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Citations de Daniel Bourrion (55)


nos pères, nos mères, ce qui est finalement la même chose, nous avaient envoyés à la corvée, nous y avaient envoyés à grand coups de pieds au cul, à grandes gifles, parce que nous renâclions, résistions, ne voulions pas, encore une fois, aller nous perdre dans ces lieux-là, dans ces bois-là, tout embrumés, de crainte de n'en revenir pas, d'y demeurer éternellement perdus, asphyxiés, essoufflés, tournant, geignant, nous étouffant de notre morve, de nos peurs, de nos hurlements, jusqu'à ce que la fatigue vienne nous couper jambes et souffles et nous abandonne au pied d'une souche un peu moins fétide que les autres, un peu plus solide, qui nous donnerait impression d'être plus sûre, plus protectrice, contre laquelle nous finirions par nous endormir du lourd sommeil des enfants que nous étions toujours, encore, bien que les années, le temps et son cortège, se soient acharnés sur nous, sur nos corps, sur nos âmes, jusqu'à en faire de laides et viles choses tordues, torturées, et lasses, tellement lasses, qu'il arrivait souvent que nous nous posions là, aux lèvres des fossés, en espérant y crever tout d'un coup, d'un seul coup, dans la froide et humide couverture de la nuit
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jusqu’à ce que nos vergers retournent à une sorte de jungle où nous ne mettions plus les pieds, fatigués, usés, lassés que nous étions à présent de combattre jour à jour cette bête de nature qui n’avait de cesse de reprendre ce que nous, ceux d’avant, avions réussi à lui arracher, et qu’elle reprenait à présent, effectivement, lentement, avec la force et la patience qui était la sienne, la ruse aussi ; arrivant par le sol, les herbes, les haies que nous n’avions pas pensé à mettre à bas, soudain grossissant, enflant, dégueulant par-dessus les clôtures dont nous avions naïvement espéré qu’elles suffiraient à contenir le monde, à le tenir dans les limites que nous voulions lui donner, ce qui n’arrivait pas puisque donc, puisque encore, les taillis bas devenaient hauts, lançaient de toutes parts leurs vrilles, leurs dards, ces branches folles dont on aurait pu penser qu’elles étaient envoûtées à les voir se tordre, basculer, avancer à couvert des nuits après lesquelles nous retrouvions, chaque jour, nos paysages différents
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...maintenant je doute que ça passerait ces arrangements, le monde a tellement changé, je ne sais pas d’où venait la peinture, sans doute un reste de stock payé deux ou trois bières, ça faisait une fois bien sec, les deux couches-pistolet, un vert étrange, vert d’eau léger, difficile à décrire, unique en tous les cas...
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...tout s’est passé dans la cabine de peinture réservée aux camions, c’était aussi un temps où l’on pouvait faire ça, venir un week-end dans l’usine fermée, utiliser pour des trucs personnels, des trucs amicaux, le matériel, les espaces,...
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Les banquettes tant défoncées de la voiture qu'on sortait de là avec les fesses en vrac.
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Fermez les portes où que vous soyez ménagez-vous des issues de secours ne dites jamais oui sachez lire entre les lignes devinez les intentions de ceux qui vous suivent évitez les contacts physiques n’approchez pas l’eau n’acceptez pas d’aller prendre l’air surveillez l’hôtesse éradiquez toutes les mauvaises herbes faites vos courses en gros volumes ne passez aucun diplôme découpez soigneusement les étiquettes de vos vêtements repassez-vous vos rêves à l’envers pour les vérifier comparez vos photos avec la réalité signez tout d’un faux nom que vous changerez chaque matin lisez par-dessus les épaules pourquoi me regardez-vous comme cela pourquoi me regardez-vous comme cela ?
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Cueillir ce semis jeté à face de terre
lui pour nous éprouver,
nous faire languir de tout.
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Ne pas se laisser perdre par cette folle de montagne
dont nous sentions le goût
qu’elle avait des regards.
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Les tablées sont immenses, elles sont encore ce qu’on a trouvé de mieux pour lutter contre la faux dehors dedans, lui opposer une masse qu’elle mettra plus de temps à réduire, lui donner à couper non pas deux jambes mais des centaines, ça n’arrêtera rien mais ça ralentira, on va dire ça, on aligne des visages le long des assiettes, de leurs couverts, ça parle et puis ça hurle mais c’est seulement parler un peu plus fort que le voisin et puis le vin a réchauffé le dehors comme le dedans pendant que la buée prenait son temps pour repeindre le monde de l’autre côté des fenêtres immenses de gris, on ne voit plus que les halos que font les réverbères, les ombres que sont les fumeurs, il y a toujours des chaises vides même quand tout le monde est assis et que ça commence, on a compté trop large, on attendait peut-être ceux qui ne viendront plus, on a essayé de les attirer, de faire comme si, les chaises resteront vides et même si l’un ou l’une des invités se pose dessus quelques minutes après quand le chambardement des discussions aura commencé elles resteront des chaises vides, on le sait bien, elles servent à ça, marquer dans les lignes qu’on fait les traces de ceux tombés, c’est un combat, c’est grande bataille, on connaît ça, on ne gagne jamais mais on se bat, les plats arrivent, il faut manger, personne ne lutte le ventre creux, les serviettes finiront froissées toutes découpées en minuscules confettis par quelques mains nerveuses, parfois ce sont des miettes de pain aussi, parfois il n’y a rien que l’assiette récurée le verre vidée les couverts croisés, la nourriture qui restera ne se jette pas, elle terminera dans ces grands seaux et puis plus tard dans les cochons qu’on mangera une autre fois, mouvement perpétuel, on lavera demain la salle dévastée, allons dormir il est bien tard, là-bas déjà cette ligne blanche c’est l’aube lasse très en retard.
