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EAN : 9782258202009
288 pages
Presses de la Cité (12/01/2023)
3.79/5   17 notes
Résumé :
Aux États-Unis, Virginia, éleveuse de chevaux, rescapée du premier « méga-feu » à avoir rasé la ville entière de Paradise quinze ans plus tôt, est à la recherche de son père qui les a abandonnés à l’époque dans une Californie aujourd'hui ravagée ; au cœur de la Sibérie, Ianov, ancien soldat revenu d'Ingouchie parti s’isoler dans une ferme que les flammes viennent de détruire, emmène sa jument réchappée et blessée pour son dernier voyage.
Au fil de ce chemin,... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (8) Voir plus Ajouter une critique
Rescapée de l'incendie de Paradise, Virginia cherche à se frayer un chemin, sur les traces de son père, jusqu'à Los Padres, épicentre d'un gigantesque incendie qui ravage la Californie. Ianov erre avec sa jument, rendue folle et aveugle par les flammes qui ont détruit sa ferme et ravagé la Sibérie, bientôt rejoint par d'autres animaux, devenant le berger de cet étrange troupeau : une biche, un blaireau, un couple de lièvres et un cerf, un écureuil et une louve. Asna et Olan, las de batailler pour éteindre, avec des couvertures et des vestes, les foyers qui dévorent les champs de blé de leur village du Kurdistan syrien et anéantissent les récoltes, allumés inlassablement par leurs ennemis, marchent jusqu'aux ports géorgiens sur la mer Noire, aidés par des passeurs.

Les mégafeux sont devenus un phénomène planétaire : la saison des incendies du Sud démarre alors que celle du Nord n'en finit pas, condamnant nombre d'habitants au nomadisme, à trouver refuge dans les métropoles. Aux États-Unis, les réfugiés du feu sont parqués dans des camps de fortune, en bordure d'autoroute. « La ville qui devait sauver les naufragés n'avait rien d'autre à leur offrir que l'indigence d'ordinaire réservée aux migrants illégaux. Cette nécessité impérieuse de fuir qu'on éprouve au plus profond de soi, les riches Américains du Nord ne l'avaient jamais ressentie auparavant. Désormais, ils étaient tous des clandestins en terre inhospitalière. le sens des migrations n'est qu'une question d'époque. » « Quel pays civilisé traite ses victimes comme si elles étaient responsables de leur propre malheur ? Coupables d'écorner le rêve ? » On comprend que si la responsabilité des humains dans la catastrophe qui vient n'est plus à démontrer, certains le sont bien plus que d'autres et doivent s'attendre à un… retour de flamme. Et puis, un groupe d'adolescents va tenter de susciter la stupéfaction, au centre de Manhattan, de dévoiler « l'absurdité toute entière du monde ».

Au-delà de cette représentation épique des conséquences de l'urgence climatique alimentée par un système politico-économique coupable, Antonin Sabot esquisse des idées qui se répandent comme des incendies, imagine une foule, telle une forêt en marche vers les lieux symboliques abritant les responsables des catastrophes, vers un autre possible. Derrière cette histoire destinée à être rattrapée sous peu par la réalité, on devine une métaphore phénixienne : quel monde naitra de ces cendres ? Puissant.

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La guerre, le feu, la fuite

Antonin Sabot confirme tout son talent avec ce roman choral qui va rassembler trois réfugiés climatiques, à la suite de mégafeux qui embrasent la planète. Une fiction dont la probabilité se précise. Est-il déjà trop tard?

