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Citations de Cécile Campergue (197)


La perspective thérapeutique est incontournable dans la relation au maître. Les attentes, les projections et les processus d'idéalisation et de vénération scandent cette relation, ponctuellement ou de manière continue. Des enseignants bouddhistes rappellent ce que doit être la relation maître-disciple, souvent mal comprise en Occident et les effets pervers qu'elle peut induire comme le fait F. Midal*. Cette relation, vécue essentiellement au niveau émotionnel, entraîne une adulation et un culte plus ou moins prononcé du maître. L'esprit de clocher est également persistant : on vante son lama, son centre et son sangha. Les excès de légitimation et de vénération des maîtres peuvent aboutir à différents abus (de pouvoir, d'autorité).
Alors que l'implantation du bouddhisme tibétain en France date d'une petite quarantaine d'années, les comportements équivoques de certains maîtres (mais aussi de disciples) sont pointés du doigt de part et d'autre. Les critiques sont de plus en plus perceptibles mais elles ne semblent pas être un frein à l'expansion du Vajrayana ni à la révocation de maîtres concernés par différentes critiques, avec quelques réserves cependant. Depuis plus de trois années environ, des changements notoires ont affecté plusieurs communautés bouddhiques et donc plusieurs centres du dharma. Parmi ces changements, il faut noter de nombreux départs de personnes profondément engagées dans la pratique, dans la gestion et l'organisation interne d'un centre, auprès d'un ou plusieurs maîtres. Ces départs remettent en cause certaines activités proposées par les centres et questionnent l'autorité, à la fois des maîtres, des institutions et des disciples.
Au terme d'une quarantaine d'années de présence, l'heure est au bilan et parfois à la remise en cause dans plusieurs centres : remise en cause des autorités, de l'enseignement prodigué, de la gestion du centre, etc. Plusieurs pionniers et anciens, si indispensables à l'implantation de la doctrine sur le sol français n'ont très souvent plus de relations avec leurs maîtres (ces derniers étant décédés) et parmi eux, plusieurs sont hésitants quant à la qualité des lamas actuels, Tibétains ou Européens. L'âge d'or des premiers lamas tibétains et leur présence si singulière dans le paysage religieux français sont désormais révolus à leurs yeux.
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*Notamment dans Quel bouddhisme pour l'Occident, Seuil, Paris, 2006.
p. 446 et 47
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Avec l'affaire Dorjé Shugden, il s'agit du deuxième conflit de nature premièrement religieuse, où le choix du Dalaï-Lama est contesté, à la fois par des Tibétains et surtout par des Occidentaux. La controverse n'est pas encore résolue et les deux Karmapa trouvent l'idée intéressante de se rencontrer. Orgyen Trinlé semble, aux yeux de Shamarpa, vouloir estomper le conflit en affirmant de plus en plus qu'il n'est pas totalement inféodé au Sitoupa. Divers maîtres se retrouvent pour des cérémonies ou des rencontres auprès de Thayé Dorjé, alors qu'ils soutenaient auparavant l'autre Karmapa. Mais comme me dira un lama tibétain, les rapports d'allégeance sont complexes et peuvent être aussi très souples chez les Tibétains et les intérêts que certains maîtres ont à se placer auprès d'un autre dans divers contextes, ne signifient pas pour autant que ces mêmes maîtres ne puissent pas se retrouver avec un rival du maître précédent à une autre occasion. Aussi, certains sont dépendants religieusement et économiquement d'autres maîtres et ne peuvent, même s'ils ont des doutes sur le Karmapa qu'on leur impose, les affirmer. Outre les liens de maîtres à disciples, les liens d'allégeance sont liés à des segments politico-territoriaux nés du contexte culturel tibétain où de puissantes familles régnaient sur un fief en particulier. D'autres maîtres reconnaissent et acceptent un Karmapa formellement sans rejeter l'autre, et comme plusieurs le pensent, « l'authentique Karmapa se révélera de lui-même ». Patience, donc.
p. 445 et 46
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Les maîtres s'engagent parfois de manière violente dans des conflits religieux comme le montre l'« affaire des Karmapa », articulant les rôles successifs des maîtres et disciples dans les domaines sacrés et profanes. La transmission spirituelle de la lignée Karma-Kagyü passe par la garantie d'une lignée ininterrompue avec des lamas représentant une sorte de « conduit divin », garants de la continuité, de la pérennité et de la transmission des enseignements et des bénédictions du lignage. Cette idée de centre, d'ordre divin et de continuité écrit P. Bishop, est centrale dans le bouddhisme tibétain. Mais la transmission spirituelle est liée à l'autorité spirituelle par des facteurs autres que religieux et mobilise des aspects économiques et politiques significatifs. Les conflits entre maîtres, même s'ils ont toujours existé au Tibet, connaissent avec cette affaire de double réincarnation (qui n'est pas rare), une destinée originale et nouvelle, avec la participation active des Occidentaux, qui parfois dépasse celle des maîtres tibétains directement concernés. Les notions de territoires, de fiefs, de loyautés et de rapports de maîtres à disciples sont essentielles dans cette lutte pour le pouvoir, tout comme le sont les intérêts politiques, financiers et religieux. Les méthodes apparentées au clientélisme et au patronage, mêlant rapports dissymétriques de dépendance et de pouvoir, sont à l’œuvre.
p. 445
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Fustiger les traditions et les maîtres inauthentiques semble être à la mode aujourd'hui. Mais comment peut-on juger d'une tradition si elle est authentique ou non ? Comment juger si un maître bouddhiste d'obédience tibétaine est authentique ou non ? Selon quels critères si ce n'est des critères provenant de la légitimité même de la tradition ? Certains avanceront qu'il faut faire l'expérience (corps et âme) de ce qu'est un maître authentique. Mais comment être sûr de ne pas se tromper ? L'engagement, l'allégeance fondamentale à un maître peut-elle permettre une prise de recul et un regard qui objective sa propre subjectivité ?
