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Critiques de Boubacar Boris Diop (55)
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Murambi, le livre des ossements

En découvrant l'ouvrage, je me suis demandée comment on pouvait mettre des mots sur une tragédie aussi terrible que le génocide rwandais. Mais ce livre d'une grande profondeur et d'une grande retenue le fait, en racontant, tout simplement, avec justesse et sobriété. Roman polyphonique, il alterne personnages et points de vue des antagonistes, descriptions et récits individuels, nous faisant prendre progressivement conscience de l'ampleur et de la complexité du drame, à l'instar de son personnage principal, Cornélius, écho de l'auteur lui-même. Le roman laisse ainsi avant tout le champ libre au témoignage, matière première qui a servi à sa construction, comme le raconte l'auteur dans la passionnante postface adjointe à la dernière édition poche chez Zulma. Jessica et Siméon en particulier, personnages lumineux qui portent l'espoir en leur cœur, restent longtemps en tête une fois le livre refermé.
Lien : https://www.exploratology.com/
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La gloire des imposteurs : Lettres sur le M..

Cet échange de lettres entre deux statures africaines permet un ton familier qui allège le discours sur des grandes questions d'histoire contemporaine, et notamment sur les relations de la France à ses anciennes colonies d'Afrique et au continent en général. D'ailleurs, le sous-titre "Lettres sur le Mali et l'Afrique" est explicite. Un ton nouveau qui donne beaucoup d'intérêt à la lecture.
Lien : http://www.traverseesafricai..
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Murambi, le livre des ossements



Deuxième lecture! Toujours même plaisir. J'avais lu "La mort ne veut plus de moi" de Yolande Mukagasana, un autre terrible livre sur le génocide rwandais. La simplicité avec laquelle on dit la violence fait que chaque mot te touche directement en plein cœur. On réalise alors que Rwanda n'est pas si loin de nous.




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Murambi, le livre des ossements

Ce livre est incroyable et je ne comprend pas qu'on parle si peu de ce genocide. La cruauté est à son maximum. Un livre à lire absolument
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Murambi, le livre des ossements

Ce roman m’a ému, deux fois.

La première, c’était lors de la présentation du livre par l’auteur lui-même. La médiathèque de ma ville l’avait invité et je n’ai pu résister à lui faire dédicacer son livre. Boubacar Boris Diop est un sénégalais qui maîtrise parfaitement la langue française. Son érudition et sa modestie m’ont immédiatement séduit. J’ai été sincèrement touché lorsqu’il a avoué s’être trompé dans certain de ses livres, et que plus il retournait à Kigali, moins il était sûr de comprendre le Rwanda.

La seconde fois, ce fut à la lecture.

Le thème est le génocide des Tutsi au Rwanda, ce pays africain plus de vingt fois plus petit que la France en superficie. Le roman commence comme un puzzle, de petites tranches de vie, côté Tutsi et côté Hutu, pour installer le contexte du drame à venir. Ensuite, le lecteur suit le retour de Cornelius, un Tutsi qui s’est réfugié à Djibouti pour échapper à la folie meurtrière de son pays natal. Il rentre au Rwanda, empli d’une culpabilité lancinante, alors que les survivants du génocide répertorient les ossements des victimes par centaines de milliers.

Un remarquable roman, superbement écrit, un zeste de poésie, beaucoup de sagesse, sans aucun jugement, ni parti pris. Il ne cache pas l’horreur, il l’intériorise.

1994, ce n’est pas il y a un siècle, c’était hier. Un million de morts en moins de quatre mois. Soit environ un dixième de la population rwandaise. Ce nombre est tellement monstrueux qu’on a du mal à l’appréhender. On peut se dire que c’est l’équivalent de la population de l’agglomération lyonnaise, mais il reste intangible à notre raison. Et là est le véritable drame, cette indifférence mondiale pour l’un des pires massacres de l’histoire de l’humanité.

Pour celui qui ne connaît pas et qui veut avoir un premier aperçu de ce que fut le génocide des Tutsi au Rwanda, ce roman est tout à fait indiqué.