Virginia est une rescapée du grand incendie qui a détruit Paradise. Si elle revient dans le Nord de la Californie au moment où de nouveaux feux ravagent la région, c'est qu'elle se sent investie d'une mission. Au milieu d'un paysage ravagé par les flammes, elle veut retrouver son père qui avait fui avec sa mère et ses deux filles pour l'Iowa où il avait tenté de reconstruire une vie qui, il le sentait bien, ne serait plus jamais pareille. du reste, après avoir touché l'argent de l'assurance et pu acheter une maison modeste dans un quartier modeste, il avait fini par s'enfuir.
Ianov est lui aussi un rescapé, mais du côté de la Sibérie orientale. Lui aussi a vu le feu venir ravager la nature jusqu'alors préservée. On disait que même les environs de Moscou n'avaient pas échappé au fléau. C'est avec un sentiment de honte, de n'avoir pu sauver ses animaux, qu'il revient dans les ruines fumantes de sa ferme, un chemin que sa jument a aussi retrouvé et avec laquelle il entreprend de prendre la route pour une contrée moins hostile. Une biche, puis d'autres animaux vont l'accompagner dans son périple. «Ianov se fondait peu à peu dans ce groupe animal. Seuls ses yeux lui donnaient encore visage humain, et il sentait à chaque pas son identité l'abandonner un peu plus. Sombrant dans un désert de lassitude, il décida de ne pas aller plus loin ce jour-là. Il voulait dormir, sentir sa conscience l'abandonner, peut-être pour toujours, et finalement, que lui importait ?»
Asna vit en Syrie, dans la région autonome du Kurdistan. Elle aussi se bat contre le feu. Faire brûler les récoltes est un moyen de pousser les habitants à fuir la région. Une arme de guerre dans un conflit interminable qui lui a déjà pris son amour de jeunesse et conte laquelle elle se bat de toutes ses forces, ne voulant pas abandonner son pays. Olan, son amant, est plus pragmatique. Il entend quitter ces terres brûlées, se chercher un avenir loin de la guerre.
Aux États-Unis, en Russie et en Syrie, ces nouveaux migrants vont gonfler un flot de plus en plus puissant que des autorités dépassées ne peuvent plus endiguer. Virginia, Ianov et Asna ainsi que leurs proches vont finir par se retrouver. La mémoire du drame qu'ils ont partagé va les souder. Mais pour quel avenir?
Solidement documenté, le roman d'Antonin Sabot fait frémir. le lauréat du Prix Jean Anglade 2020 pour Nous sommes les chardons confirme son talent pour ancrer ses personnages au coeur de la nature, même lorsqu'elle est la proie aux flammes. Mais c'est sans doute ce paroxysme qui révèle les hommes dans ce qui les constitue au plus profond d'eux-mêmes.

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Le grand incendie est une dystopie écologique.
Etats-Unis, la Californie est totalement dévastée par les flammes, projetant sur les routes et dans des stades des milliers de personnes qui tentent d'échapper à la catastrophe. Virginia, qui a vécu une tragédie de ce type quand elle était enfant et vit en Oregon, part à contre courant du flux pour tenter de retrouver son père qui était retourné vivre en Californie.
Sibérie, Ianov, fuit au même un incendie qui ravage la Taïga. Lui est à la tête d'un cortège d'animaux qui quittent la forêt pour fuir l'incendie. Cette drôle de troupe marche sans but, essaie juste de fuir les cendres...Le premier contact avec une ville ne sera pas simple...
Asna, au Kurdistan, tente de sauver ce qu'elle peut des récoltes qui sont sous les flammes. Ces terres dont les ancêtres étaient si fiers, qui ont nourri des générations, ne sont plus que cendres....
Partout donc sur la planète, le grand incendie fait rage. A New-York, douze enfants s'immolent devant Wall Street pour protester contre toute l'inaction qui a causé tout cela. Et c'est au pied de ce mausolée que les trois personnages principaux vont se retrouver. Devant toutes leurs pertes, ils ont besoin d'un but, de partager ce qui n'est plus mais qui sera....
C'est une dystopie à la fois violente de réalisme et en même temps très poétique...Les personnages principaux révèlent à la fois beaucoup de force et beaucoup de fragilité, la résilience les habitent.
J'ai beaucoup aimé cette lecture qui amène à la réflexion sur notre planète.
Merci à Netgalley et Presses de la cité pour cette lecture.
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Embrasés
En 2018 la petite ville de Paradise en Californie était anéantie par un gigantesque incendie. Quinze ans plus tard, Virginia quitte l'Oregon où elle était réfugiée, et prend la route pour tenter de retrouver son père, avec lequel elle a perdu tout contact ou presque et qui se trouverait à nouveau au coeur du brasier. Car depuis quinze ans, tout a empiré. La saison des feux n'a plus ni début, ni fin. Tout l'ouest américain est la proie des flammes, jetant sur la route des millions de refugiés. En Sibérie Orientale, un méga-feu a ravagé un territoire immense. Ivanov, un ancien soldat traumatisé par la guerre, y a tout perdu. Lui aussi prend la route, à pieds, accompagnant sa jument agonisante. Ils sont bientôt rejoints par une cohorte improbable d'animaux rescapés fuyant les cendres. Au Kurdistan, Asna et Oslan voient leur village et les récoltes anéantis en quelques minutes par le feu. Un feu déclenché par des bombes incendiaires apportées par de très jeunes terroristes suicidaires. A leur tour ils décident de partir, de tout quitter pour un monde qu'ils espèrent meilleur.
Ce roman d'anticipation apocalyptique est une vraie claque car il dépeint un avenir ultra réaliste. Il suffit de suivre les actualités : chaque année, des incendies toujours plus incontrôlables se déclenchent partout dans le monde (début février 2023 au Chili, été 2022 en Gironde). En cause, le dérèglement climatique certes, mais surtout l'irresponsabilité des hommes, et la culpabilité d'un système économique et politique sans vision pour le futur, exploitant jusqu'à la trame les ressources de la Terre. Un système arrivé à bout de course, tout le monde ou presque est d'accord sur le constat… Alors, tel le phénix, notre monde peut-il renaître de ses cendres ?
En excellent lanceur d'alerte, l'auteur ne donne pas de leçon et diffuse à la fin, un message d'espoir, bienvenu, car ses 288 pages sont très fortes et chargées d'émotions.
Un roman très crédible qui peut aider à la prise de conscience.
Je remercie chaleureusement NetGalley et Les éditions Presses de la Cité pour m'avoir permis de découvrir cet excellent livre.