Les textes font la différence entre plusieurs types de maîtres et mettent en garde le disciple contre les maîtres qu'il faut rejeter. Il y a ceux comparés à une « meule de bois » qui :
« ne possèdent pas la moindre des qualités qu'apportent l'étude, la réflexion ou la méditation, mais en tant que fils ou neveux de tel ou tel lama ils croient qu'eux et leur descendance sont supérieurs aux autres et défendent leur caste comme des brahmanes. Ou bien, ils ont un peu étudié, réfléchi et médité, mais c'est par peur de voir décliner leur lamaserie ou autre demeure qu'ils occupent, et non avec l'intention parfaitement pure d’œuvrer “pour leurs vies futures”. Ces maîtres que préoccupent uniquement les choses de cette vie sont comparés à une meule de bois, car ils sont incapables de dompter la nature de leurs disciples » ;
Ceux qui ressemblent à la « grenouille du puits » :
« Bien qu'ils soient dépourvus de toute qualité les distinguant des êtres ordinaires, les gens, avec une foi stupide, les élèvent sans examen sur un piédestal. L'esprit gonflé d'orgueil par le gain et les honneurs, ils ne remarquent pas les qualités des êtres sublimes et ressemblent à la grenouille qui vivait dans un puits ».
Les « guides insensés » dont les :
« Connaissances sont maigres, parce qu'ils ne restent pas auprès des maîtres érudits et ne font pas l'effort d'étudier les soutras et les tantra. Leurs vœux et samayas sont relâchés, car leurs émotions négatives sont grossières et que souvenir et vigilance leur font défaut. Bien qu'ils soient par nature plus vils que les êtres ordinaires, ils se conduisent de manière grandiose en pastichant les siddhas. Colérique et jaloux, ils brisent la chaîne de l'amour et de la compassion. De tels individus sont qualifiés de guides insensés qui entraînent les autres sur de mauvais chemins » ;
Et enfin, les « guides aveugles » :
« Ceux qui, en particulier, n'ont pas une seule qualité qui dépasse les nôtres, et chez qui l'amour et la compassion de l'esprit d'Éveil font défaut. Ceux-là ne savent pas nous ouvrir les yeux sur ce qu'il faut faire ou ne pas faire*. »
Parmi tous les fidèles rencontrés (toutes écoles confondues), ces derniers étaient convaincus de l'authenticité de leur maître, qu'il s'agisse d'un lama français ou d'un lama tibétain. Par contre et à de nombreuses reprises, ces mêmes fidèles ne faisaient pas l'économie de critiques visant d'autres maîtres. Un maître inauthentique pour certains est authentique pour d'autres. Par définition, tous les maîtres sont donc authentiques et inauthentiques à la fois : tout dépend de la foi, de la dévotion et d'une perception subjective mais pas seulement, il faut prendre en compte les motifs et les signes d'allégeances, les codes culturels et les facteurs institutionnels qui viennent légitimer un maître comme tel.
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* Patrul Rinpoché, "Le chemin de la Grande Perfection", op.cit., p. 148 éd. Padmakara © 1987
p. 443 et 44
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Conclusion
Confiance, dévotion, respect, fascination et adulation sont autant d'attitudes et de sentiments qui caractérisent les relations des disciples avec leur maître. Comme nous avons pu le voir, la connotation parentale est toujours prégnante. V. Saroglou souligne que dans n'importe quelle religion, la paternité qu'assume un père spirituel structure le psychisme de ses disciples. Il s'interroge sur les apports pour la santé mentale d'une expérience religieuse passant par une relation au maître, à un père spirituel. Il souhaite pour cela, dans le cadre d'une psychologie clinique de la religion, discerner ce qui ressort de la structure et ce qui est de l'ordre de l'idéalisation du père imaginaire. En tant que relation intime touchant au plus près de l'intériorité de chacun, elle se vit différemment selon chaque disciple rencontré mais ses formes et ses manifestations extérieures sont pour autant perceptibles et susceptibles d'être analysées.
Les excès et abus de pouvoirs (psychologiques, physiques, moraux, financiers) perpétrés par certains maîtres en position d'autorité sont aujourd'hui dénoncés et contestés. Le pouvoir, écrit G. Balandier, « résulte du jeu des différences, de leur symbolisation et de leur manifestation spectaculaire. Le pouvoir sépare, isole, enferme ; c'est bien connu. Surtout, il change celui qui y accède ». Daniel Odier, ancien disciple de Kalou Rinpoché, dans un entretien à propos de son livre Le Grand Sommeil des Éveillés* dans lequel il déconstruit la notion de « maître spirituel » en évoquant les dérives et les abus qui contribuent à enfermer les gens plutôt qu'a les éveillés, déclare ceci à propos de l'idéalisation du « maître » :
« Idéaliser les "maîtres" nous interdit toute prise de conscience. Ne pas voir que les "éveillés" peuvent être des êtres qui connaissent encore le trouble, l'hésitation, l'absence au corps, la crainte des émotions, c'est se couper de toute chance d'atteindre une authentique présence au monde, la liberté, la fluidité. »
Dans son ouvrage à la fois pamphlétaire et enseignement du « Mahachinachara » (« Grande Voie Chinoise ») Cœur du Tantra et du Chan, D. Odier, tour à tour provocateur, incisif, pointe le doigt sur des problèmes et malentendus d'actualité pour ce qui concerne le bouddhisme tibétain, mais bien d'autres traditions religieuses encore.