Dans la postface ajoutée à la dernière édition, l’auteur tente d’expliquer le contexte de son roman, ses réflexions, ses doutes, sur le génocide des Tutsi. Il s’en prend au gouvernement français qui porte une lourde part de responsabilité dans l’affaire. Il n’épargne pas non plus l’Afrique qui a été aveugle durant les quatre terribles mois. Il a sans doute raison, mais plutôt que la recherche des coupables, je préfère retenir de ce livre la sagesse déterminée du vieux Siméon, délibérément tournée vers la vie.
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La gloire des imposteurs : Lettres sur le M..

Échange épistolaire de janvier 2012 à octobre 2013 entre l'écrivain sénégalais Boubacar Boris Diop et l'auteure malienne Aminata Traoré, ancienne Ministre de la Culture et du Tourisme. A travers leurs lettres, les deux personnalités interrogent les évènements survenus sur le continent africain, leur traitement médiatique et les enjeux politiques et économiques qu'ils cachent : "printemps arabe", mort de Kadhafi, opération Serval au Mali, gestion de l'après-génocide par le président rwandais Kagamé notamment.

Un livre qui contribue à faire comprendre la complexité des situations, qui interpelle et qui invite à prendre connaissance d'éclairages différenciés.
Lien : http://terangaweb.com/gloire..
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La gloire des imposteurs : Lettres sur le M..

Cet échange de lettres entre deux statures africaines permet un ton familier qui allège le discours sur des grandes questions d'histoire contemporaine, et notamment sur les relations de la France à ses anciennes colonies d'Afrique et au continent en général. D'ailleurs, le sous-titre "Lettres sur le Mali et l'Afrique" est explicite. Un ton nouveau qui donne beaucoup d'intérêt à la lecture.
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La nuit de l'Imoko

La nuit de l’Imoko est un recueil de nouvelles. Je l’ai dit. Vous l’avez entendu. Brillant. Avec des nouvelles assez longues. Tantôt, relevant de la fiction la plus pure qui en dit long, elles assènent beaucoup plus de vérités que certains récits ancrés dans une réalité subjective. Tantôt, regard mélancolique et amoureux sur une ville, Saint-Louis, regard désabusé sur la chute du vieux président Wade. Le tout soigné par une mise en pli qui porte le discours de Boubacar Boris Diop



Ces nouvelles ont été écrites entre 1998 et 2012. Je n’arrive pas à tenir le taureau par les cornes, elles ont été sciées.



Allez. Je prendrai la première nouvelle. La petite vieille. Une petite dame européenne ayant ses entrées chez les grands pontes d’un régime africain, et pour cause : elle est la maîtresse du chef d'état major... Elle trouve des financements pour des projets cinématographiques. Elle octroie des prix à des artistes africains, le jury faisant office de chambre de validation étant composé de bénis oui-oui. Elle s’autorise des réflexions arrogantes et paternalistes justement lors de la délibération. Excédé, un anonyme autochtone la recadre sévèrement. Il va pouvoir sentir dans son corps toute l’étendue de son impertinence. Boubacar Boris Diop décrit dans cette petite nouvelle, avec un rire froid, qui donne le ton de ce recueil, une teneur du règne de l’arbitraire. Un arbitraire dicté par d’autres, même quand on pense être aux manettes. La question pourrait-être comment résister à la folie et à l’abus de pouvoir des uns ? Est-ce que chacun d’entre nous à le pouvoir de résister ? Les personnages mis en scène dans cette nouvelle révèlent leur faiblesse et leur dépendance, que ce soit Lamine Keïta, le cinéaste à la recherche de subvention pour réaliser des films à destination de l’étranger, ou de son ami, Malick Cissé, brillant penseur mais chômeur de son état. Ce dernier ose l’ouvrir. Naturellement, il y a dans le propos de Boubacar Boris Diop, une critique de ce cinéma subventionné par des étrangers et dont beaucoup d'africains doutent tout bas de son ambition à les représenter.