#LeGrandIncendie #NetGalleyFrance

Paradise https://www.francetvinfo.fr/monde/usa/incendies-en-californie/en-californie-la-ville-de-paradise-tente-de-se-reconstruire-deux-ans-apres-un-effroyable-incendie_4114901.html
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Virginia en Amérique, Asma en Syrie et Ivanov en Russie. Leur point commun ? Ils luttent pour survivre aux incendies gigantesques qui ravagent la planète. Sécheresses extrêmes, manque d'eau, climat déréglé, il n'y a plus que deux choix : l'exode ou la mort pour survivre aux incendies. Aux États-Unis douze adolescents décident de s'imposer par le feu. Est-ce que l'humanité survivra à cette catastrophe climatique mondiale ?
J'ai trouvé cette dystopie très prenante.
L'écriture est immersive car très visuelle. le lecteur n'a aucun mal à s'imaginer les scènes apocalyptiques de ce livre car il suffit d'allumer la télé pendant le journal de vingt heures pour les voir. C'est parfois réaliste au point que je me suis demandé si l'on pouvait vraiment le qualifier de dystopie.
C'est un texte plein d'émotions, face aux tragédies vécues par les personnages principaux. Tout le long, j'ai été en apnée autant que la nature et les protagonistes.
l'auteur let en avant l'importance de la nature pour l'être humain. Quand la nature brûle l'Homme meurt, quand la nature revit l'Homme recommence à respirer.
Cependant, je n'ai pas réussit à comprendre pourquoi New York est le lieu où tout le monde finit par se retrouver, j'aurais aimé que l'auteur choisisse un lieu moins cliché.
Quant à la fin, je reste dubitative et me demande si elle est vraisemblable. Cela dit puisque c'est une dystopie, on se satisfait parfaitement de ce final.
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critiques presse (1)
LeMonde
21 avril 2023
De la Californie à la Sibérie, en ­passant par le Kurdistan, le monde entier, dans Le Grand Incendie, ­d’Antonin Sabot, est dévasté par le réchauffement climatique et la guerre.
Lire la critique sur le site : LeMonde
Citations et extraits (6) Voir plus Ajouter une citation
Les premières pages du livre
États-Unis, nord de la Californie
Virginia était sortie de son pick-up au niveau du panneau Bienvenue à New Haven, un quartier chaleureux où il fait bon vivre. Au-delà, plus une maison, juste quelques pins maigres et noirs qui s’élevaient çà et là. Calcinés. Le quartier avait été littéralement abandonné aux flammes. Des maisons, il ne restait que les minces structures en acier qui les supportaient encore quelques jours auparavant, répondant au quadrillage des rues tracées en damier.

