"La Page à la Plage" avec Charlotte Signac-Hellman
C'est ainsi par le caractère de ma mère, que celui de Signac m'est alors parvenu.Dévoiler comme je souhaite le faire une part de sa vie intime, c'est tenter de restituer ce qu'il y a derrière la figure célèbre mais aussi, il le faut bien raconter d'abord un peu son parcours.
Si j'essaye d'être objective, c'est sans doute aussi grâce au comportement de plusieurs femmes libres et fortes comme elle, provoquant le scandale, faisant bouger les lignes, que leur statut a évolué. Et concernant sa maternité défectueuse, il faut bien admettre que tout cela se passe à sa décharge dans un univers où l'enfance est dans son ensemble assez peu ménagée, et ce n'est rien de le dire.
La célébrité expose et ralentit à la fois. Certains ont déjà leur idée arrêtée sur le personnage, son œuvre, même sans connaître sa vie intime. Il est vrai que celle-ci n’a pas eu sur son travail une influence fracassante comme cela peut être le cas pour d’autres artistes.
Dévoiler comme je souhaite le faire une part de sa vie intime, c’est tenter de restituer ce qu’il était derrière la figure célèbre, mais aussi, il le faut bien, raconter d’abord un peu son parcours. J’ai découvert chez lui tant de facettes antithétiques qu’il est très difficile de résumersa personnalité : homme d’action amoureux du calme, débordant d’énergie mais méticuleux, ouvert d’esprit, mais aussi vissé à des convictions fortes. Bien avant que l’expression ne devienne un slogan macronien, Signac me semble vraiment l’homme du « en même temps » ! Cela je le découvrirai, bien sûr, dans son cheminement amoureux et familial : l’exploit qu’il accomplira en la matière puisera abondamment dans ces apparentes contradictions.
Tout ce qui tisse une vie, un microévénement après un autre, ces missives où s’entremêlent nouvelles des voisins et amis, remerciements pour colis, dates de train, mais où l’on sent palpiter la grandeur des sentiments derrière les tracas et les petites attentions.
En plus de sa renommée de peintre, mais aussi de chef très actifs des Indépendants, son action sociale durant les années 1932-1934 l'avait fait connaître d'un nouveau public, et des lecteurs des pages politiques des journaux. On l'avait vu dans des réunions contre la montée rapide du fascisme et contre la guerre qui menaçait déjà. Cet amour du petit peuple de Paris - cette notion aujourd'hui disparue - de ce que l'on appelait alors "second peuple de Paris" -, la famille le sent palpable lors de ces témoignages de sympathie.
Et puis, autour de moi, les divorces se sont soudain multipliés. De nos jours, rien de plus banal. Mais contrairement à ce que j’avais cru, le divorce n’est pas devenu une formalité. Les unions et les enfants sont aujourd’hui pour la plupart désirés et, lorsque le drame surgit, avec son cortège de souffrances, ils le subissent peut-être encore davantage. Surtout, la légitimité à « refaire sa vie », cette extension du droit au bonheur invoquée par les uns et les autres, m’a brusquement ramenée au trio dont je viens.
"Les œuvres de Turner me prouvent qu'il faut être libre de toute idée d'imitation et de copie,et qu'il faut créer des teintes. Le plus fort coloriste sera celui qui créera le plus- s'astreindre à copier la nature, c'est se priver de 99/100 des sujets et des harmonies que le peintre pourrait traiter. Comme c'est restreint ce que l'on pourrait copier...comme c'est illimité ce que l'on pourrait créer. "
Paul Signac
« Je préfère quand le spectateur sort avec des questions plutôt qu’avec des réponses. » En pénétrant de façon si méthodique dans les méandres de ces existences tissées de douleurs, de grandeur et de pardons, au milieu de si petites choses, je mesure combien le doute grandit, et me grandit. Alors, je vais essayer de m’approcher de la vérité, et de la raconter en faisant de mon mieux pour ne trahir personne.
« Méfie-toi des explications », « Quand tu doutes, laisse-toi flotter ». Sa voix très posée et sa devise préférée, Glissez, mortels, n’appuyez pas1, elle les tenait aussi de son père, le chirurgien Charles Cachin, le gendre de Signac dont je parlais plus haut. Un homme doux, précis et prudent, qui avait pour sa part parfaitement excellé dans l’art de glisser. D’abord en choisissant la médecine, un métier au service de la survie des autres, tout d’exécution et de précision, pour échapper aux grandes théories.