Allez. Une deuxième pour la route. Le regard que porte Boubacar Boris Diop sur la ville de Saint-Louis. Dans l’écriture de cette nouvelle, que je qualifierais plutôt de récit court, l’écrivain sénégalais livre au lecteur l’âme de cette ville sur un plateau. La description est donc très différente du texte précédent. Un homme vivant à l’étranger revient avec son épouse Déborah dans la ville qui l’a vu grandir. Il fut doomu ndar. Il est doomu ndar. Il restera doomu ndar. Un homme dont l’ancrage dans la ville est ancien. Ce qui n’est pas neutre pour Saint Louis, ville coloniale par excellence. Point avancé de la France en Afrique depuis la période de la Traite négrière. Elle porte un héritage lourd que Boubacar Boris Diop décrit avec parcimonie. Portrait de ses populations métisses, de ses signares, de ses pécheurs, de sa vieille ville, de son extension tout azimut et non contrôlée ou encore de sa rivalité avec Dakar. Le regard de l’immigré est chargé de nostalgie et de non-dits avec l’autre qui découvre des pans tus de sa personnalité. Ce type de regard, sur une ville, est très rare en littérature africaine. Il y a la patte du journaliste qui a basculé vers le roman et l’envie transmise de découvrir cette ville historique.



Naturellement, je ne vous raconterai pas les différentes nouvelles. L’attention de Boubacar Boris Diop se porte sur les grands comme sur les petits. Il autopsie avec la même minutie la chute de Wade et le meurtre d’un homme fortuné exécuté par son diallo. Il semble que dans l’esprit de l’auteur sénégalais, le questionnement est vital. Questionner des traditions obsolètes. Interpeler des rapports humains hiérarchisés qui feraient dire à beaucoup que l’esclavage se porte à merveille dans certaines contrées. Interroger un monde qui change, un système politique, cette démocratie si fragile qui vole en éclats au Mali ou semble se renforcer au Sénégal. Observer la solitude, la fragilité d’hommes, de femmes entre les mains de puissants identifiables ou pas.
Lien : http://gangoueus.blogspot.fr..
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Le Temps de Tamango

Politique fiction? Livre à facettes comme le présente le 4ème de couverture? Je me suis un peu perdue dans les premiers chapitres obscurs. Un narrateur anonyme en 2063 tente de reconstituer des évènements oubliés : grèves ouvrières et révoltes estudiantines des années 1960/1970. Roman à clés dont on a perdu les clés? Ou tout au moins que je ne possède pas, les Sénégalais peut être?

Malgré la confusion (qui génère un certain ennui) il faut persister dans la lecture. Le lecteur patient y fera la connaissance avec le héros - révolutionnaire professionnel ou romancier raté, attachant et intéressant. Ce n'est qu'à la fin qu'apparait le personnage de Tamango - héros d'une nouvelle de Prosper Mérimée que je viens de télécharger.
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Le Cavalier et son ombre

C’est un livre étrange où se mêlent une histoire, des contes, des frontières qui se fondent entre le monde des vivants et des morts. Je fus quelque peu perdue par moments, la deuxième partie notamment est assez déroutante, on semble naviguer sur un fleuve enrobé de brume, on aperçoit les rives de temps à autre, des percées de clarté et parfois, c’est de plus en plus opaque, sombre, glacial et angoissant. L’auteur nous mène sur des chemins peu communs à la limite du délire, des sentiers qui filent vers la folie, vers l’étrange des histoires qui rattrapent la réalité. Je dois dire, que c’est une lecture bien que particulière, intéressante, jamais d’ennui pour ma part même si parfois je me sentais isolée et perdue entre ces deux mondes, mais quelle sensation subtile et surprenante. Une construction originale et envoûtante, un conte, des contes, dans l’histoire elle-même, ou l’inverse… de quoi vous faire perdre le fil d’Ariane pour rejoindre un monde de mystères.



Un dépaysement assuré de part les lieux géographiques, l’Afrique et par les espaces narratifs, des histoires parallèles en quelque sorte, où l’auteur laisse libre le lecteur de deviner ou choisir le réel statut des personnages, comme le Passeur, qui est-il au final ? Pour cela je vous laisse lire ce livre impressionnant et plaisant malgré des points sombres et sordides.



Une lecture qui nous laisse interrogateur et frissonnant de sensations étranges.


