Dans cet épisode d'Effractions : le podcast, la sociologue Charlotte Debest évoque les thématiques abordées dans Boulder, d'Eva Baltasar. Dans ce récit, la narratrice voit son couple péricliter après que sa compagne lui ai fait part de son désir d'enfant.
Cet épisode a été préparé par Bernadette Vincent
Réalisation : Michel Bourzeix et Gilles D'eggis
Lecture : Caroline Girard
Extrait lu : Boulder © Editions Verdier, 2022
Musique : Thomas Boulard
Ce podcast a été enregistré dans les studios du Centre Pompidou
+ Lire la suite
Le fait d'avoir des enfants, et d'en être responsable, conduit à ne pas pouvoir partir du domicile conjugal avec pour seul compagnon son baluchon.
Mais, du côté des normes et de leur diffusion, il apparaît que les exigences pour être un "bon parent" sont contradictoires avec celles pour être "un bon conjoint", comme l'expriment les personnes volontairement sans-enfant. D'un côté, le "métier de parent" suppose disponibilité, relation inaliénable et restriction de sa liberté et de son autonomie, de l'autre le "métier de conjoint" suppose épanouissement personnel, relation sécable, autonomie des deux partenaires. Les individus sont appelés à répondre aux attentes d'un lien inaliénable au travers de la filiation tout en devant répondre à l'injonction du couple "moderne", qui suppose la possibilité de rompre, alors même que le couple stable est posé comme un prérequis, une condition normative, à l'entrée en parentalité. C'est bien l'articulation entre le "métier de parent" et celui d'amant.e qu'il s'agit aussi de penser (Debest, 2012) et les normes contradictoires qui sont véhiculées et qui rythment la vie d'un individu en au moins trois facettes : la vie professionnelle, la vie parentale (plus que familiale) et la vie conjugale. En ce sens les femmes, mères et en couple, ne vivent pas une double journée mais bien une triple journée et, pour les femmes à capital économique élevé, une situation de "monoparentalité" pourrait s'avérer plus satisfaisante et moins harassante qu'une situation de famille classique (Murard, 2004)
Enfin, d'autres [hommes du corpus] évoquent, d'une manière ou d'une autre, dans l'entretien le fait d'avoir privilégié leur relation conjugale au détriment d'une potentielle vie de famille. Ils ont, soit explicitement déclaré qu'avant la rencontre avec leur compagne actuelle ils pouvaient se projeter dans une paternité mais que leur partenaire ne souhaitait pas devenir mère, soit que la femme avec qui ils ont été en couple durant une vingtaine d'années n'a pas été "moteur" du projet d'enfant et qu'ils n'ont pas souhaité être à l'initiative d'un projet d'enfant qu'ils auraient eu à assumer. Ces deux types d'explications renvoient bien au fait que même pour ces hommes qui sont volontaires pour parler de leur souhait de ne pas être père, ce sont les femmes qui sont responsables des enfants. Elles deviennent ici presque responsables du (non) désir d'enfant des hommes, ce que l'on peut retrouver au travers des études portant sur les couples infertiles.
Or, il apparaît au regard des discours des SEnVol, mais également des questions posées habituellement au sujet des personnes volontairement sans-enfant, que certains qualificatifs péjoratifs leurs sont renvoyés à l'annonce de leur souhait de rester sans enfant [...]. Ce que l'on renvoie en premier aux SEnVOL est l'égoïsme [...]. La deuxième caractéristique accolée au fait de ne pas vouloir d'enfant est le fait de ne pas aimer les enfants [...]. La troisième caractéristique, ressortie mois fréquemment que les précédentes, accolée au fait de ne pas vouloir d'enfant est le reproche d'une sexualité diverse, non conjugale, non reproductive, potentiellement dangereuse, notamment lorsque l'on est femme [...]. Ce qui est renvoyé aux femmes SEnVol, et de manière générale, aux femmes sans enfant, c'est de ne pas être des femmes accomplies.
En 2005 [...], seuls 10% des individus interrogés pensent qu'il est tout à fait possible, pour un homme ou pour une femme, de s'épanouir sans enfant.
Cette question de la liberté et du refus de l'autorité est le fil rouge de la trajectoire de vie des SEnVol, tant dans la sphère familiale, conjugale que professionnelle. Ce désir de liberté est également lié aux valeurs égalitaires, émancipatrices et libérales de la société française actuelle.