qui m'aimait. Choisir, c'est fermer une porte pour en ouvrir une autre, sans pouvoir savoir ce qui se trouvait derrière celle qu'on a laissé.

Tugdual et Victoria formeraient un couple magnifique - il l'était déjà ! -et vivraient dans une maison où l'on entendrait les rires de leurs enfants, exceptionnels mélange de deux être exceptionnels...Combien? Deux ou trois, des filles et des garçons au visage fin et aux yeux limpides de leur père, à la peau et à la chevelure magnifiques de leur mère...

Mortimer et Josh incarneraient l'exemple éclatant de ce que la tolérance peut offrir de plus beau. Ils deviendraient les plongeurs les plus doués de leur génération et seraient invités dans les endroits les plus magnifiques de la planète. Un jour, ils adopteraient un bébé, une fille, qu'ils appelleraient Zoé.

Le Foldingot regarda autour de lui puis, rassuré, se pencha vers la jeune fille pour lui murmurer de sa voix de crécelle :

- La Jeune Gracieuse doit recevoir l'information qu'un traître a commandé d'instaurer la surveillance des Sauve-Qui-Peut.
- Qu'est-ce que c'est que cette histoire ? marmonna Oksa en fronçant les sourcils.
- La traîtrise est au coeur de l'acotion, Jeune Gracieuse, reprit le Foldingot sous le regard paniqué de sa compagne. La traîtrise oeuvre au sein des Sauve-Qui-Peut. Intérieur et extérieur font l'encerclement. La mise en garde est d'une grande sévérité : les Félons, comme les amis, n'ont pas l'obligation de coïncider avec notre conviction.
- Tu sais, Foldingot, j'ai parfois du mal à te suivre... renchérit Oksa en se grattant la tête d'un air sceptique.
- C'est pourtant limpide ! rententit une voix derrière elle, la faisant sursauter.

- Quoi que tu fasses, qui que tu sois, tu n'empêcheras jamais les autres d'avoir leur propre opinion sur toi, poursuivit sa mère. Dis-toi bien qu'on est toujours trop comme ci ou pas assez comme ça aux yeux de quelqu'un. La plupart des gens sont ainsi, à vouloir te coller une étiquette ou te faire entrer dans une case.