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Le Cavalier et son ombre

Lat-Sukabé, qui tient dans la capitale une boutique de jouets (camelote thaïlandaise), arrive dans une petite ville de l'Est du pays, au bord d'un fleuve. De l'autre côté de la rive, il y a Bilenty, où Khadidja, la folle, la conteuse, son ancienne amante, disparue depuis huit années, l'appelle au secours. Or, pour faire traverser le fleuve, dans cette ville, il n'y a que le Passeur, un homme un peu fuyant, un peu mystérieux – ou qui fait juste des mystères –, qui l'agace et que ne semble guère aimer le personnel de l'hôtel où il est descendu, l'hôtel Villa Angelo, un de ces hôtels de province défraîchis et émouvants, fatigués d'être les "meilleurs de la ville" depuis bien des lustres, sans que le décor ait beaucoup changé.



Le Passeur mettra trois journées à se décider et ces trois journées divisent le roman. En apparence, l'attente de Lat-Sukabé présente ainsi la forme d'une tragédie classique, avec unité de lieu, de temps, d'action : Un homme vient au bord d'un fleuve qu' il veut traverser. Toute la ville tente de l'en dissuader, ainsi que le Passeur, sans qu'il comprenne pourquoi. Au bout de ces trois jours, le Passeur lui révélera ce qui l'attend en face, de l'autre côté de la rive. Le voyageur décide de traverser tout de même.



Première journée – Le désœuvrement de Lat-Sukabé se peuple de souvenirs, ceux des jours vécus avec Khadidja "dans le quartier populaire de Nimzatt", quartier où croupissent, se saoulent, se battent, meurent de faim, diverses épaves humaines, échouées là temporairement ou à jamais : "Le décor serait facile à planter. Une chambre exiguë dans un de ces immeubles délabrés où on entre en se bouchant le nez et en enjambant les flaques d'eau verdâtres qui encombrent le passage. Nous y sommes bien restées trois années entières, Khadidja et moi, et rarement j'ai longé ce couloir pour monter vers notre chambre sans éprouver le sentiment de n'avoir, en définitive, rien fait de bon dans ma vie. Une des pièces du bas était occupée par deux jeunes femmes qui se bagarraient tout le temps entre elles ou avec les gens de l'immeuble ; quelques-uns des locataires étaient des Libériens qui avaient fui la guerre dans leur pays ; l'un d'eux, qu'on appelait Bob Malone, m'avait arrêté une nuit au bas de l'escalier pour me demander si je savais comment on s'y prend pour tuer un bébé sur le dos de sa mère ; il était complètement soûl et, voyant que je cherchais à m'esquiver, il m'avait planté le doigt sur la poitrine avec un rictus de mépris ponctué d'un "boum" retentissant ; après quoi il s'était affalé au milieu de ses vomissures ; à certaines heures de la nuit, le vent rabattait avec force vers notre nid d'amour l'odeur du chanvre indien et de la merde ; quand nous fermions les fenêtres, la chambre devenait une véritable fournaise et Khadidja prétendait que cela lui faisait bouillir la cervelle."



"L'odeur du chanvre indien et de la merde". Un mélange constant d'effluves et de sensations qui ne vont pas ensemble, ce qui est bel et bien caractéristique de l'odeur de la misère : épices et excréments, les peaux dans la sueur de l'amour et la fournaise malodorante de la chambre, la faim et le dégoût... L'écriture sensitive de l'auteur possède une aptitude remarquable à faire grincer nos sens, dans cette même ambivalence entre appétit et nausée, comme par exemple dans la scène du cafard et du plat de buraxe, "vrai repas fumant et épicé", plat favori de Lat-Sukabé qui, après des lignes de description de la faim qui tenaille le couple, met l'eau à la bouche du lecteur autant qu'à celle des convives : "Je me souviendrais toujours de l'instant où, m'apprêtant à porter la cuiller à ma bouche, j'ai vu frémir les antennes brunes d'un insecte au-dessus de la sauce épaisse du "buraxe", puis apparaître, tel un monstre préhistorique s'arrachant lourdement des profondeurs de la terre, un énorme cancrelat ébloui par la lumière et pas encore tout à fait assommé par la chaleur. Pourquoi donc avais-je immédiatement pensé que cette bestiole était vieille de plusieurs millions d'années ? Ce fut ma première idée, une idée assurément idiote. Après tout, je ne suis pas censé savoir que ces choses-là, ces petites bêtes immondes, personne n'en sait jamais rien, on les écrase sous son talon avec une grimace de dégoût et c'est tout. L'idée qu'elle condensait dans son corps tout le temps du monde me fascinait. J'avais peut-être besoin d'ajouter une sorte de prestige mythologique à la situation pour en apprivoiser l'insoutenable abjection. Étourdi par la chaleur, le cancrelat se retrouvait parfois sur le dos et se débattait, les élytres péniblement entrouvertes par moments. Peut-être voulait-il s'enfuir et je me dis, dans ma stupéfaction, que j'allais entendre pour la première fois de ma vie le cri du cancrelat. Le hurlement de douleur du cancrelat. Nous regardâmes la choses noire et velue grimper vers le rebord du plat puis retomber, le ventre de nouveau en l'air, sur la sauce gluante où elle resta emprisonnée. Elle s'agita un peu, se raidit et demeura inerte entre un morceau de manioc et un bout de piment. Morte. Le regard de Khadidja et le mien se croisèrent."



