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Citations de Antonin Sabot (29)


Couper du bois, ça n’a l’air de rien, mais c’est un geste essentiel. Lorsque je brandis le merlin avec sa tête brute et triangulaire, je me sens relié à des tas de générations précédentes. Bien sûr, en ville aujourd’hui, il y a l’électricité ou le gaz, mais nous, on n’a que ça pour se chauffer l’hiver ou pour cuire la nourriture. En reproduisant les gestes de ceux d’avant, on les respecte, on montre qu’on n’a pas tout oublié. Et puis, ce qu’il y a de bien avec le bois que l’on fend, c’est que l’on se chauffe deux fois. On se réchauffe en le brûlant, mais aussi en le coupant.
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Mon père explique qu'on a le droit [d'abattre un arbre] si c'est pour allumer le poêle et lire au coin du feu.
Peut-être que ce n'est pas un hasard si le papier des livres et le feu sont de la même matière, et qu'ils vous revivifient l'un comme l'autre. Une bûche que l'on fend, c'est une promesse de lecture.
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Peut-être que leur vie ne va pas changer d'un coup, mais ce qu'ils auront senti là, la lumière restant sur leur rétine, va faire son chemin et les amener sur un nouveau sentier qu'ils finiront par emprunter lorsqu'ils seront prêts.
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L'homme est fait pour écouter les oiseaux et pour leur donner des noms, disait le père, aujourd'hui, le bruit des machines est arrivé aux oreilles des gens et ils ne comprennent pas qu'ils en ont la migraine. Pourtant, c'est normal, nos oreilles sont faites pour entendre le vent dans les arbres et pas plus d'une ou deux voix à la fois. Mais les habitants des villes n'entendent plus rien, car ils sont abasourdis par le bruit de la planète entière.
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Quel pays civilisé traite ses victimes comme si elles étaient responsables de leur propre malheur ? Coupables d’écorner le rêve ?
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Nous sommes les chardons. Personne ne nous garde une place. Mais c'est nous qui survivrons au climat déréglé, qui nous développerons dans tous les milieux. Les plantes cultivées, transformées en annuelles, sont incapables de passer l'hiver, ne tiennent qu'avec des engrais et si on les débarrasse de la concurrence des adventices, les "mauvaises herbes". Mais c'est nous, les chardons, qui resterons si les jardiniers s'en vont.
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L’histoire s’inscrit dans les paysages, mais celui que nous avions sous les yeux ne racontait pas la politique, les guerres de religion, l’esclavage, la financiarisation de l’économie. Notre paysage, et c’est sûrement pour ça que mon père l’avait choisi, disait la nature enfouie en l’homme, le marronnage, la vie d’un autre siècle, mais pas les grands mouvements de l’histoire contemporaine que mon père m’expliquait le soir, quand nous résumions les livres qu’il me demandait d’étudier.
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Ianov se fondait peu à peu dans ce groupe animal. Seuls ses yeux lui donnaient encore visage humain, et il sentait à chaque pas son identité l’abandonner un peu plus. Sombrant dans un désert de lassitude, il décida de ne pas aller plus loin ce jour-là. Il voulait dormir, sentir sa conscience l’abandonner, peut-être pour toujours, et finalement, que lui importait ? L’idée que ses compagnons s’en prendraient peut-être à son corps pendant la nuit, qu’ils ne laisseraient que ses os sur la rive moussue d’un ruisseau, l’effleura, mais ne l’effraya pas. Il ne ferait alors que continuer à se fondre en eux. De toute façon, il ne voulait pas lutter plus longtemps. Il s’endormit en goûtant la fraîcheur des herbes perlées de fines gouttelettes. p. 84
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Au temps des catastrophes, les frontières se ferment. Ne passent plus que les armes, le pétrole et l’argent.
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On peut mesurer la sincérité des gens à l’épaisseur de leur silence.
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Depuis leur chemin sur lequel je me trouve et qu'on peut rejoindre en longeant leur grange, on voit toute leur richesse. Leur bois. Ce bois, calé comme un mur en pierres sèches, ne montrant que son côté coupé en triangles réguliers laissant croire qu'un géomètre serait passé tout mettre en ordre. Et un peintre aussi, qui aurait coloré ce dégradé du jaune sombre au gris, de plus en plus délavé à mesure que les bûches sont plus vieilles et plus sèches. Il est tellement bien aligné qu'il ne semble pas destiné à bouger, à être enlevé de là pour chauffer la maison. Et en effet, il reste plus qu'à son tour, parce que c'est une richesse. une richesse si modeste, en réalité, car elle ne demande qu'un instant pour partir en fumée.