« Quelle différence entre les abus spirituels et ceux dont nous sommes victimes dans la vie courante, me diriez-vous ? Dans les deux cas, tout est fait pour créer la dépendance, contrôlé, vendre. La seule différence, c'est que nous n'attendons pas d'un fonctionnaire qui nous complique la vie qu'il se comporte autrement, alors que nous projetons sur les maîtres spirituels un rêve de perfection qui finit par étouffer les plus authentiques. Pris au piège de l'admiration sans nuance de leurs disciples, ils se réfugient derrière l'institution de la « sainte folie », qui reconnaît aux maîtres le droit à la folie authentique et leur offre l'assemblée des disciples en guise de camisole de force ; ils deviennent alcooliques, pédophiles, violents, mythomanes, délirants ou sombrent dans la mélancolie de n'avoir pu éveiller quiconque à la conscience absolue, au point de se demander s'ils ont bien compris de quoi il s'agissait »
Parmi ses critiques tranchantes, l'auteur souligne la présence d'un certain nombre de « petits pères relativement honnêtes qui distillent un enseignement ennuyeux, formaliste, sexiste, traditionnel, vaguement créatif, où les oripeaux des grands courants mystiques sont reformatés à l'usage de contemporains. À l'instar du Prozac, ils aident leurs adeptes à ne pas sauter par la fenêtre et à se bercer dans la douce illusion, qu'ils suivent une voie spirituelle authentique ».
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* http://www.babelio.com/livres/Odier-Le-grand-sommeil-des-eveilles/134652
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Ceux qui défendent la position adoptée par Dhagpo Kagyu Ling, dans une attitude revendiquant la séparation de la religion et du politique, s'en référant à la pensée du XVIe Karmapa, font tout de même de la politique. La revendication d'une neutralité n'est souvent que nominale, servant à accréditer une position d'ouverture qui dans les faits n'est pas toujours aussi souple. La question de l'autorité, de la reconnaissance d'un maître comme le garant de la transmission de la lignée, est liée à la question de l'institutionnalisation du système des tülkou. Outre les Karmapa, les régents qui ont leurs propres lignées de réincarnations, jouent un rôle essentiel dans cette lutte de pouvoir et d'autorité. L'authenticité du lignage qui véhicule « l'énergie spirituelle » dont sont pourvus les lamas réincarnés est un enjeu qui peut avoir des conséquences majeures dans la diffusion et la transmission de la lignée Karma-Kagyü. Celui qui sera reconnu comme l'unique authentique réincarnation du XVIe Karmapa sera de fait le détenteur de la lignée et de son influence spirituelle, à moins que ces deux jeunes hiérarques soient reconnus comme étant deux incarnations du précédent Karmapa, jouant un rôle complémentaire dans la diffusion des enseignements de la lignée, version qui semble séduire quelques fidèles rencontrés.
p. 441
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Lama Denys, reconnaissant Orgyen Trinlé et fervent opposant au Shamarpa a été à l'origine d'une concorde (le tract, au final), « Karmapa, initiative de concorde, message et souhaits adressés par Lama Denys à tous les centres Kagyu » où il explique ses vues et dénigre la position adoptée par Dhagpo Kagyu Ling. C'est Shamar Rinpoché qui, en personne, a répondu à cette concorde dans une lettre qui a été mise à disposition sur Internet. Les deux maîtres échangent des propos peu flatteurs, parfois violents et insultants ; les attaques et les critiques sont sans complaisances. Shamar Rinpoché déplore l'initiative de Lama Denys et lui conseille d'arrêter cela : « Vous êtes Lama Denis, un lama déjà ancien dans la lignée Kagyu. Du fond du cœur, je vous adresse ces conseils : pour le bien de vos vies futures, ne dénigrez pas le dharma. Pour le bonheur de votre présente existence, ne continuez pas ainsi ». Le ton, menaçant, est donné. Il souligne qu'il n'a, dans les nombreux voyages effectués en Occident, jamais mentionné cette affaire à ses étudiants et qu'il s'est uniquement consacré à l'enseignement et à la transmission du dharma. Il ajoute qu'il faut connaître l'histoire tibétaine pour comprendre les tenants et les aboutissants de l'affaire et rappelle ainsi des faits remontants aux siècles passés (à l'époque du Ve Dalaï-Lama et des moyens que ce dernier a utilisés pour détruire le Karmapa de l'époque et sa lignée) soulignant ainsi l'hégémonie Guéloug. Il accentue le fait que le Dalaï-Lama n'a pas à intervenir dans le choix du Karmapa. Pour lui, la lettre écrite par Lama Denys exprime de la jalousie. « En étant si médisant au travers de ce texte, vous dénigrez la Sangha et le Dharma en général ce qui est un acte extrêmement négatif. » Lama Denys semble prendre un malin plaisir à répondre fermement au Shamarpa qu'il critique ouvertement, parfois de manière très cynique. Il dénonce l'imposition du candidat du Shamarpa à des disciples via le moyen de pression et d'intimidation qu'est le samaya, ce qui a engendré déchirement et départs, « ceci, sans parler des pratiques de conjuration (dogpa) associés aux protecteurs, qui, aux dires de certains ex-retraitants du Bost, étaient faites à votre instigation, contre ceux qui ne partageaient pas vos vues » : il souligne que la « solidarité claniste familiale, venant des liens fraternels qui vous lient à Jigméla, a joué un rôle déterminant dans le fait que Dhagpo Kagyu Ling se soit rallié à vos vues » et donne l'exemple du centre Karma-Kagyü américain de Woodstock qui s'est rallié à l'autre Karmapa. Alors que Shamar Rinpoché attaque Sitou Rinpoché et ses « manigances et alliances calculatrices », Lama Denys souligne qu'il « est dommage que vos partisans soient encouragés à réécrire l'histoire tibétaine en faisant l'hagiographie du Shamarpa pour essayer de vous fournir des arguments de sens ». Pour Lama Denys. contrairement au Shamarpa, le Dalaï-Lama ne s'est pas ingéré dans les affaires internes Kagyü, car c'est à la requête des régents qu'il a accepté d'arbitrer la reconnaissance. II critique d'une manière tranchante Shamarpa en écrivant qu'il ne voit « là que jeux d'ambitions, de pouvoirs et d'intérêts financiers ; au service du Dharma et de la lignée bien sûr ? Mais quand même58 ». Lorsque le Shamarpa conseille à Lama Denys : « si vous voulez prendre une responsabilité dans un conflit, ce n'est pas contre moi qu'il faut le faire. Utilisez votre verve contre cette anglaise qui a tant critiqué votre propre maître Kalou Rinpoché et qui a été jusqu'à s'exprimer dans les colonnes du magazine Tricycle pour diffuser largement ses médisances. Ou bien, agissez contre des accusations encore plus honteuses qui prétendent que votre maître aurait inspiré le Gourou qui a ordonné l'horrible acte terroriste de la secte japonaise Aum, celle qui a empoisonné au gaz sarin des passagers du métro de Tokyo ». Ce dernier, consterné par le fait que Shamarpa s'abaisse à colporter des ragots calomnieux, lui rappelle que Kalou Rinpoché était un de ses propres maîtres et que :
« Je ne vous répondrai pas avec les ragots qui circulent à votre sujet mais vous demande de considérer que si vous traitez ainsi vos propres lamas, Sa Sainteté le Dalaï-Lama et ceux qui ne partagent pas vos vues, dont je suis : il n'est pas étonnant que vous jouissiez de la bien mauvaise réputation qui vous entoure59. »
Ces maîtres qui s'entre-déchirent sont pour de nombreux pratiquants source de conflits internes.
