Citations de Benoît Gallot (26)
Et ma tombe, tiens, à quoi ressemblerait-elle ? Il m'arrive bien sûr d'y songer également mais, comme beaucoup, j'ai du mal à me projeter. A bien y réfléchir, je crois que j'aimerais avoir une sépulture assez grande, pour pouvoir y reposer avec mon épouse et nos enfants s'ils le souhaitent. Elle prendrait la forme d'un jardinet au milieu duquel un arbuste serait planté pour que les rouge-gorges puissent y nicher. Un petit banc permettrait à ceux qui viendraient se recueillir ou seraient simplement de passage de s'asseoir. (...) Une jardinière, posée en pied, resterait vide pour recevoir l'eau de pluie, servir d'abreuvoir aux renards et de piscine aux oiseaux.
Bref, J'aimerais que ma sépulture soit un lieu de vie.
Mes chers amis , quand je mourrai,
Plantez un saule au cimetière.
J'aime son feuillage éploré ;
La pâleur m'en est douce et chère
Et l'ombre sera légère
À la terre où je dormirai
Alfred de Musset
Jim Morrison sera-t-il détrôné un jour en termes de popularité ? Johnny Hallyday constitue assurément l'occasion manquée. Le French Elvis était prédestiné au Père-Lachaise, mais ses proches en ont décidé autrement. Parfois, j'imagine ce qu'aurait généré sa présence, et cela me donne des sueurs froides : un défilé permanent d'admirateurs, le bruit incessant des santiags sur les pavés, les tubes entonnés par les fans, les commémorations rassemblant des milliers de personnes à chaque date anniversaire, des évacuations difficiles, voire les intrusions nocturnes de ceux voulant "retenir la nuit" auprès de leur idole, les immanquables tags et autres grigris rock'n'roll sur sa sépulture, etc. Tout compte fait, et très égoïstement, je l'admets, je me satisfais du choix du cimetière de Saint-Barthélemy qui m'épargne bien des soucis.
Tout compte fait, les morts sont des voisins que j'apprécie beaucoup. Locataires très discrets, ils ne causent jamais de tapage nocturne, ne viennent jamais taxer des œufs ou de la farine à des heures indues, pas plus qu'ils ne laissent de messages désagréables dans la cage de l’ascenseur. Si certains sont très connus et reçoivent beaucoup de visites durant la journée, leur domicile retrouve toujours un silence profond dès la fermeture des lieux. Plus appréciable encore, ils ne se plaignent jamais du bruit causé par mes enfants ou de la musique un peu trop forte lors des soirées entre amis.
C'est à partir de la seconde moitié du XIXe siècle que l'art funéraire connut son âge d'or. Les familles de notables abandonnèrent alors toute idée de sobriété pour bâtir des monuments résolument imposants, censés refléter leur position sociale et célébrer leur réussite. "Être enterré au Père-Lachaise, c'est comme avoir des meubles en acajou. L'élégance se reconnaît là", écrivit Victor Hugo dans "Les Misérables".
Passant qui passez
Comme vous j'ai passé
Comme moi vous passerez
Nature au cœur profond sur qui les cieux reposent,
Nul n’aura comme moi si chaudement aimé
La lumière des jours et la douceur des choses,
L’eau luisante et la terre où la vie a germé.
La forêt, les étangs et les plaines fécondes
Ont plus touché mes yeux que les regards humains,
Je me suis appuyée à la beauté du monde
Et j’ai tenu l’odeur des saisons dans mes mains.
Anna de Noailles
Le Père-Lachaise, c'est le Disney Land du funéraire !
Alors nous entrons dans le cimetière
Et nous lisons avec gravité les pierres
Toutes ces personnes, toutes ces vies
Où sont elles maintenant ?
Devant toutes ces sépultures et leurs épitaphes, je quitte parfois mon regard de professionnel pour me laisser gagner par des questions existentielles...Et moi alors? Quel rapport est-ce que j'entretiens avec ma propre mort? J'y pense, bien entendu. Pas tout le temps, mais probablement plus que la moyenne.
