"Ses yeux d'eau" de Conceição Evaristo, traduit et lu par Izabella Borges (extrait)
Je me suis mis alors à copier tout ce qui me plaisait dans un carnet. regarde, ici : "Le rêves servent pour le déjeuner, jamais pour le dîner."[...]
Le rêve, c'est la volonté très forte que le meilleur se produise. Le rêve, c'est le refus de ce que l'on voit et l'invention de ce qu'on ne voit pas. J'ai fait des rêves que je ne pouvais pas réaliser. J'ai fait des rêves qui déroulaient toute ma vie, tout mon vécu. Aujourd'hui, j'ai découvert le sens de cette phrase. Le rêve ne te nourrit que jusqu'à l'heure du déjeuner, car au dîner, tu as faim de voir le rêve se réaliser. J'ai tellement rêvé au matin de ma vie, au déjeuner de ma vie - et aujourd'hui, au dîner, il ne me reste que la famine, le désespoir...
De cette attention à la vie qu’elles nous ont apprise m’est resté l’habitude de chercher l’âme, l’intime des choses. De recueillir les restes, les morceaux, les vestiges, car je crois que l’écriture – tout du moins pour moi -- est le désir prétentieux de coucher le vécu. D’éterniser l’éphémère.
L'homme était né très loin d'ici. C'était un négrillon ordinaire jusqu'au jour où il apprit à lire. La lecture aiguisa son sens de l'observation. Et il passa de l'observation à la découverte, de la découverte à l'analyse, de l'analyse à l'action.
Elle savait qu'Onc Toto Voulait mourir parce qu'il se sentait escroqué par la vie.
L’homme restait muet, les mots coincés dans la gorge. Aucun de ses gestes n’était porteur de sens. Poncia, elle, vivait l’angoissante et désespérante envie de la rencontre. Un mélange de colère et de déception s’emparait d’elle quand elle se rendait compte qu’ils n’allaient jamais au-delà du corps, qu’ils ne se touchaient jamais au-delà de la peau.
Mieux vaut un chien ami qu'un ami chien. [...] Mieux valait être un chien et l'ami du maître, qu'être un homme et ne jamais être son ami.
Poncia avait grandi dans la pauvreté. Ses parents, ses grand-parents, ses arrière-grand-parents avaient toujours travaillé la terre des maîtres. La canne à sucre, le café, les récoltes, le bétail, les terres, tout avait un propriétaire -le Blanc. Aux Noirs restaient la misère, la faim, la souffrance, la révolte suicidaire.
J'invente ? Oui, j'invente, sans la moindre pudeur. Eth bien quoi, les histoires ne sont-elles pas inventées ? Même les vraies, quand elles sont racontées. Je mets au défi quiconque de relater fidèlement un événement passé. Entre le fait et la narration quelque chose se perd.
Il disait que les femmes étaient des étoiles. Leur beauté illuminait la nuit que les hommes enfouissaient dans leur cœur. Elles habitaient sur d’autres terres, avaient d’autres façons d’être, d’autres rêves.
Le "rien-avoir" était une bombe dissimulée dans leur vie.