p. 439 et 440
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Lors de la venue du Dalaï-Lama à Lodève (Lérab Ling) en septembre 2000, ce qui est considéré par Dhagpo Kagyu Ling comme un « tract » insultant et par Lama Denys comme un « communiqué de presse » provenant de la troisième conférence internationale Kagyu, a été distribué et a contribué à envenimer la situation en France. Ce tract, disponible sur Internet, car repris point par point par des lamas de Dhagpo Kagyu Ling pour y apporter une réponse et un démenti, débute par ceci :
« Une confusion est entretenue autour de la succession de Sa Sainteté le XVIe Gyalwang Karmapa, décédé en 1981. Cette confusion vient de ce qu'un des quatre régents, Shamar Rinpoché, a cherché à promouvoir son propre candidat contre le XVIIe Karmapa, reconnu selon les normes traditionnelles par les autres régents et l'ensemble de la lignée ». Puis :
« Le comportement de Shamar Rinpoché est grave. Il divise la lignée et fait le jeu de la Chine communiste qui tente par tous les moyens de saper l'autorité de Sa Sainteté le Dalaï-Lama et de dresser les Tibétains et les pratiquants bouddhistes les uns contre les autres. Pour éviter le développement de ces divisions, nous conseillons et demandons à tous les pratiquants sincères et honnêtes, disciples de maîtres Kagyu en particulier, de bien considérer la situation et de ne pas hésiter à se dissocier complètement des activités et des centres du clan Shamar, évitant ainsi de partager leurs actes négatifs et leurs conséquences. Tout pratiquant honnête et lucide doit aussi considérer qu'il n'est guère possible de suivre les enseignements de Sa Sainteté le Dalaï-Lama tout en s'opposant à sa vision et à son autorité en la matière. »
La réponse de Dhagpo Kagyu Ling, également disponible en ligne, critique ce « tract diffamatoire et agressif », qui « véhicule des valeurs sectaires, d'intolérance, d'exclusion, et mêle le Dalaï-Lama à cet argumentaire ». « Agir ainsi, c'est porter atteinte au bouddhisme dans son ensemble et à son plus éminent représentant, le Dalaï Lama. Aussi, devant ce fait grave, nous souhaitons offrir une réponse claire afin d'éviter une confusion chez les pratiquants, confusion qui pourrait les éloigner du Dharma ». S'en suivent plusieurs pages rappelant les faits, évoqués comme vérifiables, et le rôle de Guendune Rinpoché dans son choix pour le Karmapa du Shamarpa.
« Que l'on soit disciple d'Urgyen Trinlé ou de Thayé Dorjé est un choix personnel, mais il nous paraît important que l'on soit animé d'une foi et d'une dévotion pures, source d'une motivation juste, d'une activité juste et d'une conduite juste afin de pouvoir pratiquer un dharma authentique. Karmapa Thayé Dorjé, à propos Urgyen Trinlé, se veut rassurant :
" J'espère qu'il pourra aider les gens en enseignant le bouddhisme. " Karmapa Thayé Dorjé tient également à rassurer les pratiquant à propos de la division dans l'école Kamtsang Kagyu : "Qu'il y ait un ou deux groupes, cela n'est pas vraiment essentiel. Ce qui est important, c'est que les gens puissent retirer un bienfait et pour cela il est essentiel que les enseignements transmis dans la tradition kagyu demeurent intacts. En fait, il n'y a pas de division. Beaucoup de gens en parlent, oui, toutefois, ce qui importe, c'est le dharma en tant que tel, et le dharma n'est pas divisé. Les gens qui ne comprennent pas le dharma pensent qu'il y a une division ; ils pensent en termes d'institutions. Pour un pratiquant authentique du dharma, cependant, il n'y a pas de division. Pour ce type de personne, il y a seulement le dharma".
