« Lautre art contemporain : vrais artistes et fausses valeurs » avec Benjamin Olivennes
L'Europe, au cours des quatre ou cinq derniers siècles, a progressivement cessé de croire en Dieu ; et du même mouvement elle a mis à l'art au sommet de sa hiérarchie spirituelle. Les œuvres d'art s'échangent désormais à un prix qui ne peut être compris que si l'on se rappelle cette dimension sacrée : ce sont des saintes reliques que les millionnaires et les États veulent acquérir. L'artiste, devenu Créateur (mot théologique s'il en est), a progressivement conquis une pleine autonomie, une indépendance qui a pu aller jusqu'au caprice. De la sacralisation de l'art, puis des artistes, on est passé à la revendication soixante-huitarde de pouvoir vivre comme des artistes. Les bourgeois on voulu être bohèmes. Les esprit les plus intelligents du début du siècle, inquiets de cette divinisation de l'artiste, avaient voulu se jeter dans la provocation et la farce pour nous faire prendre conscience de notre idolâtrie: ils n'obtinrent par le retour à la raison, mais la déification du nihilisme, comme l'avait prévu leur maître Nietzsche. Un siècle plus tard, les provocations sophistiquées de la bohème française sont devenues le business fructueux de publicitaires américains.
(Il faudra d'ailleurs un jour s'interroger sur la capacité de l'Angleterre à résister à toutes les bêtises du XXè siècle, le fascisme, la stalinisme, l'euro, la peinture d'avant-garde, la musique atonale, le Nouveau Roman ; sur son goût pour les littératures de genre et pour enfants, Tolkien, Alice au Pays des Merveilles, Peter Pan, Dracula, Frankenstein, Sherlock Holmes et Agatha Christie, jusqu'à Harry Potter ; sur sa tradition maintenue du chant choral et de la mélodie, de Britten aux Beatles ; sur l'humour que les anglais maintiennent même quand ils s'adonnent aux avant-gardes, avec Gilbert et George par exemple. Mais c'est un autre sujet, et il se peut que cet immense bon sens ait été extirpé, dans le même temps que leur gastronomie s'améliorait.)
p. 137 [sur les caractéristiques d’un art français] on peut dégager une esprit général : le monde réel observé mais reconstruit par la géométrie, un équilibre entre la raison et le sentiment, entre le cartésianisme et l’épicurisme, entre le dessin et la couleur : un certain classicisme, une exagération sans démesure ; et du sein de ce classicisme un amour paisible pour le paysage et l’ici-bas, pour la vie sur terre, pour les femme et la chère, pour la lumière et l’instant présent…
p. 113 la peinture ne me demande pas d’agir, de parler avec quelqu’un, de mener quelque chose jusqu’à son terme : elle me permet au contraire de me retirer du monde, de m’absorber dans la contemplation de celui des autres. Ici le voyeurisme est frère de l’impuissance : on jouit des yeux pour ne pas agir. On passe de longues heures au musée pour oublier qu’on existe, mettre son corps mal aimé entre parenthèses, quitter le monde en ne vivant plus que par la vue et la pensée.
p.24 L’œuvre nous apprend à voir et à aimer ce qu’elle représente et que nous n’aurions peut-être pas vue sans elle : un paysage, un visage, un moment.