[La] carence de la géométrie [fait] que la littérature des sciences — sans même s'en excuser — ne comportait pas de réponse utile à des questions pourtant incontournables dont voici des exemples :
« Comment mesurer la volatilité des chroniques boursières, ne serait-ce que pour pouvoir évaluer les risques financiers de façon réaliste ? »
« Combien mesure la côte de Bretagne ? »
« Comment peut-on caractériser la forme d'un côté, d'un rivière, d'une ligne de partage des eaux ou de la frontière d'un bassin d'attraction, non point hydraulique, mais dynamique ? »
« Comment peut-on mesurer et comparer les rugosités d'objets communs, tels qu'une pierre cassée, un talus, une montagne ou un bout de fer rouillé ? »
« Quelle est la forme d'un nuage, d'une flamme ou d'une soudure ? »
« Quelle est la densité des galaxies dans l'Univers ? »
Plus généralement, dès le début de ma carrière scientifique, j'ai conclu que de nombreuses formes du réel sont à tel point irrégulières ou brisées, que la complexité de la Nature dépasse de façon non pas quantitative mais qualitative tout ce qu'on admet la géométrie d'Euclide. Un petit nombre de longueurs significatives distinctes suffit pour caractériser un intervalle ou un cercle, mais pour les objets naturels, ce nombre est si grand qu'il est en pratique infini.
L'existence de tels objets posait un défi : il restait décrire la forme de ce que la géométrie déclarait « informe » ou « amorphe ». Ce défi n'était pas entendu.
La notion qui lui sert de fil conducteur sera désignée par l’un de deux néologismes synonymes, "0bjet fractal" et "fractale", termes que je viens de former, pour les besoins de ce livre, à partir de l’adjectif latin fractus, qui signifie "irrégulier ou brisé".