Nous adhérons pleinement à ces paroles de sagesse. Nous souhaitons que tous les pratiquants bouddhistes puissent progresser sur le chemin spirituel avec les maîtres qu'ils auront choisi*. »
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* Signé : « La congrégation Karmé Dharma Chakra et la communauté Dhagpo Kagyu Ling » P. O. Lama Puntso.
p. 438
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Alors que des prières pour le Dalaï-Lama étaient dispensées à Dhagpo Kagyu Ling avant l'implosion de l'affaire, elles sont désormais tues et on ne trouve pas de photos de Dalaï-Lama dans le centre, ni dans les centres au Bost. Certains affichent franchement leur réticence envers le Dalaï-Lama qu'ils considèrent avant tout comme un homme politique. La prise de partie des fidèles n'est pas pour autant systématique et certains admettent des réserves en particulier par rapport à la controverse et aux luttes de pouvoir qu'elle implique. Ainsi un jeune fidèle Karma-Kagyü, Steve, me dira qu'à son niveau, il s'interdit d'avoir une opinion sur des choses qu'il ne maîtrise absolument pas. Il trouve néanmoins décevant ce conflit qui est secondaire car ne concernant pas sa pratique.

Au-delà des discours qui affirment que le choix est personnel, des pressions sont exercées et les devoirs d'allégeances et de loyautés avec tel ou tel maître conditionnent le choix de plusieurs fidèles. Pour certains, ces pressions et ces actes sont dommageables et ne font que jeter le discrédit sur le dharma car ils vont à son encontre. Pour des visiteurs curieux et novices qui ne connaissent rien au bouddhisme tibétain ou très peu, mais qui sont intéressés pour en savoir un peu plus dans cette affaire ; dans les centres du Dhagpo Mandala, le rôle politique du Dalaï-Lama et la corruption chinoise d'un Sitoupa sont avancés alors que dans les centres partisans du Karmapa Orgyen Trinlé, on préviendra le novice que le clan du Shamarpa s'oppose à l'autorité du Dalaï-Lama, qu'il ne cherche que des intérêts financiers et que le Karmapa Thayé Dorjé n'est qu'un jouet aux mains du Shamarpa. Ainsi, dans les deux factions, on trouve des opinions radicales et d'autres plus modérées ; il semble tout de même que les opinions les plus radicales et les plus critiques se retrouvent chez ceux qui soutiennent Karmapa Orgyen Trinlé Dorjé.
p. 436
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En ce qui concerne la scission de la lignée, les rivalités et autres violences qui opposent certains fidèles et certains maîtres, le lama, en plus de regretter cela, note que ce sont des comportements qui ne sont pas en accord avec l'enseignement bouddhiste, particulièrement avec la pratique bouddhiste.
Au-delà des considérations personnelles et des choix préférentiels que certains expriment par rapport à l'un ou l'autre des Karmapa, les enjeux économiques, politiques et religieux occupent une place de choix, tant au niveau personnel qu'au niveau organisationnel, la grande majorité des centres ayant opéré un choix et n'ayant pas opté pour une position de neutralité. Dans un article concernant un centre tibétain Karma-Kagyü en Angleterre (Bath Karma Paksi) et son choix quant à la reconnaissance d'un des Karmapa, Helen Waterhouse explique que le conflit est éminemment politique et, même si certains fidèles souhaitent séparer le spirituel du politique (à l'instar du lama cité plus haut) le Bath Karma Paksi a incorporé des facteurs spirituels, politiques et économiques dans le choix de la reconnaissance d'un hiérarque pour sa pérennité : facteurs directement liés à la question de l'autorité*.
À travers un exemple concret, ce lama me confia qu'il avait l'habitude d'aller enseigner dans des centres Karma-Kagyü en Allemagne avant que l'affaire n'implose. Ensuite, la direction de ces centres lui a demandé de choisir et de signer un document attestant qu'il reconnaît un seul et unique Karmapa comme l'authentique réincarnation du XVIe Karmapa. Il a refusé de signer et de rentrer dans la polémique et il ne va plus, de fait, enseigner dans ces centres.
...
Pour un autre lama du Bost, « le temps sera le meilleur juge » mais sa vision est devenue au fil des années plus stable et plus sereine après l'« énorme déception » du départ. En effet, les « Rinpochés ne pouvaient tous avoir raison et ils méritaient donc d'être tous suspects ! Fin des piédestaux à priori ». Pour lui, il s'en est suivi une « nécessaire et salutaire démystification ».
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*« Who is the Karmapa ? Western Buddhist Responses to a Challenge to Traditional Religious Authority », Diskus, Vol.3 No.2 (1995), p. 59-73.
p. 435
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À Dhagpo Kagyu Ling, le fait que le Karmapa Thayé Dorjé ne soit pas reconnu par le Dalaï-Lama les oblige à rappeler le rôle du Dalaï-Lama, justifiant « qu'historiquement, il n'a jamais été l'autorité spirituelle ultime chez lez Kagyus ». Lorsque j'ai abordé cette controverse avec les lamas de Dhagpo, ils m'ont majoritairement répondu qu'ils ont fait confiance à leur maître, Guendune Rinpoché, qui un jour a mis sur l'autel du temple la photo de Thayé Dorjé et s'est mis à se prosterner devant lui. Certains ne veulent pas trop s'attarder sur le sujet et j'ai observé quelques réticences. D'autres font confiance en l'avenir qui permettra au véritable Karmapa de se manifester.
...
Un certain recul avec la perception romantique du bouddhisme tibétain engendre une réflexion sur la controverse qui est pour ce lama de Dhagpo, le résultat d'une « évolution historique ». Il reconnaît que les visions naïves faisant de tous les Tibétains des « sages » ont été quelque peu bousculées par cette controverse. Le fait de vouloir s'abstenir de faire de la politique en ne cherchant pas à discréditer l'autre Karmapa mais en respectant le choix de son maître est pour lui essentiel. La foi en son maître étant totale, elle implique une certitude quant à la reconnaissance de l'authentique Karmapa Thayé Dorjé mais ne doit pas masquer la politisation de la controverse au sein de Dhagpo Kagyu Ling.
