Citations de Cécile Tlili (49)
(...)et, sentant une colère mêlée de détresse monter en elle, elle se demande si elle parviendra un jour à résoudre cette contradiction : elle voudrait se rendre invisible, et pourtant elle leur en veut à tous de la rendre invisible.
C'est amusant comme, d'un jour à l'autre, on en arrive à ne plus rien se dire. À ne plus rien comprendre. À moins qu'on n'ait jamais rien compris.
(...) elle se demande si elle parviendra un jour à résoudre cette contradiction : elle voudrait se rendre invisible, et pourtant elle leur en veut terriblement à tous de la rendre invisible.
" j'adore cette façon qu'ont les Parisiens de penser que leur ville n'appartient qu'à eux, lui avait dit Manon. Je veux dire, la façon qu'à chaque parisien de penser que la ville n'appartient qu'à lui. Ils se vantent du caractère cosmopolite de Paris, et pourtant le moindre serveur qui fume sa cigarette devant son café semble vouloir te faire sentir que tu empiètes sur son territoire."
« (…) elle a voulu jouer à la parfaite maîtresse de maison. Sans même y réfléchir, elle a endossé ce rôle avec fougue. »
Elle les écoute déverser sur elle, le flot de leur flatterie, elle observe son reflet sur leurs faces, lisses jusqu'à l’écoeurement, jusqu'à ne plus pouvoir supporter la médiocrité de ce miroir.
Il sait combien il est injuste de faire subir à cette pauvre fille toute la violence de son angoisse, et pourtant il ne peut s' empêcher de lire dans l'arc mélancolique des yeux de Claudia une invitation à y essuyer la rage boueuse qui le submerge. Cette soirée le rend fou.
Pour Claudia qui étouffait dans une vie trop étroite, Etienne ouvrait la porte d'un nouveau monde, grand et beau comme lui.
(...) Elle semblait ignorer son pouvoir de séduction, elle s'estimait trop peu pour ressentir autre chose que de la reconnaissance envers lui, elle était trop discrète pour risquer de le priver de sa liberté. Il se demande quel cheminement mystérieux a conduit cet oiseau craintif à revendiquer aussi farouchement, ce soir, son droit à l'amour.
Étienne n'appartient pas à la catégorie de personnes qui se laissent aller aux regrets. Il est de la caste de ceux à qui le monde est dû.
Claudia s'adosse au mur de la cuisine La chaleur emmagasinée par le plâtre tout au long de La jiurneecse propage dans ses hanches ,ses omoplates,ses épaules.( Page 7).
Elle est celle à qui l'on pose des questions sans jamais vraiment écouter les réponses.
Étienne observe le plan de travail de granit où Claudia finit de garnir les assiettes, la table de bar, les meubles de cuisine aux lignes d'une sobriété parfaite. Son regard file vers les grands miroirs de la salle à manger et du salon qui se renvoient leurs reflets à l'infini, vers le parquet centenaire dont il aime entendre le craquement sous son pied. Jamais il ne pourra renoncer à tout cela. Au contraire : il est programmé pour en avoir toujours plus ; toujours plus grand, toujours plus beau. Il ferme les yeux.
Pendant qu'Etienne continue d'étourdir Johar de chiffres vertigineux, Rémi se lance dans un exercice de calcul mental : il additionne son salaire à celui de Manon, soustrait le coût d'un loyer parisien, se désole devant la minceur du résultat. Deux petits profs, se dit
Rémi, nous aurions le train de vie de deux petits profs.
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Rémi et Étienne la regardent.,étonnés de l'urgence qu'ils ont percue dans sa voix, puis acceptent l'évidence consistant à laisser deux femmes préparer le repas.
Il pense au jeune intellectuel charmeur et pétillant qui l’avait séduit au premier sourire vingt ans plus tôt, et il se dit qu’Etienne finira triste et frustré, parce qu’il aura voulu se couler dans un moule trop étroit pour lui.
Elle devra, pour un temps encore, rester simplement elle-même, se contenter des limites inconfortables de son être, se confronter à l' épuisante absurdité de son existence. Cette idée ne l'attriste pas réellement non plus. C'est comme si elle s'y était déjà résignée depuis longtemps.
Johar lève les yeux de son téléphone. Étienne et Claudia arrivent, une assiette dans chaque main, en une ridicule procession. Elle se demande quel besoin a cette femme de se cacher derrière son compagnon, et quel besoin il a, lui, de s'attribuer le mérite des plats qu'elle a visiblement mis des heures à mitonner. A sa gauche, Rémi déguste le bourgogne à petites gorgées. Elle entend un écœurant bruit de succion, on dirait qu'il dépose des baisers humides sur la bordure du verre.
En cet instant, elle les déteste tous. A vrai dire, c'est surtout elle-même qu'elle déteste. Comment a-t-elle pu écrire cela à Carl? « Laisse-moi encore un peu de temps. Je suis désolée. » Jamais elle ne se montre désolée, de quoi que ce soit. Jamais elle ne se montre hésitante. Elle s'est stupidement laissé perturber par les appels de sa mère, qui a décidément bien choisi son jour pour prendre des nouvelles de sa fille. Elle a été déconcertée par l'insistance de Rémi, par cette intonation acide qu'il n'a habituellement jamais avec elle. Elle a mis en péril le job de sa vie pour une histoire de fleurs de courgette qui allaient refroidir.
Et, avec une sotte confiance, Claudia avait écouté les flatteries en croyant y entendre une note sincère. Avec la même faiblesse que lorsqu'elle croyait voir dans les yeux d'Etienne de l'amour et peut-être même de I'admiration, avec la même vanité que lorsqu'elle pensait qu'il l'avait choisie parce qu'il devinait la pépite enfouie sous les strates de timidité et de discrétion, elle avait pensé que Johar saurait la déchiffrer. Un instant, elle avait rêvé de pouvoir s'ouvrir à Johar.
Johar savoure la quiétude retrouvée de la ville. Elle s'aperçoit que Rémi, sans le vouloir sans doute, a calé son pas sur le sien. Sur l'asphalte du boulevard Raspail, deux ombres glissent en choeur, deux silences se font écho.