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...Et puis tu roules de l’autre côté de la pièce où, à la suite, on range les vides, rangées de dix, dans pas longtemps elles seront pleines, le gars déjà avec son tuyau pendant du plafond est en attente claire, c’est une boucle, tu imagines, la boucle du plein, celle du vide, les bidons pleins, les bidons vides, et les sulkys qui la-dedans tournent donc à plein et puis à vide et nous derrière, Et forçats, chevaux, et la sueur qui dégouline, ça dure des heures, le chaud, l’humide, rien ne s’arrête, même pas toi parce que quand tu trouves une soudaine envie de pisser, tu ne décides de rien, tu attends juste la pause suivante...
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Donc aller de l’avant pour voir ce qu’il se passe,
aller seulement devant
– sans faillir marcher.
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chapelets durs et tellement longs dans les soirées du mois de mai dehors c’était l’éveil du monde et nous dans la chapelle à nous meurtrir genoux
... au moins par les vitraux on devinait la belle lumière jouant sans nous
... à avoir froid aussi les murs épais retenaient l’hiver manière de pénitence
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Cette ville n'existe pas et croire le contraire impose de la construire à partir de ses ombres à partir des échos qu'elle laisse sur nos yeux d’excès écarquillés.
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Traverser à tâtons
ce monde à dos d'écailles,
presque un désert pour nous et pas un bout de ciel.
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Ce onze novembre-là, donc, alors que nous tentions de former un groupe aussi compact que possible afin de nous protéger de la pluie et des bourrasques dont l’une venait d’emporter le béret du vieux Louis, qui demeura sans réaction à regarder son couvre-chef rouler au caniveau – ce qui, cette absence de jurons, de course malhabile derrière la galette de tissu s’éloignant, nous signalait, mais nous ne le comprîmes qu’après, le commencement de la fin du vieux, les premières manifestations de la bête qu’il portait sans le savoir dans sa tête et qui, lentement, le rongea, lui déforma le crâne, lui fit perdre ses beaux cheveux dont il s’enorgueillissait toujours, l’amena aux frontières de la parole
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Du bois avant qui meurt donc dans l’étang, s’y mire tel un malade amant, on peut dire encore qu’on y trouve une poignée de maisons en ruines dont les murs effondrés, les briques mangées, font un mystère hantant qu’on entrevoit de la route entre les fûts et leur parade. Il arrive que des promenades dominicales, des errances de mercredi aussi, y mènent. On approche, la conversation faite jusque-là de rires, d’éclats de voix, de ces petites bousculades d’enfants servant à s’éprouver, à voir si l’autre existe bien, est là en réalité avec nous, se calme, diminue son volume sans que rien, vraiment, ne l’explique. Peu à peu, sans y prendre garde, on ne le remarquera qu’en repartant, quand on reviendra à la normale, on se met à chuchoter et dans l’oppressante immobilité des hêtres bientôt il n’y a plus que les craquements mous des branches mortes pourries dessous les pas, le bruit plus fort qui suit l’enfoncement dans l’un des trous cachés dessous, on s’en sort bien, jamais une seule cheville foulée, c’est étonnant, on entre maintenant et c’est parfois de quelques marches qu’il faut monter, escaliers morts, nulle rambarde, c’est un vertige, il n’y a plus de toits. Les fenêtres découpent dans le gris rouge des cloisons des yeux aveugles ou presque qui clignent comme le vent à peine de l’autre côté fait remuer de surprenantes branches vertes. Dans les recoins, des amas de gravats achèvent de fondre. On ne sait pas ce que c’était, on préfère ne pas traîner, on s’éloigne finalement rapidement, retrouvant à quelques mètres un chemin qui va tout droit déboucher sur le ban sans doute d’un autre village et pour cela on ne le suivra pas, ailleurs n’est pas ici, ce ne sont vraiment pas endroits pour nous. Derrière, comme on s’éloigne, les maisons mortes qu’on abandonne restent debout et dignes, ne racontent rien, ne cèdent pas. On imagine.