...
p. 433
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La révocation de l'autorité du lama est donc récente en France, si on excepte le cas du Lama Kunzang. Il faut tout de même mentionner le cas d'un lama français (moine) connu pour ses fonctions importantes dans un important monastère Kagyü. Sa révocation provient notamment du fait qu'il entretenait, depuis de nombreuses années, des relations à caractère sexuel avec plusieurs de ses disciples. Celle-ci n'a pas été directement le fait de ses disciples (un retraitant l'a tout de même dénoncé) mais celle de l'institution, des autorités, qui l'ont destitué de son titre de lama et l'ont mis à l'écart du monastère en lui interdisant d'enseigner comme lama kagyu. Ce dernier ne s'est pas opposé au verdict. Cette histoire a bousculé plus d'un fidèle et a suscité beaucoup d'émotions, de colères et de critiques. Pour certains, il s'agit d'un véritable scandale, d'une honte. Il faut tout de même noter que les autorités tibétaines ont agi de manière rapide et que la gestion de l'incident s'est faite discrète afin de ne pas éveiller la curiosité des observateurs. Suite à cela, plusieurs changements ont affecté la communauté : pour les plus importants, notons le départ du monastère de plusieurs lamas et moines (dont l'« abbé », marié depuis, qui enseigne aux États Unis) qui ont rendu leurs vœux monastique, départs également de laïcs, conflits de pouvoir, de personnes, tensions avec les autorités tibétaines dans la gestion du monastère et la transmission proposée (notamment dans les centres de retraites avec le changement de programme).
p. 421
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Lors d'une confrontation et d'une remise en cause du maître (de sa personne ou de son activité), un fidèle quitte le centre de lui-même ou bien, il peut être sommé de quitter le centre à cause de son comportement et de ses pensées qui ne sont plus acceptables par le maître. Précédemment, on a pu voir que le transfert négatif était présent et faisait même parti du processus de la relation au lama. Rejets et remises en cause ponctuels sont perçus comme naturels. Les ruptures définitives sont, elles, bien plus éloquentes. Plusieurs personnes ont quitté un centre directement à cause de leur relation à leur(s) lama(s). Les critiques sont parfois si difficiles à émettre (avec les conditionnements successifs énumérés plus tôt) que dans certains cas, une personne quitte le centre en silence. D'autres n'ont pas hésité à un moment donné, à médire voire insulter le maître ouvertement. Il s'en est suivi une période de rupture plus ou moins longue et parfois, la personne est revenue se faisant toute petite ; parfois aussi elle a choisi de se tourner vers un autre maître ou d'arrêter sa pratique bouddhique. Souvent, les personnes qui gravitent autour du maître et en sont proches, se révèlent des intermédiaires efficaces quant à la construction du pouvoir du maître, à sa diffusion, sa justification et son intériorisation. Ils ne sont pas en reste pour stigmatiser une personne qui a quitté le centre ou qui a développé un comportement critique. Notons que les centres communautaires connaissent un “turnover” important dû à des problèmes de gestion et d'autorité. Un lama français me dira qu'une de ses disciples est partie après s'être rebellée contre lui. Pour lui, elle est désormais perdue car elle a continué, après son départ, à médire le centre et son lama.
p. 420
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Il* ajoute que la conception du pouvoir dans le Texte (avec un centralisme accentué) « est beaucoup trop liée à la terreur et au sens coupable ». Pour l'auteur, la Loi est souvent confondue avec le principe hiérarchique : « en s'attaquant au chef, on lèse la Loi ». Il semble en être de même avec certains adeptes du Vajrayana. Plusieurs ont connu des expériences pénibles et douloureuses et ne souhaitent pas s'exprimer pour ne pas salir le dharma ; d'autres formulent des critiques envers certains maîtres et organisations, en prenant soin de ne pas critiquer le dharma. En outre et comme le dit Lucien Scubla à propos de la manipulation du sacré à fins diverses : « L'existence d'escroqueries ou d'abus de pouvoir commis par des policiers ne permet pas de conclure que la police est une association de malfaiteurs. De même, les forfaits commis sous couvert de religion n'impliquent pas que le religieux soit, dans son principe, une imposture. »
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* Pierre LEGENDRE “Jouir du pouvoir. Traité sur la bureaucratie patriote”, op.cit., p. 67.
p. 419
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Le terme peut évoquer une condition passive, vulnérable, une condition de dépendance. Ces conditions, présentes chez plusieurs adeptes rencontrés, peuvent aboutir à des « utilisations », conscientes ou non, de la part de leur(s) maître(s). Il faut tout de même employer certaines précautions afin d'éviter tout amalgame : toutes les activités relevant d'une abnégation de soi, d'une dévotion et d'un respect pour les maîtres, ne peuvent être comparées et définies comme étant des « utilisations ». L'ambiguïté de certaines activités, qui, vécues par le disciple comme le samaya peut-il, eu égard à son importance formelle, devenir l'instrument d'un pouvoir coercitif ? Le lien du samaya, disait Lama Guendune, n'est pas formalisé ni ritualisé, c'est un engagement, une corde qui relie maître et disciple. Les samaya pris lors des grandes initiations publiques n'ont pas grand-chose à voir avec les samaya pris dans l'intimité d'une relation de maître à disciple. L. Deshayes souligne que les samaya, outre leur caractère formel « ont une dimension intime, dite “secrète”, qui est la plus importante ». Cette dimension est normalement connue du seul disciple et son maître. Cependant, plusieurs fidèles m'ont parlé de leurs samaya, de manière explicite ou non. Dans leurs discours, le samaya a pu entraîner de forts sentiments de culpabilité car, considéré comme vital dans la relation au maître, les entorses à ses vœux constituent des fautes graves. La lecture des textes traditionnels concernant ses vœux et leur respect tend à influer l'interprétation personnelle des disciples, qui n'ont pas forcément connaissance du type de samaya qu'ils sont censés détenir. Par exemple, lorsqu'on lit : « Celui qui, après s'être engagé dans l'esprit d'éveil et ses vœux les brise ne peut échapper aux renaissances inférieures ». Ce type de phrase influence plusieurs fidèles. Il peut amener à des comportements perturbateurs et coupables chez le disciple. Lorsque ces paroles sont prononcées par leur maître (avec des variantes), l'effet peut être plus pernicieux, suivant l'équilibre psychologique de la personne et la motivation du maître qui les prononce. Parfois, dans un sangha donné, ce n'est pas dans les relations de maîtres à disciples que des abus éclatent mais entre les pairs (frères et sœurs Vajra) ou avec d'autres maîtres. Par exemple, un adepte en critique un autre car ce dernier n'a pas respecté l'éthique des vœux sans en parler à son lama et qu'il a endommagé son samaya, ce qui est préjudiciable. Parfois, c'est un membre du sangha qui va témoigner au lama des agissements d'un autre disciple, agissements qu'il juge non conforme à ses engagements. Des contraintes nées de la vie communautaire et du rapport à la hiérarchie engendrent plusieurs processus de contrôle interne, de régulation et de codification des pratiques et des comportements.
