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Citations de Bohumil Hrabal (199)


Et pendant que l'ouvrier montait le mur, il me regardait, je le regardait me regarder.
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Ma chère Doubenka, parce qu'autrefois je vous disais que Cassius était mon Winnie l'ourson, que parfois dans son visage je retrouve les traits de Vaclav Havel, aujourd'hui président, j'ose espérer que mes concitoyens ne s'apprêtent pas à faire au président ce que mes chats ont fait au beau Cassius, ils ont comploté contre lui ; j'espère, Doubenka, qu'au moins cette lettre vous apprendra que mon petit matou ne m'a pas oublié, que ce sont ses rivaux plus forts qui l'ont obligé à abdiquer, à émigrer, à disparaître de leur vue ...

p. 73
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(Cassius le chat dans l'émigration).
Chère Doubenka, mon matou m'a fait penser à l'auteur des "Reportages en retard" qui a terminé son émigration assis pendant des semaines, des mois, des années dans sa villa en Autriche à regarder au télescope le château de Bratislava, il contemplait sa patrie comme mon matou dans son émigration à l'arrêt du car sous le tableau d'affichage contemple sa vie et la mienne ... et d'ailleurs il est fort possible que Ladislav Mnacko, maintenant qu'il est rentré à la maison, regrette souvent (de) sa petite villa en Autriche et son télescope ...

p. 80
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"Les ouvriers déchiraient les paquets, en tiraient des livres tout neufs, arrachaient les couvertures et jetaient leurs entrailles sur le tapis ; et les livres, en tombant, s'ouvraient ça et là, mais personne ne feuilletait leurs pages. C'était du reste bien impossible, la chaîne ne souffrait pas d'arrêt comme j'aimais à en faire au-dessus de ma presse. Voilà donc le travail inhumain qu'on abattait à Bubny, cela me faisait penser à la pêche au chalut, au tri des poissons qui finissent sur les chaînes des conserveries cachées dans le ventre du bateau, et tous les poissons, tous les livres se valent... Enhardi, je me hasardai à grimper sur la plate-forme qui entourait la cuve ; oui, vraiment, je m'y promenais comme à la brasserie de Smichov où l'on brasse en une fois cinq cents hectolitres de bière, appuyé à la rampe comme sur l’échafaudage d'une maison en construction je baissais les yeux sur la salle ; comme dans une centrale électrique, le tableau de commande brillait d'une dizaines de boutons de toutes les couleurs, et la vis tassait, pressurait ces rebuts avec autant de force que lorsqu'on serre un ticket de tram entre ses doigts sans y penser. Épouvanté, je regardais autour de moi ; le soleil éclairait les vêtements des ouvriers, leurs pulls, leurs casquettes se perdaient dans une débauche de couleurs, criardes comme les plumes d'oiseaux étranges et bariolés, des perroquets, des loriots ou des martins-pêcheurs. Ce n'était pas cela qui me glaçait ; en l'espace d'une seconde, je sus exactement que cette gigantesque presse allait porter un coup mortel à toutes les autres, une ère nouvelle s'ouvrait dans ma spécialité, avec des êtres différents, une autre façon de travailler. Fini les menues joies, les ouvrages jetés par erreur ! Fini le bon temps des vieux presseurs comme moi, tous instruits malgré eux ! C'était une autre façon de penser... Même si l'on donnait, en prime, à ces ouvriers un exemplaire de tous les chargement, c'était ma fin à moi, la fin de mes amis, de nos bibliothèques entières de livres sauvés dans les dépôts avec l'espoir fou d'y trouver la possibilité d'un changement qualitatif. Mais ce qui m'acheva, ce fut de voir ces jeunes, jambes écartées, main sur la hanche, boire goulûment à la bouteille du lait ou du coca-cola ; elle était bien finie, l'époque où le vieil ouvrier, sale, épuisé, se bagarrait à pleines mains, à bras-le-corps, avec la matière ! Une ère nouvelle venait de commencer, avec ses hommes nouveaux, ses méthodes nouvelles et, quelle horreur, ses litres de lait qu'on buvait au travail alors que chacun sait qu'une vache préférait crever de soif plutôt que d'en avaler une gorgée."
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Les cieux ne sont pas humains et la vie, hors de moi et en moi, ne l'est pas davantage.
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...et moi qui avais servi l'empereur d’Éthiopie, je devinais enfin ce qui les rendait si attachants, c'était l'éventualité de ne plus jamais se revoir qui donnait à ces gens une auréole de beauté, c'était ça l'homme nouveau, pas le braillard arrogant, imbu de ses victoires, mais l'homme simplement humain dans son humilité mélancolique avec son beau regard de biche traquée...