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Il fait déjà sombre à l'heure où je regarde par la fenêtre passer les voitures des habitants qui reviennent de leur travail à la ville voisine. Il ne faut pas loin de trois quarts d'heure pour s'y rendre les jours où la route est bonne, mais ils prétendent tous qu'ils y gagnent en qualité de vie. Ils ont ajouté de grands garages en moellons aux vieux corps de ferme en pierre et fermé le tout par des haies de thuyas qui ne sont pas du tout des arbres d'ici mais ont l'avantage de pousser bien vite. Ils s'entourent aussi d'objets, s'en construisent un grand mur qui les dépasse et qui leur bouche l'horizon. Ils ont beau dire que le matin ils voient la montagne, c'est à ça que se résument leurs quinze minutes de verdure quotidienne, un coup d'oeil par la fenêtre au réveil. Et puis ils se dépêchent de partir en ville pour travailler, pour acheter des téléphones, des ordinateurs ou des robots ménagers, de nouvelles briques à ajouter à leur mur d'objets.
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L’homme est fait pour écouter les oiseaux et pour leur donner des noms, disait le père, aujourd’hui, le bruit des machines est arrivé aux oreilles des gens et ils ne comprennent pas qu’ils en ont la migraine. Pourtant, c’est normal, nos oreilles sont faites pour entendre le vent dans les arbres et pas plus d’une ou deux voix à la fois. Mais les habitants des villes n’entendent plus rien, car ils sont assourdis par le bruit de la planète entière.» C’est de ça que le père avait voulu se préserver en venant habiter la montagne, en montant plus haut que les voitures, là où nul n’ose plus se rendre aujourd’hui. Il m’avait emmené là pour que j’apprenne à écouter autre chose que tout ce bruit, m’avait-il expliqué un jour où je lui demandais pourquoi on n’allait pas vivre ailleurs. Il avait pris cette question très au sérieux, même si moi, ces histoires de bruit, d’entendre et d’écouter ce qui arrivait au bout de la planète, ça me passait un peu au-dessus de la tête.
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Préface d'Agnès Ledig
Ce livre est une histoire de lien.
Le lien de filiation, entre un fils et son père, que rien ne peut effilocher, pas même l’ultime destinée.
Le lien d’amour, qui naît et croît comme une évidence, telle une jeune pousse qui cherche le soleil, mue par une force inscrite en elle.
Le lien, enfin, de l’homme et de la nature. Présente, puissante, réconfortante, celle-ci s’invite tout au long du chemin de ce jeune homme qui, en cherchant son père, se trouve lui-même.
A la fois tranchante et poétique, la plume d’Antonin Sabot, qui signe là son premier roman, est efficace et généreuse.
Dans les pas de Jean Anglade, qui savait comme personne raconter la vie de gens ordinaires en sublimant leur quotidien, nul doute qu’un avenir littéraire se dessine pour ce jeune auteur bourré de sensibilité.
C’est en tout cas ce que je lui souhaite.
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Syrie, région autonome du Kurdistan
Avant de sortir de l’épicerie abandonnée qui lui servait de logement, Asna saisit le lourd manteau militaire qui reposait sur l’unique chaise de la pièce. C’était son ancien petit ami qui le lui avait offert avant de partir au combat et de ne jamais en revenir. Elle le haïssait pour cela aussi fort qu’elle l’avait un jour aimé. Mais elle n’avait pas le temps de s’abandonner à la nostalgie. D’ailleurs, elle avait décidé depuis longtemps de ne plus penser à cet homme qui l’avait tant fait souffrir. Il n’était plus là pour la protéger, alors que les sirènes retentissaient pour la seconde fois dans le mois. Comme elle avait espéré ne plus avoir à les entendre ! Combien de prières silencieuses avait-elle adressées à une entité en laquelle elle ne croyait pas vraiment, mais qui par moments la réconfortait ? Elle n’aurait su le dire, mais elle les avait crues exaucées. Le temps des moissons était si proche, ça aurait bien été le diable ! Le Mal avait sans doute décidé d’attendre le dernier moment pour frapper et anéantir les espoirs d’Asna et des siens. Les champs brûlaient et toutes les personnes valides du village se précipitaient pour essayer de sauver ce qui pouvait encore l’être.
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Les incendies avaient débuté près de Moscou. La capitale russe avait l’habitude de passer la fin de l’été un foulard noué sur la bouche. Les fumées pouvaient venir de loin. Chaque année, une partie des forêts environnantes se consumait. Si le vent était défavorable, il charriait un air vicié qui venait ajouter à la pollution suffocante de juillet et d’août. On demandait aux vieux de rester chez eux, de ne plus descendre discuter ou jouer aux échecs dans les parcs. On faisait comprendre aux vieilles qu’il valait mieux cesser un moment de sortir nourrir les chats errants de leur quartier. Celles qui le faisaient tout de même se plaignaient aux passants de ces restrictions stupides. Selon elles, on pouvait mesurer la gravité des incendies à la maigreur des chats moscovites.
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Les premières pages du livre
États-Unis, nord de la Californie
Virginia était sortie de son pick-up au niveau du panneau Bienvenue à New Haven, un quartier chaleureux où il fait bon vivre. Au-delà, plus une maison, juste quelques pins maigres et noirs qui s’élevaient çà et là. Calcinés. Le quartier avait été littéralement abandonné aux flammes. Des maisons, il ne restait que les minces structures en acier qui les supportaient encore quelques jours auparavant, répondant au quadrillage des rues tracées en damier.