Un monde miniature, qui ne se réveillerait plus. À la taille des habitations on devinait qu’il ne s’agissait pas d’un quartier riche. Ce n’est pas là que les pompiers avaient dû concentrer leurs efforts. L’auraient-ils fait, seraient-ils parvenus à le sauver ?

Le feu arrivé du nord avait attaqué les alentours d’Arcadie. Jusqu’au dernier moment, les autorités avaient espéré pouvoir préserver la ville. Mais, une nuit, le vent avait tourné. L’évacuation avait eu lieu dans l’urgence et chacun n’avait sauvé que ce que pouvait contenir sa voiture. Bizarrement, la plupart des gens se retrouvent à attraper en catastrophe quelques papiers, leur téléphone portable, un ordinateur, leur téléviseur, une peluche pour les enfants, et parfois une arme s’ils en possèdent une. Savoir qu’un risque existe ne suffit pas à en accepter les conséquences. Imaginer que tout peut disparaître serait trop lourd à porter.

Dans les décombres, on devinait aux carcasses de machines à laver et de sèche-linge l’emplacement des buanderies. Et aux tuyaux et robinets tordus celui des cuisines et des salles de bains.

La proximité des maisons avait favorisé la propagation des flammes. Le quartier avait été rayé de la carte en moins d’une heure d’après le journal télévisé local. Mais l’information n’était restée qu’un court temps à l’antenne, car le feu avait poursuivi son œuvre dévoratrice et d’autres lotissements plus cossus avaient été à leur tour menacés. Ce reportage avait suffi à décider Virginia à venir jusque-là.

Ce qui l’avait attirée, c’était que ce lotissement aurait pu pousser n’importe où. Elle-même avait grandi dans un quartier ressemblant à celui-ci, dans une maison à peine plus grande, avait fait du vélo dans une impasse où les voisins avaient toujours un œil dehors. Pour « nous protéger les uns les autres », disaient-ils. Elle descendait du bus scolaire à deux pas de chez elle, mais faisait un détour en rentrant pour voir s’il n’y avait pas quelque chose à récupérer dans la décharge que constituait le jardin du vieux Morris, elle traînait dehors en short court pour manger de la crème glacée avec sa petite sœur les soirs d’été, quand la chaleur infernale des journées s’apaisait un peu. Ensemble, elles regardaient les « grands » du quartier faire les idiots devant leurs voitures avant de partir au cinéma, ou au bar, ou sur quelque parking où les mecs peloteraient les filles qui se laisseraient à moitié faire en riant. Avec sa petite sœur, elles pensaient que c’était à peu près le paradis. À peu près seulement, car les histoires de garçons ne les intéressaient pas encore. Les petites filles de New Haven devaient croire la même chose avant que la désolation ne vienne frapper. Comme elle avait frappé le quartier de Virginia à la fin des années 2010.

Avant de prendre la route, elle avait voulu revoir l’effet des flammes sur la fragile grandeur du rêve américain. Est-ce que des vies entières de labeur peuvent vraiment s’envoler en aussi peu de temps que le disent les journaux ? Une heure pour tout un quartier, une heure pour toutes ces vies. Cela faisait quoi ? Cinq minutes chacun ? Même pas. Les petits pavillons de banlieue avec garage, bordés d’un carré de pelouse bien tondu, flamant rose en déco, arrosage automatique, volets roulants et climatisation en option, s’effondraient sous le poids des ambitions de leurs propriétaires. Un songe dont elle avait elle-même été sortie avec fracas, âgée d’à peine quatorze ans, quand sa maison, censée les protéger, était partie en fumée.

Pendant plusieurs mois, ils avaient été hébergés dans un gymnase municipal, avec certains de leurs anciens voisins. Ceux qui n’avaient pas péri dans leur voiture, pris au piège. Mais cette fois, il n’y avait plus de murs pour les séparer les uns des autres, seulement de fins rideaux gris, accrochés à des montants métalliques. Les « grands » ne faisaient plus les idiots, et les adultes ne surveillaient plus les impasses à l’arrière des maisons.