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Voilà trente-cinq ans que je travaille dans le vieux papier, et c’est toute ma love story. Voilà trente-cinq ans que je presse des livres et du vieux papier, trente-cinq ans que, lentement, je m’encrasse de lettres, si bien que je ressemble aux encyclopédies dont pendant tout ce temps j’ai bien comprimé mes trois tonnes ; je suis une cruche pleine d’eau vive et d’eau morte, je n’ai qu’à me baisser un peu pour qu’un flot de belles pensées se mettent à couler de moi ; instruit malgré moi, je ne sais même pas distinguer les idées qui sont miennes de celles que j’ai lues. C’est ainsi que pendant ces trente-cinq ans, je me suis branché au monde qui m’entoure : car moi, lorsque je lis, je ne lis pas vraiment, je ramasse du bec une belle phrase et je la suce comme un bonbon, je la sirote comme un petit verre de liqueur jusqu’à ce que l’idée se dissolve en moi comme l’alcool ; elle s’infiltre si lentement qu’elle n’imbibe pas seulement mon cerveau et mon cœur, elle pulse cahin-caha jusqu’aux racines de mes veines, jusqu’aux radicelles des capillaires. Et c’est comme ça qu’en un seul moi je compresse bien deux tonnes de livres ; mais pour trouver la force de faire mon travail, ce travail béni de Dieu, j’ai bu tant de bières pendant ces trente-cinq ans qu’on pourrait en remplir une piscine olympique, tout un parc de bacs à carpes de Noël. Ainsi, bien malgré moi, je suis devenu sage : je découvre maintenant que mon cerveau est fait d’idées travaillées à la presse mécanique, de paquets d’idées.
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Tous les inquisiteurs du monde brûlent vainement les livres;quand ces livres ont consigné quelque chose de valable,on entend encore leur rire silencieux au milieu des flammes,parce qu'un vrai livre renvoie toujours ailleurs,hors de lui-même.
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...mais je souris car j'ai dans mon cartable des livres dont j'attends ce soir-même qu'ils me révèlent sur moi ce que j'ignore encore. (Laffont / Pavillons Poche, 2007, p. 16)
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A la mort de maman, tout pleurait en moi, mais je n'avais plus de larmes à verser. Au sortir du crématorium, une petite fumée montait vers le ciel, maman s'élevait joliment vers les cieux... Cela faisait dix ans que je travaillais dans les caves des dépôts de vieux papiers: je gagnai par habitude le sous-sol du crématorium, j'avais l'impression de faire la même chose qu'avec les livres. On avait brûlé quatre cadavres, maman était le troisième. Sans un geste , je regardais l'ultime substance humaine, le croque-mort retirer les os pour les passer à la moulinette, puis mettre les derniers restes de ma mère dans une boîte en fer, et moi j'écarquillais les yeux comme lorsque s'éloignait le train au chargement superbe qu'on vendrait en Suisse et en Autriche une couronne le kilo. Je n'avais à l'esprit que ces vers de Sandburg: il restera de l'homme juste assez de phosphore pour fabriquer une boîte d'allumettes et juste assez de fer pour forger le clou d'un pendu. Un mois plus tard, j'entrai dans le jardin de mon oncle avec l'urne qui contenait les cendres de maman que je venais de recevoir. Assis à son poste d'aiguillage, en nous voyant mon oncle s'exclama: " Ah, ma petite soeur, te voilà de retour!" Il soupesa l'urne; il n'en restait pas bien lourd de sa soeur, elle qui faisait bien soixante-quinze kilos de son vivant! Et de calculer qu'il manquait au moins cinquante grammes à ses cendres. Puis, il rangea l'urne sur le haut de l'armoire. Un beau jour d'été qu'il binait ses navets, il se souvint tout d'un coup que sa soeur, ma maman, raffolait des navets; il alla ouvrir l'urne avec un ouvre-boîtes et dispersa les cendres de ma mère sur ses navets qu'on dégusta plus tard. A cette époque, quand je pressais des livres dans ma presse mécanique, quand, dans un cliquetis de ferraille, je les écrabouillais par une force de vingt atmosphères, j'entendais des bruits d'ossements humains, comme si je broyais à la moulinette les crânes et les os des classiques écrasés dans ma presse, comme s'il s'agissait des phrases du Talmud: " Nous sommes semblables à des olives, ce n'est qu'une fois pressés que nous donnons le meilleur de nous même.
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En buvant au soleil, je regardais couler le flot des passants sur la place Charles ; des jeunes, rien que des jeunes, des étudiants ; tous ils étaient marqués au front d’une étoile, signe de l’embryon du génie que chaque être porte en lui au début de sa vie ; leur regard irradiait la force, cette force qui jaillissait de moi avant que mon chef ne me dise que j’étais un crétin.