C'est alors que Khadidja quitte ce monde gorgé de sensations grisantes et rebutantes (les fortes saveurs de la pauvreté ont leur griserie propre) pour un "travail" dont l'inconsistance étrange va l'amener, doucement vers la folie, dans une riche demeure au décor élégant et pur, où rien ici ne heurte les sens, mais, au contraire, les apaise jusqu'à l'ennui : "En fait de salle d'attente, le lieu où elle se trouvait était une immense pièce presque nue, aux murs d'un blanc laiteux et au carrelage luisant de propreté. Elle fut frappée, dès ce premier jour, par l'extrême sobriété de la décoration qui donnait au lieu tant de délicatesse et de distinction. Je me rappelle que Khadidja, essayant de décrire l'atmosphère de la maison, avait le plus grand mal à trouver les mots adéquats. Elle parlait un jour de lignes droites et fines, puis, le lendemain, de la pureté du silence. C'était, en tout cas, disait-elle, le genre d'endroit où n'importe qui aurait eu envie de vivre."



Peut-être ce va-et-vient entre deux mondes, aussi fantastiques l'un que l'autre, entraînera-t-il le déséquilibre de Khadidja ou bien est-ce le travail qu'elle doit accepter : parler, assise sur une chaise, à quelqu'un, que le domestique appelle "Monsieur", qu'elle n'a pas le droit de voir, et qui restera toujours invisible, muet, dans une chambre obscure à la porte ouverte. Parler de tout, de rien, peu importe, parler jusqu'à ce qu'une sonnerie mette fin à la "séance". Khadidja choisit de faire jaillir d'elle tout un monde de contes et donne un visage, un corps à son auditoire. Lat-Sukabé se souvient du conte de l'homme qui voulait "léser" la Reine et parvint à son Palais, fou d'amour et de désir, guidé par les nuages.



Deuxième Journée – Le narrateur se sent fiévreux, ses souvenirs le poignent, et la rencontre qui a finalement eu lieu avec le Passeur n'arrange rien. Ce dernier lui parle de Khadidja et du Cavalier, qui la retiendrait de l'autre côté du fleuve, comme d'un personnage réel. Mais Lat-Sukabé sait que le Cavalier n'est qu'un des personnages inventés par Khadidja. Il revoit la folie de son amante, la fascination exercée par son invisible auditoire, et le terrible aperçu de la vérité sur celui-ci, qui a contribué à lui faire perdre la raison.



Puis l'histoire est avalée par le conte du Cavalier et le petit fonctionnaire Dieng Mbaalo, au point que l'on doive laisser en arrière le mystère de la chambre obscure et son poids dans la vie de Khadidja, ce qui est frustrant. S'enchaîne alors une succession de récits juxtaposés dont on ne comprend pas tout de suite le lien entre eux et dont le contraste est violent, certains féériques comme de vrais contes, d'autres qui sont tout simplement d'atroces récits de guerre entre Mwa et Twi, rappelant le génocide rwandais, ou d'autres massacres : "C'était une histoire connue. Pendant chaque massacre, des bébés traversaient la frontière sur le dos de leurs mères. Quinze ans après, ils revenaient, soldats ivres de colère et aux yeux durs comme l'acier. Pour venger des crimes commis quinze ans plus tôt, ils commettaient des crimes que d'autres soldats reviendraient venger quinze ans plus tard."



