[septuagénaires, dans les années 70]
- Veux-tu m'épouser ?
- Tu veux dire être mari et femme ?
- Exactement. Pourquoi cette question ? Ah, je vois ! Tu fais allusion au 'devoir conjugal'. Je n'aime pas cette expression, il y en a d'autres beaucoup plus jolies, plus imagées, plus vraies... J'arrête, mais enfin, j'aurais pu mieux faire. C'est ça qui te trouble ou qui te rebute ?
(p. 212)
[années 1920]
Les affiches de mode renvoient l'image d'une France mince et élégante. La simplicité du jour devient le luxe extrême, la nuit seule autorise toutes les audaces. [...] Les jambes sont interminables, les bras prolongés par des porte-cigarettes qui accentuent la minceur. Modigliani est mort il y a peu de temps, mais la France qui travaille est rondelette, petite, bien solide sur ses deux pieds. Le décalage entre le monde rêvé des artistes et la réalité se creuse.
(p. 73)
- Mone, si tu y vas tous les jours, elle va s'habituer. Tu n'auras plus de vie, plus de liberté. Pour l'instant, [elle] est en pleine santé. Passe de temps en temps, fais-lui quelques courses, mais n'y va pas régulièrement.
- Mais, maman, elle m'attend.
- Tu vois, elle a déjà pris l'habitude. Si c'est une surprise, elle te remerciera chaque fois. Si cela devient une habitude, elle te fera des reproches le jour où tu n'iras pas.
(p. 43-44)
Le bonheur n'est-il "rien d'autre qu'un festin de miettes" ?
--Je vais te masser les chevilles.
--Tu sais que je n'aime pas que tu les regardes.
--Mais ce sont les tiennes,je les trouve belles.
Mone voulut sourire mais ses lèvres entrouverte se figèrent
.Serge leva la tête, il comprit aussitôt. Il continua à masser la cheville si fine.Il voulait prolonger la vie dans ce corp inerte.Ses larmes coulaient.Il se leva ,approcha sa chaise et posa sa tête sur son amour perdu.
L'appétit de vivre reprit ses droits.Les femmes désiraient plaire à nouveau, les hommes voulaient être séduits. La guerre avait mis un terme à la créativité et de nombreux couturiers avaient cessé d'exercer.La pénurie de tissus, les difficultés de commercialisation rendaient la haute couture obsolète. Mais à la fin des années quarante, Paris retrouvait son prestige.Christian Dior et Coco Chanel se disputaient la première place,avec des visions de la femme tout à fait opposées. Leurs différences s'expliquaient parfaitement, à l'aune de leur propre point de vue.Chanel incarnait la femme vue par une femme à travers un être indépendant et libre quand Dior montrait la femme vue par un homme belle et objet de désir.
On frappe.Mone ne lève pas la tête, elle sait qui vient.Elle continue son ouvrage,un petit sourire aux lèvres.La porte s'ouvre et on entend une multitude de clochettes tintinnabuler.
--Je suis venue aussi vite que j'ai pu .Il se passe de drôles de choses au château.La petite Jeanne est enceinte!Enfin tout le monde le pense et je le pense aussi.
Sans arrêter son mouvement,Mone hoche la tête et murmure un 《 hum!hum!》 équivoque. On ne sait pas si elle s'étonne ,s'inquiète où condamne.
Mone est repasseuse depuis plus de quarante ans.Nous sommes en 1965. Elle n'a jamais quitté Senlis et pourtant ,elle sait tout ,sur le monde ,sur les gens ,mais surtout sur Senlis.Elle sait tout grâce au linge qu'on lui apporte chaque jour.Les gens parlent mais le linge aussi......
- On ne pourra jamais t'enlever ce que tu as déjà eu, disait sa mère.
On dirait un de ces livres de littérature classique que l'on devait étudier en classe, lorsque j'étais en Primaire, un de ces livres qui photographient la Société d'une époque, un de ces livres qui brossent les petites gens pratiquant ces petits métiers d'un monde qui nous semblent si loin aujourd'hui.
Pourtant l'action de ce récit se situe dans la première moitié du XXème siècle, de la Première Guerre Mondiale (alors que l'instruction était obligatoire jusqu'à l'âge de treize ans) jusque dans les années 1960.
Le point de vue de l'héroïne sur le monde qu'elle habille est riche d'une immense ouverture d'esprit sur le genre humain dans ce siècle tumultueux.
J'ai été extrêmement touchée par Mone.
Très bonne lecture
Elle ne voulait se poser aucune question et se laisser porter par les évènements.Si elle devait être déçue,elle le serait,si elle devait être heureuse,elle en jouirait