Apprendre à lire comme un écrivain Le parcours de Chigozie Obioma
Le 21 janvier les Artisans de la fiction et la Villa Gillet recevaient Chigozie Obioma, romancier nigérian. Son premier roman « Les pêcheurs » a été finaliste du prestigieux Booker prize en 2015 puis traduit en 27 langues. Chigozie Obioma est également professeur de littérature africaine et de creative writing à lUniversité Nebraska-Lincoln.
À loccasion de la sortie de son nouvel ouvrage « An orchestra of minorities / La prière des oiseaux » nous lavons interrogé sur son apprentissage de lécriture, au sein dun MFA (master of fine arts) américain et sur les techniques de narration quil enseigne à son tour à ses étudiants.
En effet, Chigozie Obioma enseigne aussi bien à de futurs écrivains quà de jeunes élèves. Son approche se distingue donc entre deux publics bien distincts : ceux qui souhaitent faire de lécriture leur carrière et ceux qui veulent simplement maîtriser les bases de la narration littéraire.
Dans cette interview exclusive il partage avec nous son parcours en tant quapprenti écrivain et ses méthodes de professeur décriture.
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J'ai entendu dire que lorsque la peur prend possession d'un cœur, la personne s'en trouble affaiblie. On aurait pu le dire de mon frère, car, lorsque la peur prit possession de son cœur, elle le dépouilla de bien des choses : sa sérénité, son équilibre, ses relations, sa santé, et même sa foi.
A fe f ko le fe ko
man kan igi oko
Osupa ko le hon ki
enikan fi aso di
Oh, Olu Orun,
eni ti mo je Ojise fun
E fa orun ya,
e je ki ojo ro
Ki oro ti mo to
gbin ba le gbo
E ba igba orun je,
ki oro mi bale mi
Ki won ba le gbo.
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Comme le vent ne peut pas souffler
sans effleurer les arbres,
Comme personne ne peut masquer le clair
de lune avec un drap,
Oh père de l'armée
dont je suis un oracle,
Je t'implore de déchirer les
cieux et de verser la pluie
Pour que les plantes
que j'ai semées puissent vivre
Mutile les saisons pour que
mes mots respirent,
Et qu'ils portent leurs fruits.
Elle cessa de parler, et ainsi débuta le silence qui allait engourdir son monde tout entier. À dater de ce moment, elle resta à la maison, assise, silencieuse, fixant le vague d'un regard fou. Quand notre père lui parlait, elle se contentait de le dévisager comme si elle n'avait rien entendu. Naguère, cette langue à présent pétrifiée produisait des mots comme les champignons produisent des spores. Quand elle était agitée, les mots surgissaient de sa bouche comme des tigres, et coulaient comme une fuite d'un robinet cassé quand elle était calme. Or, après ce soir-là, son cerveau devint un réservoir de mots dont aucun ne filtrait ; ils gelaient dans son esprit.
A chaque ballon détruit, nous nous cotisions pour en acheter un autre - tout le monde sauf Kayode qui, issus de cette frange indigente de la population qui proliférait dans la ville, ne pouvait se permettre de dépenser le moindre kobo. Il portait souvent un short déchiré, usé jusqu'à la corde, et vivait avec ses vieux parents, chefs spirituels de la petite Eglise apostolique du Christ, dans un bâtiment à un étage resté inachevé, situé dans le virage qui menait à notre école. A défaut de contribution financière, il priait pour le ballon, demandait à Dieu de nous aider à garder celui-ci plus longtemps en l'empêchant de sortir de la clairière.
Il était de tradition de franchir le seuil de la nouvelle année dans le cadre d'un office religieux, et tout le monde s'entassa dans la voiture de notre père pour aller à l'église, qui était bondée au point que des fidèles demeuraient à l'entrée ; tout le monde allait à l'office ces soirs-là, même les athées. C'était un moment lourd de superstitions : on craignait l'esprit maléfique des mois en "-bre" qui luttait bec et ongles pour empêcher les gens de franchir le cap du Nouvel An.
The early fathers often say that a planned war does not take even the crippled by surprise. But an unplanned one, that which is unexpected, can defeat even the strongest army.
( Nos ancêtres disent qu’une guerre prévue ne pourrait même pas prendre par surprise un handicapé. Mais une guerre non prévue, peut vaincre même l’armée la plus solide.)
....the old fathers say that if a secret is kept for too long, even the deaf will come to hear of it.
Nos ancêtres disent que si un secret est conservé trop longtemps, même le sourd l’apprendra.
Si la proie ne donne pas sa version de l’histoire, le prédateur sera toujours le héros des récits de chasse.
Proverbe igbo
L'homme malade commence par éprouver une sensation inhabituelle. A mesure que la douleur se répand dans son corps et que le glas de la fièvre résonne dans son crâne, des émotions surgissent, à commencer par une nervosité insolite. (...) Alors une forme d'angoisse met peu à peu sa machinerie en place. (...) Jusqu'à quand,jusqu'à quels extrêmes la maladie va-t-elle persister? L'homme est submergé d'angoisse. Mais il n'y a pas que cela. Vient la stupéfaction de voir la maladie prendre possession de son corps, dicter quelles parties du corps il faut lui céder, et comment il faut lui complaire pour espérer guérir. Mais le plus grave, c'est comment la maladie instille chez le malade la conviction qu'il en est lui même la cause.(...) Alors la maladie devient le serpent silencieux qui, délogé de sa paisible demeure, en conçoit rage et rancoeur, et qui inflige ainsi sa vengeance légitime.
pp.445,446.
Tout lui sembla comme d'habitude ce matin-là, semblable aux vingt et un jours précédents, car l'homme est dénué du pouvoir de prescience. Telle est, en suis-je venu à croire, la plus grande faiblesse humaine. Si seulement l'homme pouvait voir le lointain comme il voit ce qu'il a sous les yeux, voir le caché comme le visible, entendre ce qui est tu comme ce qui est dit, il s'épargnerait bien des malheurs. Resterait-il même une force pour le détruire ?