L’équipe d’une chaîne d’information en continu s’était introduite dans le gymnase. Ils avaient dû soudoyer un employé de la mairie pour entrer, ou peut-être s’étaient-ils faufilés après l’un des rescapés pour filmer leurs conditions de vie. D’ordinaire, ces types tournaient des reportages sur des Cubains qui traversaient l’océan sur des radeaux de fortune, ou des victimes de tsunami à l’autre bout du monde. De pauvres étrangers. Et ça ne choquait personne. Cette fois, « ceux du Gym », comme on avait fini par appeler les réfugiés, n’étaient pas d’accord pour que l’on montre la misère dans laquelle ils étaient tombés, la queue pour aller aux toilettes ou aux douches, la bouffe immonde qu’on leur servait et les habits sales de leurs gamins.

« Ça vous aidera à obtenir de meilleures conditions de vie », avaient argué les types de la télé. Mais ça n’avait rien changé. Au contraire, le Gym avait été fermé trois mois plus tard par les autorités prétextant l’insalubrité du lieu, et ses occupants avaient dû chercher à se loger ailleurs. Virginia et sa famille étaient parties chez une cousine, dans les Grandes Plaines, loin des forêts.

Durant toute cette période et après avoir fait une crise de nerfs le premier jour dans le gymnase, son père n’avait plus dit un mot. C’est sa mère qui avait dû expliquer leur situation aux agents de la FEMA, l’agence fédérale en charge des situations d’urgence, à l’assistante sociale envoyée par la mairie, et qui avait interdit au cameraman de les approcher, elle et sa famille. La petite sœur de Virginia ne desserrait les lèvres que pour laisser s’en échapper une plainte que seule parvenait à calmer leur mère en la prenant sur ses genoux.

Une foule de détails remontait en Virginia alors qu’elle posait les yeux sur le quartier dévasté de New Haven. La police n’avait même pas pris le temps de poser des rubans pour délimiter les lieux interdits d’accès et aucune patrouille ne semblait vouloir passer, signe que personne ne craignait les pillards. Il n’y avait rien à voler. Repérant la carcasse d’un vélo d’enfant, la jeune femme se prit à espérer que les habitants de New Haven seraient mieux traités qu’elle ne l’avait elle-même été. Elle en doutait pourtant. Tant de monde avait perdu sa maison cet été. Peut-être n’auraient-ils même pas le droit à un coin de gymnase et devraient-ils se contenter d’une place sur un parking de supermarché pour dormir dans leur voiture.

Une odeur écœurante de plastique brûlé régnait encore sur le quartier et Virginia dut s’arrêter, s’asseoir sur le bord d’un trottoir pour reprendre son souffle et ne pas vomir. Au fond de son estomac, il y avait à nouveau cette sale crampe vicieuse qui remontait, celle qui ne l’avait pas lâchée pendant des mois après l’incendie de sa ville, la dislocation de sa famille et le départ de son père désormais mutique. Elle ouvrit la bouche en grand, cherchant de l’air.

On aurait dit un matin brumeux. Mais les matins brumeux ne vous prennent pas à la gorge dans des relents suffocants. Regardant autour d’elle en attendant de recouvrer des forces, elle ne pouvait voir au-delà de la première rangée de maisons. Le reste était englouti dans un voile gris de poussière. Plus rien ne tenait debout hormis les arbres séparant les allées et qui devaient donner il y a peu à ce pauvre quartier un faux air de village de vacances. Vêtus de suie noire, privés de leurs branches basses et de leurs aiguilles, ils se tenaient là, raides et gauches comme à un enterrement.

Il fallait chercher au sol les dernières traces de la vie du quartier : sur la pelouse en face d’elle, les restes fondus d’un cabanon de jardin et de chaises longues avaient laissé des empreintes rectangulaires et sombres. Calquer sur ce paysage de cendres des images de petits bonheurs comme un bain de soleil ou une après-midi de jardinage lui était impossible. L’incendie a ceci de radical qu’il efface toute image du passé, pensa Virginia. Il annihile en nous ce qui existait auparavant. Tout ce qu’elle parvenait à imaginer ici, c’était le rideau de flammes qui s’était fermé sur les scènes de son adolescence, vingt ans auparavant.