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Adossé au comptoir de la Brasserie-Noire, je bois un demi ; à partir d’aujourd’hui, te voilà seul, mon bonhomme, tu dois faire face tout seul, te forcer à voir du monde, t’amuser, te jouer la comédie aussi longtemps que tu t’accrocheras à cette terre ; à partir d’aujourd’hui ne tourbillonnent plus que des cercles mélancoliques… En allant de l’avant tu retournes en arrière, oui : progressus ad originem et regressus ad futurum, c’est la même chose, ton cerveau n’est rien qu’un paquet d’idées écrasées à la presse mécanique.
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[…] je tendis l’oreille aux bruits de la rue, à cette belle musique concrète, au gargouillement incessant des eaux usées dans les cinq étages de l’immeuble, aux chasses d’eau qu’on tirait ; en prêtant attention aux profondeurs de la terre, je distinguai nettement le son étouffé des eaux sales et des fèces qui déferlaient par les cloaques et les égouts ; les légions de mouches à vers avaient fichu le camp, mais sous les dalles de béton les rats piaulaient, lançaient des signaux de détresse, dans tous les canaux de la capitale, leur guerre faisait toujours rage pour décider du maître absolu de ce monde souterrain.
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"Ainsi appuyé à la rampe en surveillant le travail de l'humanité, je vis entrer dans le soleil une institutrice accompagnée d'un groupe d'élèves. Il s'agissait sûrement d'une excursion scolaire, elle voulait montrer aux enfants le recyclage du vieux papier... Mais, à ma grande stupeur, la maîtresse prit un livre, réclama l'attention de ses pupilles et leur fit une démonstration en règle du processus d'étripage ; et à leur tour, l'un après l'autre, les enfants ramassèrent un livre, détachèrent soignement la couverture et entreprirent de la déchirer ; les livres se rebiffaient, essayaient bien de se défendre mais les petits doigts étaient les plus forts, les ouvriers les stimulaient du geste, les fronts innocents s'éclairaient tant le travail allait bon train..."

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(…) car moi, lorsque je lis, je ne lis pas vraiment, je ramasse du bec une belle phrase et je la suce comme un bonbon, je la sirote comme un petit verre de liqueur jusqu’à ce que l’idée se dissolve en moi comme l’alcool; elle s’infiltre si lentement qu’elle n’imbibe pas seulement mon cerveau et mon cœur, elle pulse cahin-caha jusqu’au racines de mes veines (…).
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[...] parce que lorsque je lis, ce n'est pas pour m'amuser ou faire passer le temps ou encore pour mieux m'endormir ; moi qui vis dans un pays où, depuis quinze générations, on sait lire et écrire, je bois pour que le lire m'empêche à jamais de dormir, pour que le lire me fasse attraper la tremblote, car je pense avec Hegel qu'un homme noble de cœur n'est pas forcément gentilhomme ni un criminel assassin.
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Je marchais au rythme du petit cheval qui dodelinait de la tête, il sortait peut-être d’un puits de mine car il avait ce beau regard des hommes ou des bêtes travaillant constamment en sous-sol, dans les mines ou les chaufferies, et qui, une fois remontés à la surface, écarquillent les yeux pour admirer le ciel, puisque pour ces yeux-là n’importe quel ciel est admirable.
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Mais ce qui m’acheva, ce fut de voir ces jeunes, jambes écartées, main sur la hanche, boire goulûment à la bouteille du lait et du Coca-Cola ; elle était bien finie, l’époque où le vieil ouvrier, sale, épuisés se bagarrait à pleines mains, à bras-lecorps avec la matière !
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Longtemps après la guerre, dans les années cinquante, ma cave fut enfouie sous la littérature nazie ; j’écrasais avec entrain, éclairé par la sonate suave de ma petite Tsigane, des tonnes et des tonnes de livres et de brochures toujours sur le même thème, je feuilletais des centaines de pages couvertes de photos d’hommes et de femmes délirants, au salut extasié, de vieillards, d’ouvriers, de paysans, de SS, de soldats, tous délirants, tous saluant ; plein de cœur à l’ouvrage, je faisais disparaître dans la cuve de ma presse mécanique Hitler et sa suite entrant à Dantzig libérée, Hitler entrant dans Varsovie libérée, dans Prague, dans Vienne, dans Paris libérées…
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Etendus sur le dos, les yeux fixés au plafond, toute lumière éteinte, nous regardions danser la moire des ombres et des reflets, et quand je me levais pour prendre ma cruche sur la table, j'aurais pu me croire dans un aquarium rempli d'algues et de plantes aquatiques, dans une forêt profonde, une nuit de pleine lune, avec ces ombres vacillantes; je buvais en contemplant la Tsigane nue qui me fixais de ses yeux au blanc étincelant.
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