Un monde miniature, qui ne se réveillerait plus. À la taille des habitations on devinait qu’il ne s’agissait pas d’un quartier riche. Ce n’est pas là que les pompiers avaient dû concentrer leurs efforts. L’auraient-ils fait, seraient-ils parvenus à le sauver ?

Le feu arrivé du nord avait attaqué les alentours d’Arcadie. Jusqu’au dernier moment, les autorités avaient espéré pouvoir préserver la ville. Mais, une nuit, le vent avait tourné. L’évacuation avait eu lieu dans l’urgence et chacun n’avait sauvé que ce que pouvait contenir sa voiture. Bizarrement, la plupart des gens se retrouvent à attraper en catastrophe quelques papiers, leur téléphone portable, un ordinateur, leur téléviseur, une peluche pour les enfants, et parfois une arme s’ils en possèdent une. Savoir qu’un risque existe ne suffit pas à en accepter les conséquences. Imaginer que tout peut disparaître serait trop lourd à porter.

Dans les décombres, on devinait aux carcasses de machines à laver et de sèche-linge l’emplacement des buanderies. Et aux tuyaux et robinets tordus celui des cuisines et des salles de bains.

La proximité des maisons avait favorisé la propagation des flammes. Le quartier avait été rayé de la carte en moins d’une heure d’après le journal télévisé local. Mais l’information n’était restée qu’un court temps à l’antenne, car le feu avait poursuivi son œuvre dévoratrice et d’autres lotissements plus cossus avaient été à leur tour menacés. Ce reportage avait suffi à décider Virginia à venir jusque-là.

Ce qui l’avait attirée, c’était que ce lotissement aurait pu pousser n’importe où. Elle-même avait grandi dans un quartier ressemblant à celui-ci, dans une maison à peine plus grande, avait fait du vélo dans une impasse où les voisins avaient toujours un œil dehors. Pour « nous protéger les uns les autres », disaient-ils. Elle descendait du bus scolaire à deux pas de chez elle, mais faisait un détour en rentrant pour voir s’il n’y avait pas quelque chose à récupérer dans la décharge que constituait le jardin du vieux Morris, elle traînait dehors en short court pour manger de la crème glacée avec sa petite sœur les soirs d’été, quand la chaleur infernale des journées s’apaisait un peu. Ensemble, elles regardaient les « grands » du quartier faire les idiots devant leurs voitures avant de partir au cinéma, ou au bar, ou sur quelque parking où les mecs peloteraient les filles qui se laisseraient à moitié faire en riant. Avec sa petite sœur, elles pensaient que c’était à peu près le paradis. À peu près seulement, car les histoires de garçons ne les intéressaient pas encore. Les petites filles de New Haven devaient croire la même chose avant que la désolation ne vienne frapper. Comme elle avait frappé le quartier de Virginia à la fin des années 2010.