Depuis, il y avait à nouveau eu de gigantesques incendies dans l’Ouest américain. Chaque année, on atteignait de nouveaux records. C’était la seule manière que les journaux télévisés avaient trouvée pour faire sentir le caractère exceptionnel de ces feux. Mais l’exceptionnel se répétant chaque année ne faisait plus autant recette. Virginia, elle, ne trouvait aucun feu aussi cauchemardesque que celui qu’elle avait elle-même nommé « mon incendie ». D’ailleurs, les journalistes s’y référaient encore aujourd’hui comme à un étalon macabre. Aussi Virginia prenait-elle un soin particulier à couper toute source d’information pendant la période des feux. Période qui se faisait de plus en plus longue au fil des ans.

Il lui avait fallu de nombreuses années pour dépasser sa terreur. Longtemps, elle s’abstint de se rendre dans les restaurants branchés où la dernière mode imposait d’installer une cheminée vitrée, alimentée par du gaz, bien en vue face à la salle. Elle ne supportait pas plus leur version bas de gamme où un écran de télévision diffusait en boucle la vidéo d’un foyer où brûlait perpétuellement la même bûche. Même devant ces simulacres, elle était prise de panique et se recroquevillait en elle-même pour ne pas laisser remonter les souvenirs des cris d’horreur de sa petite sœur et ceux de ses parents les pressant vers la voiture fa
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Ianov se fondait peu à peu dans ce groupe animal. Seuls ses yeux lui donnaient encore visage humain, et il sentait à chaque pas son identité l’abandonner un peu plus. Sombrant dans un désert de lassitude, il décida de ne pas aller plus loin ce jour-là. Il voulait dormir, sentir sa conscience l’abandonner, peut-être pour toujours, et finalement, que lui importait ? L’idée que ses compagnons s’en prendraient peut-être à son corps pendant la nuit, qu’ils ne laisseraient que ses os sur la rive moussue d’un ruisseau, l’effleura, mais ne l’effraya pas. Il ne ferait alors que continuer à se fondre en eux. De toute façon, il ne voulait pas lutter plus longtemps. Il s’endormit en goûtant la fraîcheur des herbes perlées de fines gouttelettes. p. 84
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Syrie, région autonome du Kurdistan
Avant de sortir de l’épicerie abandonnée qui lui servait de logement, Asna saisit le lourd manteau militaire qui reposait sur l’unique chaise de la pièce. C’était son ancien petit ami qui le lui avait offert avant de partir au combat et de ne jamais en revenir. Elle le haïssait pour cela aussi fort qu’elle l’avait un jour aimé. Mais elle n’avait pas le temps de s’abandonner à la nostalgie. D’ailleurs, elle avait décidé depuis longtemps de ne plus penser à cet homme qui l’avait tant fait souffrir. Il n’était plus là pour la protéger, alors que les sirènes retentissaient pour la seconde fois dans le mois. Comme elle avait espéré ne plus avoir à les entendre ! Combien de prières silencieuses avait-elle adressées à une entité en laquelle elle ne croyait pas vraiment, mais qui par moments la réconfortait ? Elle n’aurait su le dire, mais elle les avait crues exaucées. Le temps des moissons était si proche, ça aurait bien été le diable ! Le Mal avait sans doute décidé d’attendre le dernier moment pour frapper et anéantir les espoirs d’Asna et des siens. Les champs brûlaient et toutes les personnes valides du village se précipitaient pour essayer de sauver ce qui pouvait encore l’être.
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Les incendies avaient débuté près de Moscou. La capitale russe avait l’habitude de passer la fin de l’été un foulard noué sur la bouche. Les fumées pouvaient venir de loin. Chaque année, une partie des forêts environnantes se consumait. Si le vent était défavorable, il charriait un air vicié qui venait ajouter à la pollution suffocante de juillet et d’août. On demandait aux vieux de rester chez eux, de ne plus descendre discuter ou jouer aux échecs dans les parcs. On faisait comprendre aux vieilles qu’il valait mieux cesser un moment de sortir nourrir les chats errants de leur quartier. Celles qui le faisaient tout de même se plaignaient aux passants de ces restrictions stupides. Selon elles, on pouvait mesurer la gravité des incendies à la maigreur des chats moscovites.
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Quel pays civilisé traite ses victimes comme si elles étaient responsables de leur propre malheur ? Coupables d’écorner le rêve ?
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