p. 417
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En effet, il apparaît que des procédés de suggestion sont utilisés par certains maîtres afin d'obtenir certaines faveurs, matérielles ou autres. L'efficacité du pouvoir symbolique du langage par exemple, nécessite « la croyance dans la légitimité des mots et de celui qui le prononce, croyance qu'il n'appartient pas aux mots de produire ». Bourdieu soulignait que le pouvoir symbolique ne se suffit pas à lui-même, il trouve son fondement dans les rapports généraux de domination, dont il peut apparaître comme une « sublimation ». L'idéalisation, les projections, l'attachement et la dépendance sont autant de sentiments qui peuvent générer des abus chez les guides à qui on voue une « confiance aveugle ». Le terme suggestion proviendrait, selon G. Fiorentini « de l'étymon latin subgerere, verbe qui signifie bien “mettre (ou poser) quelque chose sous (ou plus bas)” », mais qui contient en même temps l'acception positive de communiquer, enseigner, conseiller et aussi l'acception négative d'insinuer, chuchoter quelque chose à l'oreille de quelqu'un ou même d'induction de forces surnaturelles ».
p. 414
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Ce témoignage critique, à la fois envers certains maîtres tibétains et occidentaux mais aussi envers de nombreux fidèles, est révélateur de plusieurs témoignages recueillis par des bouddhistes de longue date, qui aujourd'hui critiquent sévèrement certains développements du Vajrayana en France (plus largement au niveau mondial). Du côté des maîtres, les comportements sont évidemment variables et ne répondent pas à des caricatures rigides comme Georges a pu en réaliser.
Dans sa thèse, A. Frechette mentionne que certains maîtres considèrent uniquement leurs étudiants occidentaux comme leurs servants (gyog-po) alors que d'autres les considèrent comme des étudiants. Le modèle de la relation au maître telle qu'elle s'exprime dans la tradition tibétaine est marqué culturellement et sa transposition en Occident donne des situations inédites d'incompréhensions et de projections réciproques. Dans le pire des cas, des abus de toutes sortes viennent se greffer à ces relations, où les femmes, majoritairement les plus proches du maître (servantes), peuvent être prises comme partenaires sexuels.
L'argent est incontestablement un enjeu majeur qui génère lui aussi des abus. S. Wetzel mentionne que c'est un véritable problème en Occident que les maîtres reçoivent de l'argent de leurs disciples. Elle prône un travail séculier à côté de l'activité de maître32. La capacité du disciple à être généreux, à ne plus se soucier de son ego, à se donner littéralement, est perçue comme une qualité, en outre génératrice de mérites. On peut comprendre que ce don de soi puisse être instrumentalisé et exploité à des fins nettement plus triviales que le cheminement sur la voie de la Libération.
p. 413
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Georges (56 ans), pratiquant Kagyü depuis 29 ans, me témoigne de sa perplexité face à l'accroissement de « maîtres bidons qu'on nomme Rinpoché un tel, Sa Sainteté bidule, lama machin... ». Son témoignage est intéressant à plus d'un titre car il soulève des questions relatives à la légitimité des maîtres et à la responsabilité directe des disciples. Pour lui, les maîtres authentiques se font rares et les fidèles devraient davantage « faire attention » avant de s'en remettre à l'un d'eux. Il m'explique que la position d'autorité d'un maître qu'on pense être éveillé entraîne des comportements parfois surprenants de la part des disciples « complètement béats devant leur lama, qui ne demandent qu'à obéir ». Il ajoute que cette position et cette situation peuvent entraîner de la part du maître des pensées et des actions qui ne sont pas toujours honorables à l'égard des disciples. C'est un processus classique pour Georges, que l'on retrouve partout : « C'est la nature humaine et sans preuve du contraire, les maîtres, même si tu dois les considérer comme des bouddhas sont toujours des hommes, c'est ce que les gens semblent oublier. Les gens sont tellement paumés, en recherche de je ne sais quel sauveur que voilà où on en est ». Il s'interroge alors devant l'inhibition de l'esprit critique d'une bonne partie de fidèles devant ce qu'il nomme « la profusion de pseudos maîtres qui n'en veulent qu'à notre fric ». Il me dit alors d'aller en Inde afin de voir dans quelles « misérables conditions vivent certains lamas avec leurs 4X4 de luxe garés devant leurs monastères gigantesques » cela, avec un sourire ironique. II témoigne alors de son expérience avec son maître tibétain aujourd'hui décédé, en vantant les qualités. Il poursuit en témoignant de la « cupidité » et de la « luxure » de « Tibétains malins, surtout ceux qui ont compris qu'il y avait du fric à se faire en Occident et ailleurs ». Il trouve néanmoins cela « normal » : « Pourquoi seraient-ils différents des Occidentaux, de leur soif de pouvoir, d'argent et de conquête ? En plus. ils le font d'une manière assez habile, subtile comme on dit ». S'en suit alors une comparaison avec les missionnaires chrétiens en Asie qui usaient de tous les stratagèmes possibles pour convertir les bouddhistes et les lamas tibétains en France :