À la source de la guerre entre Mwa et Twi, il y a l'union manquée du Cavalier et de la princesse Siraa et de Tunde leur enfant à concevoir, qui se lit d'abord comme une belle légende de monstre et de délivrance et d'attente d'amour infini : "Seule dans une petite salle du palais, elle guette le retour du vainqueur de Nkin'tri. Elle lui parle mais n'entend aucune réponse. Il était beau comme la lumière du matin. Ses yeux étaient remplis d'amour et de générosité. Pourquoi alors se tait-il ? Siraa peut apercevoir les petits chemins jaunes et les arbres couverts de rosée. Elle entend les chants des tourterelles et des tisserins et se penche pour leur confier son message au Cavalier. Les oiseaux s'enfuient en poussant des cris de frayeur. Quant aux années, elles ne vont plus en ligne droite, hier et demain se heurtent. Parfois elles frôlent des mottes de terre verte et douces mais, saisies par le désir de soleils naissants, reviennent sur leurs pas.



Et sur l'avenir, chaque siècle qui passe chie un peu de haine et il pleut sur l'univers du feu et du sang. La princesse Siraa pense au Cavalier. Il est revenu. Il reviendra. La porte va s'ouvrir et il dira simplement : me voici, Princesse Siraa. Il dira aussi : j'ai enfin vaincu mes longues ténèbres et je viens caresser au creux de tes reins, Tunde, l'enfant attendu. Déjà son ombre est là, présente, la plaine n'est que l'autre côté du temps. Il viendra. Elle voit les chemins qu'ils vont emprunter et tous les dangers à vaincre mais Tunde, l'enfant à naître, lui donne la force de vivre."



Et la deuxième journée se clôt sur la quête de Tunde, enfant fantôme à renaître, par le Cavalier et Siraa.



Troisième journée – Lat-Sukabé, rongé par la fièvre, voit revenir le Passeur, prêt maintenant à lui faire traverser le fleuve, tout en tachant de l'en dissuader. Lat-Sukabé raconte au Passeur comment l'inconnu réussit à rendre folle Khadidja par son silence. À son tour, le Passeur lui révèle le destin de Khadidja, et ce qu'est Bilenty, et ce qu'est le Cavalier et la Princesse Siraa et ce qui l'attend de l'autre côté. Lat-Sukabé décide malgré tout de franchir le fleuve, et le Passeur l'emmène en suivant les nuages...



Ce n'est donc qu'à la fin que l'on comprend la façon dont tous ces contes, en apparence disparates, tressaient entre eux l'histoire de Khadidja. Il y a la maîtrise d'un funambule dans la façon qu'a le romancier de conduire tous ces fils d'intrigues, de les enchevêtrer et de sembler s'y perdre, comme un acrobate feint de vaciller, jusqu'à sa pirouette finale. La beauté de l'écriture et sa légèreté ajoutent au plaisir de se laisser captiver par cette histoire-spaghetti. Un roman dont la poésie fantasque donne envie d'explorer plus avant l'univers de Boris Boubacar Diop.
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Négrophobie

Ce livre est une réponse en règle et à trois voix au livre "Negrologie" de Stephen Smith.

Boubacar Boris Diop lui répond sur le fond de son propos de manière générale, quand Odile Tobner reprend son livre et y réplique chapitre par chapitre. François-Xavier Verschavz, pour sa part, brosse le portrait du journaliste, son évolution et décortique sa carrière.

Une riposte salutaire au livre nauséabond de l'ancien responsable des pages Afrique du Monde.
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Murambi, le livre des ossements

En 1998, un groupe d’écrivains est invité à se rendre au Rwanda pour faire connaître les souffrances du peuple rwandais lors du dernier génocide du XXe siècle. Murambi, le livre des ossements, est le texte que Boubacar Boris Diop, écrivain sénégalais, a réussi à extraire de ce qu’il a pu voir et ressentir face aux victimes, aux charniers, et à un pays dévasté.



