Aurore Barillon

Sa vue se brouille quand elle reçoit le premier coup. Le revers de sa main, celle avec la chevalière de son père, s’abat sur son visage. Elle sait que son arcade sourcilière vient de se fendre. Le sang ne tarde pas à couler le long de sa joue.
Elle se retient de plaquer sa main libre sur la plaie. Ce geste pour contenir la douleur attisera sa fureur. Cependant, il arrive que son manque de réaction le pousse à redoubler de violence. C’est le cas.
Les gifles pleuvent. Elle parvient à s’écarter. Il la rattrape et la projette contre le réfrigérateur. Quand elle comprend qu’il va encore la frapper au visage, elle place ses bras en bouclier. Cette mince protection ne l’arrête pas.
Ses jambes ne la portent plus.
Elle s’affaisse.
Alors, les coups de poing se changent en coups de pied.
Son esprit se replie sur lui-même, rétrécissant chaque fois un peu plus.

Les propos de Moira n'avaient aucun sens pour sa fille. Qui était donc ce Keith ? Sa mère semblait penser qu'elle avait un frère. Était-ce le cas ? Pourquoi ne l'avait-elle jamais mentionné auparavant ? Aileen sentit l'angoisse peser sur sa poitrine. À chaque fois que les traits de sa mère se déformaient, elle souffrait. [...]
- Maman, dis-moi à qui tu parles ! Je ne comprends plus rien... Qui est ce Keith ?
- Mon frère, voyons. Ne sois pas sotte !
- Tu n'as pas de frère.
- C'est vrai, tu as raison : je ne devrais pas la blâmer. Elle ignore tout.
- Explique-moi. Qu'est-ce que j'ignore ?
- Le passé... le passé de ma famille.

Le bruit de la clef dans la serrure, puis le grincement de la poignée que l’on abaisse. Ces sons sinistres résonnèrent dans le couloir silencieux. Aileen resta encore un moment sur le seuil. Elle savait qu’à l’instant où elle le franchirait et entrerait dans son appartement, plus aucun rempart ne la protégerait du flot de larmes qui, depuis ce matin, menaçait de la submerger. La porte entrebâillée laissait passer le froid qui régnait dans le logement.

Vous me semblez être une jeune femme intelligente. Je n’ai qu’un conseil à vous prodiguez : laissez tomber cette histoire. Oubliez-la. Remuer le passé n’apporte rien de bon et peut entrainer de fâcheuses conséquences. Concentre-vous sur votre présent, sur votre vie, que vous restiez en cosse ou que vous retourniez chez vous.

Pourquoi pleurait-elle ? De colère ? De tristesse ? D’un peu tout à la fois. Ces derniers temps, ses yeux semblaient s’animer d’une volonté propre de s’inonder sans raison précise.