Je crois même que je souris, malgré mon corps en nage, avec ces émotions et cette chaleur accablante. Mais je souris de le savoir là, avec moi, pendant que des larmes trahissent ma pudeur et mon bonheur.
- Papa est là, p'tit mec... Mon p'tit mec à moi, hein... pour la vie ? Je lui dis bouleversé.
Mon fils est encore minuscule et fragile, mais je comprends à cet instant combien il est déjà immense dans mon existence.
Ça me fait un truc. Je n'ai jamais eu cette responsabilité avant. La sensation est étrange, très forte. Trop. C'est là que je deviens père pour de bon ?
J'ai mal, avec une envie de dégueuler, de m'évanouir, de mourir après chaque seconde à laquelle je parviens à survivre. J'ai chaud, le corps abîmé, meurtri, épuisé. Le corps en alerte, piqué par des aiguilles de souffrance qu'on m'enfonce jusqu'au cœur.
Qu'est ce qui est si précieux que ça mérite d'en crever ? De faire assassiner une famille entière ?
Oui, Max, Maman est morte.
Et on va crever nous aussi. C'est ça, la vérité. Et la vérité est cruelle et laide. Notre sentence est intolérable. Tout ça est ignoble et va nous empêcher tous les deux de respirer. J'ai tout bousillé, tout détruit. Je viens de perdre la femme que j'aime. C'est moi qui l'ai tuée. C'est ma faute. Je viens d'anéantir la vie de mon fils, en tout cas une bonne partie, surement la plus douce, celle de l'enfance. Comment survit-on à la mort de sa mère ? je suis impardonnable.
J'avais sept ans quand la mienne est partie. Ca m'a démoli, ça a bousillé ma vie d'enfant et gâché mon adolescence. Quand je suis devenu un homme, elle me manquait encore. J'y pense souvent. Beaucoup trop.
Je suis en colère, épuisé d'être en colère. On veut me tuer aujourd'hui. C'est fait. C'est réussi. Je suis mort, déjà crevé et bien enterré, depuis que je me suis réveillé ce matin.
J'ai perdu, tout perdu, ma femme, ma Jeanne et ce qu'il existe de plus cher, de plus vital, essentiel, ce qui est le poumon de chaque individu : mes enfants. On a pris mon oxygène. Je ne peux plus respirer.
L'idée d'abîmer Maxime, ce sont des coups de poignard qu'on m'enfonce profondément dans le cœur. C'est une torture, un supplice. On devient père pour aimer et protéger, pas pour engendrer des larmes et du malheur, ni pour faire couler la misère dans le sang des siens.
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Malheureux que je suis.
Mais je remercie, machinalement, à cause de mon éducation, cet homme laid qui sent la transpiration et le linge mal séché. Je vais dégueuler de nouveau. Je respire calmement, en faisant quelques pas dans le salon-bibliothèque pour ne plus affronter ce type dont le faciès est si affreux.
Le chagrin et la peine saisissent tout mon corps, comme des coups de tenaille qu'on m'enfoncerait. Des clous dans ma chair. J'ai mal. Trop mal. Je n'y arrive pas. Pas à faire le moindre geste,ne serait-ce qu'un seul mouvement. Faut appeler la police. Faut venir m'aider. Je vous supplie, mon Dieu, je vous implore leurs vies sauves. Que vous ai-je fait? Pourquoi ? Dans quel monde suis-je?
Je suis abattu.
Ma femme est morte. Mes enfants ont disparu.
-RENDEZ-LES-MOI ! je finis par rugir.
Je ne réponds rien. Je ne décroche à personne. Je n'ai rien à dire ni à raconter. Parce que ma vie s'éteint sans celle des miens.