Il choisit la forme romanesque pour mettre en scène des personnages représentatifs : les survivants, des membres des milices, un officier de l’armée française, mais aussi Cornélius qui n’était pas au pays pendant le génocide mais y retourne des années après pour apprendre que son père fut surnommé le « Boucher de Murambi » pour avoir facilité le massacre de 60 000 personnes qu’il avait rassemblées pour soi-disant les sauver … A chaque page, Cornélius est pris à la gorge par l’horreur, au fur et à mesure qu’il rencontre des protagonistes de cette histoire récente qui lui paraissait si lointaine auparavant.



A sa suite, on y découvre, par petites touches insoutenables, la folie meurtrière de ces mois entre avril et juillet 1994, les Cent-Jours du Rwanda, où un million de Tutsis furent tués, 10 000 par jour, à la machette le plus souvent, et pour les femmes, après avoir été violées. Cent jours où la vie humaine compte pour rien. On y découvre le goût du sang, la manipulation des esprits, la sauvagerie sans nom qui a régné dans ce pays. On y découvre l’impuissance – ou le manque d’envie d’intervenir – des pays alentours ou occidentaux qui auraient pu arrêter le mécanisme. Sauf que « La Coupe du monde de football allait bientôt débuter aux Etats-Unis. Rien d’autre n’intéressait la planète. »



Comme je m’y attendais, il faut avoir le cœur bien accroché pour lire ce roman. Quelques pages le soir suffisaient à m’empêcher de dormir, pas forcément par les descriptions, que je sautais, mais par la noirceur de l’âme humaine qu’il révèle. C’est pour cela qu’il est essentiel. J’ai enfin mieux compris le mécanisme qui a abouti à ce génocide, et j’ai surtout mieux appréhendé l’après-génocide, la reconstruction. Car comment peut-on jamais vivre en paix après un tel traumatisme où des voisins se sont entre tués ? Comment côtoyer les bourreaux qui ont massacré ta famille et marchent en toute impunité à tes côtés ? Comment ne pas tomber dans un cercle vicieux de vendetta ? Le roman donne quelques réponses, et pourtant le fait que le Rwanda existe encore me semble relever du miracle.



« Si jamais le Rwanda avait été ce lieu paisible et lumineux où le dieu Imana venait se reposer après chaque coucher de soleil, il avait cessé de l’être depuis longtemps en 1998 : la mort continuait à rôder partout, l’odeur des corps en décomposition prenait toujours à la gorge, et les survivants n’avaient pas encore émergé de leur longue sidération ».



et pourtant, plus loin il est dit :



« Le long des avenues, rescapés et bourreaux se croisaient. Ils se regardaient un instant puis chacun s’en allait de son côté, pensant à Dieu sait quoi. […] Le pays était au contraire intact et chacun juste occupé à vivre sa vie. Des rendez-vous amoureux. Un tour chez le coiffeur. La routine des jours ordinaires. […] Ce mépris du tragique lui paraissait presque suspect. Était-ce par dignité ou par habitude du malheur ? »



Ce double discours montre la complexité de la situation rwandaise, entre mémoire et oubli, nécessité de vivre et rêves de vengeance.



Par ailleurs, la postface de l’auteur est peut-être aussi intéressante que le roman lui-même, puisqu’il explique comment il a vécu cette aventure et surtout le contexte géopolitique et diplomatique du conflit.



Porté par une très belle plume, c’est un roman qui déchire mais qui devrait être davantage connu, pour éviter que de telles choses se reproduisent … Avec ce texte à la fois enquête et réquisitoire, B.B. Diop a su rendre hommage aux victimes, sans excuser les bourreaux mais en posant les bonnes questions, en particulier sur les relations entre la France et le Rwanda (« Dans ces pays-là, un génocide ce n’est pas trop important… » François Mitterrand, été 94.)