« Ici, c'est l'inverse, on se presse et on paye pour recevoir la bénédiction d'un lama que l'on ne connaît même pas ! C'est comique ! Les gens pensent qu'ils accèdent aux enseignements tantriques alors qu'on leur sert ni plus ni moins qu'un catéchisme, une grande messe. Ils y croient, c'est ça l'essentiel non ? Quelle est la différence entre un lama tibétain opportuniste mais qui sait de quoi il parle quand il parle du dharma, comme un professeur, et un petit lama français ignare comme il y en a pas mal, qui souvent cache sa merde mentale derrière sa robe bordeaux ? Je préfère encore le tibétain, qu'il ne faut pas prendre comme un lama au sens littéral du terme mais comme un prof qui n'a donc pas de compte à rendre de sa vie privée et de ses intentions. Seulement c'est un lama quand même avec tout ce que cela suppose de projections et puis, il n'a pas envie de perdre son titre non plus et de se dire professeur. Et le lama français ignare, c'est quoi son problème ? C'est un impuissant tout simplement qui se planque derrière son titre et sa robe car il est incapable de faire autre chose, et franchement, faut voir les dégâts que ce genre de types fait. Mais si les gens sont assez cons pour aller les trouver, pourquoi pas ? » (Paris, 2005)
p. 412
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II. UNE RELATION A DOUBLE TRANCHANT
1. Disciples ou servants ?
« Pauvres gens misérables, peuples insensés, nations opiniâtres à votre mal et aveugles à votre bien ! Vous vous laissez enlever sous vos yeux le plus beau et le plus clair de votre revenu, vous laissez piller vos champs, voler et dépouiller vos maisons des vieux meubles de vos ancêtres ! Vous vivez de telle sorte que rien n'est plus à vous. Il semble que vous regarderiez désormais comme un grand bonheur qu'on vous laissât seulement la moitié de vos biens, de vos familles, de vos vies. Et tous ces dégâts, ces malheurs, cette ruine, ne vous viennent pas des ennemis, mais certes bien de l'ennemi, de celui-là même que vous avez fait ce qu'il est, de celui pour qui vous allez si courageusement à la guerre, et pour la grandeur duquel vous ne refusez pas de vous offrir vous-mêmes à la mort. Ce maître n'a pourtant que deux yeux, deux mains, un corps, et rien de plus que n'a le dernier des habitants du nombre infini de nos villes. Ce qu'il a de plus, ce sont les moyens que vous lui fournissez pour vous détruire. D'où tire-t-il tous ces yeux qui vous épient, si ce n'est de vous ? Comment a-t-il tant de mains pour vous frapper, s'il ne vous les emprunte ? Les pieds dont il foule vos cités ne sont-ils pas aussi les vôtres ? A-t-il pouvoir sur vous, qui ne soit de vous-mêmes ? Comment oserait-il vous assaillir, s'il n'était d'intelligence avec vous ? Quel mal pourrait-il vous faire, si vous n'étiez les receleurs du larron qui vous pille, les complices du meurtrier qui vous tue et les traîtres de .vous-mêmes ? (...) Vous vous affaiblissez afin qu'il soit plus fort, et qu'il vous tienne plus rudement la bride plus courte. Et de tant d'indignités que les bêtes elles-mêmes ne supporteraient pas si elles les sentaient, vous pourriez vous délivrer si vous essayiez, même pas de vous délivrer, seulement de le vouloir »*.
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* Le discours de la servitude volontaire...op.cit.
p. 411
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Mais, dans plusieurs communautés bouddhistes d'Occident, il relève la présence de la détention d'une vérité particulière avant toute investigation. L'on se retrouve alors devant une « double pensée » (« double-think ») ; d'un côté, on doit tout tester avant de l'adopter et en même temps, ce que dit le lama doit être cru car il se réfère à un plan de réalité au-delà de notre compréhension. Les conséquences, selon P. Bishop, peuvent aller du mythe de l'infaillibilité et de l'omnipotence au paternalisme. Les critiques envers le maître sont perçues comme étant le reflet de l'ego et les fidèles s'abstiennent en général de critiquer ouvertement leur lama ». La résultante est une inhibition souvent excessive de l'esprit critique, pouvant amener à des abus de toutes sortes. Dans les centres communautaires, l'assimilation des différents niveaux hiérarchiques engendre un discours normatif et orthodoxe chez les fidèles qui concourent à adopter le point de vue dominant, justifiant ainsi leur domination (réelle ou symbolique). Ils adoptent la place dans la structure de la communauté que l'on veut bien leur laisser. Foucault rappelait à juste titre qu'« il faut en somme admettre que ce pouvoir s'exerce plus qu'il ne possède, qu'il n'est pas le « privilège » acquis ou conservé de la classe dominante, mais l'effet d'ensemble de ses positions stratégiques - effet que manifeste et parfois reconduit la position de ceux qui sont dominés ».
Pour revenir à la place qu'occupe ou que prend le lama, V. Saroglou mentionne les témoignages sur le danger de se prendre pour le Père. Le fait qu'un père spirituel conseille de chercher un maître infaillible peut en effet laisser supposer « que le père perçu par le disciple comme infaillible risque de se prendre comme tel »24, raisonnement pertinent pour plusieurs maîtres rencontrés, même s'il en existe évidemment des plus humbles.
p. 410
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