Premier livre lu dans le cadre du défi de Grominou , j’avais envie de découvrir ce roman au parfum de scandale quand il parut, en 1929.
La première constatation, c’est que les passages incriminés sont bien soft au regard de ce que l’on est capable de lire aujourd’hui. Les scènes « érotiques » (et encore, je ne sais même pas si le terme est adéquat…) offrent en fait une certaine pudeur : ce n’est pas cru, ce n’est pas vulgaire, c’est tout au plus presque scientifique dans la dissection de ce qu’est l’acte d’amour. Bref, pas de quoi fouetter un chat aujourd’hui, ou retrouve le livre dans l’Enfer de la Vaticane… ^^
Je ne peux pas dire que ce livre m’ait totalement emballée. J’y ai trouvé quelques longueurs et une force d’inertie assez conséquente, en dehors des passages relatifs à l’histoire entre Constance Chatterley et le garde-chasse. Parce qu’avant d’être un récit des sentiments, L’amant de Lady Chatterley est surtout un récit de la mutation : D.H. Lawrence brosse en effet un tableau de la société anglaise post première guerre mondiale, et ce changement important se reflète sur ses personnages, comme le miroir brisé des illusions perdues suite à la guerre.
Ici, c’est l’Angleterre des Midlands, l’Angleterre de l’industrialisation exponentielle et des bassins houillers. L’Angleterre des luttes des classes, de l’opposition entre les castes, du déni de l’évolution et de l’opportunisme en matière de profits et de gains. C’est le choc de la fin d’un monde : DH Lawrence décrit la confrontation de la vieille Angleterre aristocratique et rurale à l’essor industriel des villes ouvrières, futures villes tentaculaires.
Le livre donne évidemment aussi prétexte à des points de vue sur la sexualité. Il y est par exemple question du sexe comme d’une conversation et une communication du corps, qui poursuit ou qui amorce la conversation des esprits. C’est tout à fait intéressant, surtout si l’on se réfère au moment où cela a été écrit ! Mais dans la relation entre Constance et Oliver Mellors, le garde-chasse, tout est assez déconcertant. Leur première fois par exemple m’a laissée perplexe. La jeune femme y est décrite comme une poupée molle, passive mais consentante. Bien sûr, l’histoire est un éveil des sens à la sensualité et à l’érotisme, mais tout de même, certaines scènes m’ont mise à l’aise en raison de l’attitude de Constance. Ses sentiments à l’égard du garde-chasse sont extrêmement ambivalents, oscillant entre la répulsion et l’attirance pulsionnelle. Aucun d’eux finalement n’arrive vraiment à être en accord avec l’Autre. D’autant que Constance, dont DH Lawrence emprunte souvent le point de vue, intellectualise complètement l’acte d’amour, et quand elle parvient à ne pas le faire, comme la fois où ils font l’amour dans les bois, à même le sol, après une rencontre imprévue, la jeune femme est animalisée, poussant des cris rauques de bêtes qu’elle ne reconnaît pas provenir d’elle-même… C’est donc une relation très torturée et tourmentée, intérieurement, mais aussi en raison des convenances et des aléas extérieurs. Et Mellors renforce encore ce clivage en parlant volontairement patois en présence de la jeune aristocrate, bien qu’il parle en réalité un anglais plus que correct et distingué.
Le cottage du garde et la relation qu’ils entretiennent tous les deux peut-être vus comme un refuge, une bulle qui les sépare de Tavershall et de la nouvelle ère industrielle, mais aussi de Wragby et du corsetage social. Et l’opinion du garde, qui se dégage de certaines conversations entre les deux amants, souligne la vanité de la quête d’argent, de la prostitution à la déesse-chienne de la renommée et de l’avancement, et prône presque un retour aux valeurs rousseauistes d’une nature protectrice et bienveillante, ainsi que d’une humanité simple, naïve et pleinement satisfaisante.
Finalement, j’irais presque jusqu’à dire que L’amant de Lady Chatterley vaut beaucoup plus pour son tableau d’une époque et des mentalités que par la relation entre Constance et Mellors. Leur liaison n’est qu’un reflet aux préoccupations grandissantes de cette Angleterre en mutation.
Et le mari de Constance est l’emblème le plus fort et le plus détestable de ce changement. Très vite, il devient antipathique et le dégoût qu’en ressent Constance se communique au lecteur. Mais l’avenir envisagé par les deux amants ne connaît pas d’aboutissement certain. Ce point d’interrogation final reflète l’incapacité de l’auteur lui-même de voir ce que l’Angleterre va devenir au sortir de cette première guerre mondiale et aux montées nouvelles de la société… Ou son désenchantement ?
Je ne livre ici que mes impressions premières, au sortir de cette première lecture, mais je pense qu’on peut en faire une étude très intéressante et fouillée.
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