Avant de prendre la route, elle avait voulu revoir l’effet des flammes sur la fragile grandeur du rêve américain. Est-ce que des vies entières de labeur peuvent vraiment s’envoler en aussi peu de temps que le disent les journaux ? Une heure pour tout un quartier, une heure pour toutes ces vies. Cela faisait quoi ? Cinq minutes chacun ? Même pas. Les petits pavillons de banlieue avec garage, bordés d’un carré de pelouse bien tondu, flamant rose en déco, arrosage automatique, volets roulants et climatisation en option, s’effondraient sous le poids des ambitions de leurs propriétaires. Un songe dont elle avait elle-même été sortie avec fracas, âgée d’à peine quatorze ans, quand sa maison, censée les protéger, était partie en fumée.

Pendant plusieurs mois, ils avaient été hébergés dans un gymnase municipal, avec certains de leurs anciens voisins. Ceux qui n’avaient pas péri dans leur voiture, pris au piège. Mais cette fois, il n’y avait plus de murs pour les séparer les uns des autres, seulement de fins rideaux gris, accrochés à des montants métalliques. Les « grands » ne faisaient plus les idiots, et les adultes ne surveillaient plus les impasses à l’arrière des maisons.

L’équipe d’une chaîne d’information en continu s’était introduite dans le gymnase. Ils avaient dû soudoyer un employé de la mairie pour entrer, ou peut-être s’étaient-ils faufilés après l’un des rescapés pour filmer leurs conditions de vie. D’ordinaire, ces types tournaient des reportages sur des Cubains qui traversaient l’océan sur des radeaux de fortune, ou des victimes de tsunami à l’autre bout du monde. De pauvres étrangers. Et ça ne choquait personne. Cette fois, « ceux du Gym », comme on avait fini par appeler les réfugiés, n’étaient pas d’accord pour que l’on montre la misère dans laquelle ils étaient tombés, la queue pour aller aux toilettes ou aux douches, la bouffe immonde qu’on leur servait et les habits sales de leurs gamins.

« Ça vous aidera à obtenir de meilleures conditions de vie », avaient argué les types de la télé. Mais ça n’avait rien changé. Au contraire, le Gym avait été fermé trois mois plus tard par les autorités prétextant l’insalubrité du lieu, et ses occupants avaient dû chercher à se loger ailleurs. Virginia et sa famille étaient parties chez une cousine, dans les Grandes Plaines, loin des forêts.

Durant toute cette période et après avoir fait une crise de nerfs le premier jour dans le gymnase, son père n’avait plus dit un mot. C’est sa mère qui avait dû expliquer leur situation aux agents de la FEMA, l’agence fédérale en charge des situations d’urgence, à l’assistante sociale envoyée par la mairie, et qui avait interdit au cameraman de les approcher, elle et sa famille. La petite sœur de Virginia ne desserrait les lèvres que pour laisser s’en échapper une plainte que seule parvenait à calmer leur mère en la prenant sur ses genoux.

Une foule de détails remontait en Virginia alors qu’elle posait les yeux sur le quartier dévasté de New Haven. La police n’avait même pas pris le temps de poser des rubans pour délimiter les lieux interdits d’accès et aucune patrouille ne semblait vouloir passer, signe que personne ne craignait les pillards. Il n’y avait rien à voler. Repérant la carcasse d’un vélo d’enfant, la jeune femme se prit à espérer que les habitants de New Haven seraient mieux traités qu’elle ne l’avait elle-même été. Elle en doutait pourtant. Tant de monde avait perdu sa maison cet été. Peut-être n’auraient-ils même pas le droit à un coin de gymnase et devraient-ils se contenter d’une place sur un parking de supermarché pour dormir dans leur voiture.

Une odeur écœurante de plastique brûlé régnait encore sur le quartier et Virginia dut s’arrêter, s’asseoir sur le bord d’un trottoir pour reprendre son souffle et ne pas vomir. Au fond de son estomac, il y avait à nouveau cette sale crampe vicieuse qui remontait, celle qui ne l’avait pas lâchée pendant des mois après l’incendie de sa ville, la dislocation de sa famille et le départ de son père désormais mutique. Elle ouvrit la bouche en grand, cherchant de l’air.

