Interview de Britta Böhler à propos de son roman "La Décision"
Chaque jour dans les journaux de nouvelles monstruosités . Les communistes et autres opposants du régime réduits au silence , en fuite , arrêtés ou assassinés . Ce qui se passait était inconcevable . Toutes ces lois , tous ces décrets : cela avait du être préparé de longue date . Pourquoi , à Berlin , les conservateurs n'en avaient-ils pas eu vent ? Et l'empressement avec lequel tous collaboraient , les libéraux , le centre , le parti populaire bavarois . Aucun d'eux ne résistait . Avaient-ils soudain tous perdu la raison ?
Puis étaient arrivées les élections de mars , et il avait repris espoir . Hitler s'était trompé , la majorité des allemands n'avaient pas voté pour lui . Mais bientôt , il était apparu que cela ne changeait rien . De nouveaux décrets d'urgence avaient suivi , le Reichstag avait été complètement neutralisé . En novembre , il devait y avoir de nouvelles élections , et Hitler célébrait sa défaite comme une victoire . Innombrables fêtes dans tout le pays , avec drapeaux et défilés . Et le peuple exultait . les gens étaient complètement déchaînés , ivres et aveugles . Peu après les élections , Hindenbourg avait supprimé le vieux drapeau du Reich pour le remplacer par le drapeau à croix gammée .
C'est le résultat d'une insatisfaction qui avait couvé en profondeur, alimentée depuis longtemps en secret, une pourriture qui n'avait cessé de se répandre. Et, soudain, tout cela avait trouvé à s'extérioriser. L'inexprimé était enfin remonté à la surface et avait, pour ainsi dire de lui-même, pris possession du pays tout entier. A l'instar d'un acide qui s'infiltre doucement dans la terre, irrésistiblement, toujours plus loin. Un acide qui traverse toutes les couches jusqu'à ce que tout soit rongé et désagrégé. Et le peuple, blessé et incompris, étourdi par les promesses, s'estime bien guidé, courageux, révolutionnaire. Quelle méprise désespérante !
Le secret des chaussures brillantes : après les avoir cirées et brossées, il faut les frotter avec un oignon, puis les polir. Martha lui garde toujours quelques vieux oignons. On peut aussi chauffer les chaussures cirées avec une bougie, cela fluidifie la cire, qui se laisse alors facilement polir. Il a déjà essayé et s’est brûlé la main en plus de la chaussure. L’oignon est une solution plus simple et moins dangereuse, quant à l’odeur, elle se dissipe rapidement.
Il ne veut même pas penser au monstre qui siège à Berlin . Tout chez cet homme est abject , le coté militaire de bas étage , le pathos , la voix . " On dirait un chien enchaîné pris de folie " . Dit-il à Katia chaque fois qu'un discours de Hitler est retransmis à la radio . La voix trahit la rancœur abyssale de l'homme , la soif de vengeance purulente du bon à rien , du raté qui n'a connu que l'échec . L’éternel demandeur d'asile incapable de rien faire , qui fouille les blessures du peuple avec son éloquence de tribun et qui a su adroitement associer sa propre insuffisance au sentiment d'infériorité des masses .
Wagner,le peintre inégalé de l'âme. Sa musique,une oeuvre merveilleuse,mais morbide,profondément ambigue. D'une germanité exemplaire, trop exemplaire peut être . Une manifestation éruptive de la nature allemande sous une forme théâtralisée,ainsi que la formidable autopromotion et autocritique qu'on puisse imaginer. Peut-on sans honte aimer cette oeuvre? Plus on s'interroge sur Wagner,moins on y voit clair.
"Dans cinquante ans, je régnerai sur le monde musical " précisait-il
Aveugle à tout et à tous,exclusivement voué à son art. L'esprit allemand était tout pour lui,l'Etat allemand, rien.
« Il a laissé parlé sa conscience et sa conviction profonde, ainsi dit la lettre, que de l’actuel gouvernement allemand il ne peut rien sortir de bon, ni pour l’Allemagne ni pour le monde. » (p. 13)
C’est bizarre, tout de même, que l’expression « une vie de chien » ait un sens négatif. Venir au monde sous la forme d’un chien n’est pas si mal, il y a bien pire.
Peut-être que l’étoile qui scintille là-haut avec une telle beauté n’existe plus aujourd’hui. Peut-être qu’elle est depuis longtemps devenue cendre et poussière alors que sa lumière n’est pas encore arrivée jusqu’à lui, ici, à Küsnacht. L’idée que l’on voit quelque chose qui n’existe plus a de quoi vous troubler la cervelle.
« Car lorsqu’on hait le mal de toute son âme, Qu’on le voit salué par un peuple servile, On devra dire adieu au pays natal. Mieux vaut cent fois renoncer à sa patrie Que porter le joug d’une infantile race Et de son aveugle rage être l’esclave. »
Des photos de mariages et de baptêmes, d'anniversaires et de remises de prix. Des moments heureux, radieux. Mais la vraie vie se déroule dans les intervalles et ne figure sur aucune photo.