On ne badine pas avec le saule de Musset. Mais nous avons beau faire le maximum pour satisfaire ses desiderata, nos meilleures intentions se soldent immanquablement par un fiasco. Depuis des décennies, si l'administration tente en effet de respecter la volonté de l'auteur de "Lorenzaccio", tous les saules successivement plantés ont eu la fâcheuse particularité de mourir jeunes. La faute à la nature du sol du cimetière qui ne se prête pas au développement de cette essence d'arbre, laquelle, pour croître, réclame un terrain humide et frais. Le dernier saule a été planté en 2020.
Il s'agit d'une variété capable, paraît-il, de s'adapter à un terrain sec. Souhaitons-lui une longue vie.
Pour le premier anniversaire de l'armistice le 11 novembre 1919, Raymond Poincaré, président de la République, ordonna de fleurir toutes les tombes des soldats tombés au front. Les Français trouvèrent l'idée excellente et choisirent le chrysanthème, qui n'avait rien demandé, mais dont la floraison tardive tombait à point. Cette tradition devait finalement s'étendre à tous les défunts, faisant des chrysanthèmes les fleurs attitrées des cimetières.
La mort ne m'obsède nullement. Je la vois à peine. Gérer un cimetière, c'est d'abord accompagner les vivants.
Pour répondre à la demande croissante suscitée par ce nouveau culte des morts, le Père-Lachaise fit l'objet de cinq agrandissements jusqu'en 1850 pour atteindre sa superficie actuelle de 43,20 hectares, la même que le Vatican.
De la à me considérer comme le pape du funéraire, il n'y a qu'un pas, que je ne franchirai pas.
La véritable vie après la mort ne serait-elle pas celle qui se prolonge dans la mémoire des vivants ? Dans son ouvrage "Vivre avec nos morts", la rabbine Delphine Horvilleur rappelle que cimetière signifie en hébreu la "maison des vivants" ; je pense que cette appellation est très juste : en nous renvoyant au souvenir de nos chers disparus, les tombeaux et leurs inscriptions offrent à ceux-ci une "seconde vie". Aussi longtemps qu'une personne vivante sur cette Terre sera en mesure de penser à eux, ils seront sauvés du néant. Jean d'Ormesson l'a parfaitement résumé dan son discours de réception à l'Académie française, le 6 juin 1974 : "Il y a quelque chose de plus fort que la mort : c'est la présence des absents dans la mémoire des vivants et la transmission, à ceux qui ne sont pas encore, du nom, de la gloire, de la puissance et de l'allègresse de ceux qui ne sont plus, mais qui vivent à jamais dans l'esprti et dans le coeur de ceux qui se souviennent."
Au delà du Père-Lachaise, c'est tout un monde dont j'aimerais enfin ouvrir les portes à mes lecteurs. Entre le minéral des sépultures et le vert des allées, leur donner un accès à un univers ignoré, parfois mal considéré car redouté, et qui n'a pourtant, d'autre finalité que de poser un baume de paix sur leurs chagrins. Puissent-ils ainsi, au détour de ces pages, sourire, s'interroger, s'émerveiller... et peut-être même, qui sait, trouver un peu de réconfort.
"Ils furent émerveillés du beau voyage qui les mena jusqu'au bout de la vie."
Page 223
J'aimerais que ma sépulture soit un lieu de vie.
Si l'on additionne ces différentes catégories, le nombre de défunts qui reposent au Père-Lachaise peut être estimé à 1,3 million. Les 218 années d'archives n'ayant pas toutes été numérisées ni saisies informatiquement, il ne peut toutefois s'agir que d'une extrapolation calculée à partir des registres de la conservation et de certaines sources historiques.
C'était aussi le lieu où une adorable famille de renards avait décidé d'élire domicile. Dans un Paris vide, pétrifié, et replié sur lui-même, ces boules de poils étaient des bulles d'espoir.