On aurait dit un matin brumeux. Mais les matins brumeux ne vous prennent pas à la gorge dans des relents suffocants. Regardant autour d’elle en attendant de recouvrer des forces, elle ne pouvait voir au-delà de la première rangée de maisons. Le reste était englouti dans un voile gris de poussière. Plus rien ne tenait debout hormis les arbres séparant les allées et qui devaient donner il y a peu à ce pauvre quartier un faux air de village de vacances. Vêtus de suie noire, privés de leurs branches basses et de leurs aiguilles, ils se tenaient là, raides et gauches comme à un enterrement.

Il fallait chercher au sol les dernières traces de la vie du quartier : sur la pelouse en face d’elle, les restes fondus d’un cabanon de jardin et de chaises longues avaient laissé des empreintes rectangulaires et sombres. Calquer sur ce paysage de cendres des images de petits bonheurs comme un bain de soleil ou une après-midi de jardinage lui était impossible. L’incendie a ceci de radical qu’il efface toute image du passé, pensa Virginia. Il annihile en nous ce qui existait auparavant. Tout ce qu’elle parvenait à imaginer ici, c’était le rideau de flammes qui s’était fermé sur les scènes de son adolescence, vingt ans auparavant.

Depuis, il y avait à nouveau eu de gigantesques incendies dans l’Ouest américain. Chaque année, on atteignait de nouveaux records. C’était la seule manière que les journaux télévisés avaient trouvée pour faire sentir le caractère exceptionnel de ces feux. Mais l’exceptionnel se répétant chaque année ne faisait plus autant recette. Virginia, elle, ne trouvait aucun feu aussi cauchemardesque que celui qu’elle avait elle-même nommé « mon incendie ». D’ailleurs, les journalistes s’y référaient encore aujourd’hui comme à un étalon macabre. Aussi Virginia prenait-elle un soin particulier à couper toute source d’information pendant la période des feux. Période qui se faisait de plus en plus longue au fil des ans.

Il lui avait fallu de nombreuses années pour dépasser sa terreur. Longtemps, elle s’abstint de se rendre dans les restaurants branchés où la dernière mode imposait d’installer une cheminée vitrée, alimentée par du gaz, bien en vue face à la salle. Elle ne supportait pas plus leur version bas de gamme où un écran de télévision diffusait en boucle la vidéo d’un foyer où brûlait perpétuellement la même bûche. Même devant ces simulacres, elle était prise de panique et se recroquevillait en elle-même pour ne pas laisser remonter les souvenirs des cris d’horreur de sa petite sœur et ceux de ses parents les pressant vers la voiture fa
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“L’homme est fait pour écouter les oiseaux et pour leur donner des noms, disait le père, aujourd’hui, le bruit des machines est arrivé aux oreilles des gens et ils ne comprennent pas qu’ils en ont la migraine. Pourtant, c’est normal, nos oreilles sont faites pour entendre le vent dans les arbres et pas plus d’une ou deux voix à la fois. Mais les habitants des villes n’entendent plus rien, car ils sont assourdis par le bruit de la planète entière.“ C’est de ça que le père avait voulu se préserver en venant habiter la montagne, en montant plus haut que les voitures, là où nul n’ose plus se rendre aujourd’hui. Il m’avait emmené là pour que j’apprenne à écouter autre chose que tout ce bruit, m’avait-il expliqué un jour où je lui demandais pourquoi on n’allait pas vivre ailleurs.
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Depuis que je suis tout petit, mon père me laisse m'occuper seul d'un bout du jardin. D'abord minuscule, il a grandi avec moi et mes envies d'expérimenter. Planter une graine et l'observer germer, c'est quelque chose que tous les enfants doivent faire à l'école. Découvrir la magie de la vie, de la force enfermée dans une si petite chose. mais la voir ensuite s'élever doucement vers la lumière , la protéger des attaques des limaces, des lapins et des souris, la voir devenir un vrai légume et s'épanouir en adulte, la laisser monter en graines enfin, pour prévoir sa succession, donner à nouveau la vie, c'est encore autre chose. S'occuper des plantes fait comprendre différemment le temps qui passe. Cela apprend à accepter que tout ce qu'on entreprend ne réussisse pas. Un mois d'attente peut se transformer en un an si l'on a pas entrepris certains travaux en temps voulu. Ce temps-là on ne peut pas le rattraper.
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Mon père m’a instruit à l’école de la montagne et des animaux.
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