Le thème choisi par les autorités rwandaises au moment de l’invitation des écrivains était « Ecrire par devoir de mémoire ». « Le devoir de mémoire est avant tout une façon d’opposer un projet de vie au projet d’anéantissement des génocidaires et le romancier y a son mot à dire. »



Pari réussi avec ce roman.
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L'Afrique au-delà du miroir

inconnu
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Murambi, le livre des ossements

Livre magnifique qui donne à voir l'après du génocide et la difficulté de vivre avec. L'aspect roman est réussi.
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Murambi, le livre des ossements

Tuer son voisin à la machette. Après l'horreur qui nous prend à la gorge, il ne reste qu'en bouche l'incrédulité, le mystère. Une impression d'autant plus forte 20 ans après le génocide du Rwanda.
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Le Cavalier et son ombre

Fable mystérieuse, intriquant les niveaux de récit pour dire le métier d'écrivain dans un monde en proie au conflit et à la perte d'identité.



Avec ce roman de 1997, le Sénégalais Boubacar Boris Diop, reconnu dès son premier roman "Le temps de Tamango" (1981), accédait à une tout autre dimension littéraire.



Dans un pays africain non spécifié, qui peut être le Sénégal ou non, le narrateur reçoit une lettre de son amie disparue huit ans plus tôt dans d'obscures circonstances : elle se trouve dans une ville inconnue, et l'invite à venir l'aider d'urgence. Le roman raconte les trois jours vécus par le narrateur au bord du fleuve qu'il doit franchir, avec l'aide d'un passeur, pour rejoindre son ancienne amante vraisemblablement mourante. Progressivement se dévoile le métier qu'exerçait cette femme avant sa disparition : lire des histoires de son invention à un homme mystérieux qu'elle ne voyait jamais.



Au fur et à mesure du récit de ces trois jours d'attente, entrecoupé de flashbacks d'il y a huit ans plus tôt, la « réalité » (si l'on peut dire) et les récits inventés de l'époque vont s'entremêler, et notamment l'un d'eux, celui du « Cavalier et de son ombre », qui fonctionne comme un véritable « mythe fondateur » du pays africain en question, tandis que le narrateur sombre dans une fièvre aiguë...



Extraordinaire intrication des niveaux de lecture, autour d'une métaphore globale sur ce que signifie être écrivain dans un monde en proie au chaos, métaphore rendue tragique par la montée, dans l'évocation, du génocide rwandais comme une sauvage toile de fond...



« Il me faut, à présent, dire deux mots sur le Cavalier. On a noté l'obstination, sûrement ironique, du Passeur à en parler comme d'un être de chair et de sang. Attitude parfaitement ridicule : le Cavalier n'est qu'un des héros fabriqués de toutes pièces par Khadidja. Je suis peut-être en train de devenir fou, mais pas au point de confondre la réalité et les chimères. Et de toute façon, la question de savoir si le Cavalier existe ou non reste secondaire. Seul compte le fait suivant : à Bilenty, quelqu'un est en train de détruire la vie réelle de Khadidja en se faisant passer pour le Cavalier. Je ne peux donc aider Khadidja qu'en restant ouvert à tous ses enchantements. L'essentiel est de ne jamais être dupe moi-même. Pour mieux faire comprendre cela, il me faut rappeler dans quelles conditions tout à fait particulières ce récit, Le Cavalier et son ombre, a vu le jour. »

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Murambi, le livre des ossements

Avec une écriture simple et fluide, Boubacar Boris Diop nous transporte dans cette magnifique région des grands lacs africains dont fait partie le Rwanda. Il nous fait prendre conscience de l’immense tragédie qui s’est déroulée face à un monde indifférent, plus préoccupé par les résultats de la Coupe du monde de football… Roman contre l’ignorance, contre l’impunité, contre l’oubli. Un roman d’une intensité bouleversante.
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Un tombeau pour Kinne Gaajo

L’écrivain francophone et wolophone est l’une des grandes figures littéraires du Sénégal. Une stature acquise grâce à une œuvre tournée vers le souvenir de l’histoire et des êtres passés. Ainsi d’« Un tombeau pour Kinne Gaajo », grand roman du naufrage du « Joola », en 2002 – près de 2 000 victimes.
Lien : https://www.lemonde.fr/livre..
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Un tombeau pour Kinne Gaajo

Tandis que l’opprobre guette, médias et politiques poursuivent leur comédie. Reliant le destin de son héroïne à celui du Joola, ainsi qu’aux faits et figures oubliés de l’histoire du Sénégal, Un tombeau pour Kinne Gaajo rend la menace d’une amnésie collective aussi effrayante que réelle.
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