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La conversation a repris quelques minutes avant de s’éteindre comme on passait la forêt qui est verrou sur la vallée qui vient. Ensuite, l’horizon jusqu’alors un peu bouché d’arbres rugueux à force de vents, de bruines, de pluies à rideaux de dentelle, de gels à faire tomber le ciel dans des fracas courant au fond des bois, se dégage légèrement, va en s’élargissant : c’est à chaque fois l’image d’une grosse bête s’étirant qui émerge et qu’on laisse venir puisqu’on sait bien que la repousser ne sert à rien, ne fera rien naître d’autre que la même toujours qui pousse du museau et fait bien ce qu’elle veut. La route est à présent plate et quasi droite nonobstant un déhanchement qu’elle ne retient même pas pendant qu’on passe un étang puis un autre et le troisième ensuite, lui le plus vieux dissimulé comme il le peut derrière ses haies déplumées puisque le temps passe dessus sans jamais se lasser. Là-bas, un arbre seul cache un calvaire de pierres blanches dont la croix usée penche de toutes parts – des voitures viennent régulièrement le pousser de leur nez, c’est la ligne droite qui rend les conducteurs imprudents, il n’y a jamais eu de mémoire d’homme que de la tôle froissée et beaucoup plus de peur que de mal mis à part donc le calvaire que chaque choc délabre un peu plus et fait ressembler de loin à un bonhomme tordu par la dérive de son âge. Des chemins débouchent de toutes parts qui arrivent de nulle part, y amènent tout de même quand une promenade les prend sans trop savoir pourquoi. Un ruisseau vient aussi qu’on n’a pas vu surgir, longeant le gravier sans faire plus de bruit que cela. Il pleut des cordes toujours et c’est un tissu droit, les nuages sont d’un mercure casqué de noir avalant chaque regard d’un unique coup de glotte.
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Il n’est aucune raison de passer par ici, les routes autour plus droites et larges permettant à présent où qu’on aille d’y être rendu sûrement plus vite. Pour aller là, on ne peut être que quelque touriste égaré, tant rares que cela n’arrive pas ou si peu que tout le monde est vite au courant, en parlera un moment, l’événement constituant de quoi largement soutenir quelque conversation de comptoir, d’entre voisinage ; soit donc être d’ici, il faudrait dire de là, et y rentrer, rentrer chez soi le plus simplement du monde, une fois la journée de travail mangée ou, aussi et de plus en plus avec le mouvement qui a conduit à la désertification des campagnes, parce que l’on revient pour les vacances, à l’occasion de quelque occasion justement dont le calendrier est empli à bords ras, fête familiale, mariage, enterrement, moments dont on ne sait que dire sinon qu’ils conduisent à d’ailleurs venir, attraper un train dans la gare de verre où courent voyageurs et pressé de même un vent coulis, traverser le pays de part en part aussi facilement que si l’on se contentait d’aller dans la rue d’à côté, arriver dans l’autre gare curieusement posée au milieu du nulle part immense entre deux villes voisines se détestant, attendre l’auto de qui s’est dévoué, suivre donc l’une des nationales qu’on quittera un peu plus tard en bifurquant après la petite ville qui est comme toutes les villes de même mourante et enfin arriver quand on commençait à se dire que décidément ça n’en finissait pas cette route, ce tortillement, ces virages derrière lesquels sont d’autre virages, finalement, arriver là.
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...le vestiaire avec ses casiers genre métal exactement comme on peut les imaginer quand on écrit, lit, vestiaire d’usine, gris, verticaux, fins, avec la petite étagère dedans en haut, la barre en travers pour suspendre ses fringues les plus longues, le tablier, et les autres petites étagères sur le côté où on posait les autres fringues se pliant, se boulant, c’est selon, ou bien des trucs, des photos, les gosses, les potes, une voiture, un tracteur vert que j’ai vu une fois, le chien, le chat, la femme, parfois c’était pas l’officiel, peut-être une copine, un rêve, un passé encore douloureux, les cannes à pêche, une caravane, des souvenirs en bref, des papiers pour l’administration, des bulletins de paie accumulés, je ne sais quoi et même qu’un gars dont je n’ai jamais compris à quelle équipe il appartenait y avait toujours une brique de lait qu’il s’enfilait dès le matin, dès les cinq heures qu’on commençait seulement à se réveiller sauf qu’à midi, il était sous comme un cochon...
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Voyez tout outil abandonné comme un possible instrument de torture méfiez-vous des médecins ne laissez pas votre confiance au passé apprenez à distinguer dans le silence des conversations la clameur des vivants et des morts changez s’il le faut le temps pour qu’il s’accorde à votre stratégie mettez dans vos bagages de quoi avoir l’assurance qu’ils ne seront pas ouverts impunément oubliez parfois volontairement l’un d’eux sur un quai n’oubliez jamais que vous êtes votre seul abri.
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