Élégie pour un frère.
C’est court, c’est intense.
David Chiarandy opte pour la brièveté, la subtilité et tisse habilement le passé avec le présent pour raconter une histoire de lien fraternel.
Dès le départ, le lecteur a le sentiment inévitable que des vies pleines de promesses vont être gâchées ou qu’elles prendront fin tragiquement. Le danger semble toujours proche dans cette banlieue de Toronto où vit la famille de Michael. Alors oui on est loin du « feel-good » mais Chariandy derrière cette histoire nous parle énormément d’amour. L’amour d’une mère, l’amour pour un frère, l’amour d’une communauté qui sait être solidaire quand tout le monde fait face aux mêmes problèmes et partage les mêmes rêves.
Un court roman sans mot inutile qui assène un puissant coup de poing, explorant les questions d'immigration, de masculinité, de famille, de racisme, de perte, de chagrin, de brutalité policière, le tout sur fond de musique hip hop.
Soutenez ce beau roman.
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Mon coup de coeur de la rentrée littéraire !
Un roman intense et émouvant.
Une belle écriture, puissante et poétique.
Le titre original du roman est "Brother".
Frère. Oui, il s'agit bien du coeur du récit.
Michael raconte sa vie avec son frère, Francis.
Ils vivent avec leur mère, originaire du Trinidad, qui les a élevés seule, à Scarborough. "Manman", comme ils l'appellent, cherche à leur offrir la possibilité d'une vie meilleure. Elle travaille jour et nuit, rentre épuisée. Elle n'a pas eu la vie qu'elle escomptait avoir en émigrant au Canada. Elle est dure avec eux parfois car elle ne veut pas qu'ils laissent passer des opportunités, elle espère - comme tous les parents- que ses enfants auront plus, ou en tout cas, mieux qu'elle.
En français, "33 tours" fait référence aux disques que Francis écoute et mixe avec ses amis chez "Desirea's", un salon de coiffure qui, à la nuit tombée, se transforme en night-club. Référence à la passion pour la musique, le hip hop notamment, qui représente pour ces enfants d'immigrés, un espoir, une chance de s'en sortir.
A travers cette famille, et les personnages secondaires, on suit le destin de nombreux immigrés, leurs vies, leurs batailles, leurs rêves - souvent inaboutis.
On découvre aussi le racisme ambiant que les habitants de cette banlieue subissent... les inégalités, les injustices et la violence.
Mais il y a aussi, et surtout, de la beauté et de l'amour. L'amour fraternel et maternel. L'amour romantique entre deux personnes, ou encore l'amour pour la musique.
Il y a aussi de l'entraide, de la solidarité, et des succès.
Ce livre nous fait ressentir. L'amour, mais aussi le courage, l'épuisement et même la chaleur. La tristesse, la colère, la violence.
"Frère". Michael raconte la vie avec son frère, mais aussi la vie sans son frère. le deuil et les façons de le surmonter. Les conséquences qu'un coup de revolver peuvent avoir sur des vies entières [/ne pas masquer]
Il y a une certaine délicatesse dans l'écriture de David Chariandy que j'ai beaucoup appréciée.
La construction du récit m'a aussi plu, avec des sauts chronologiques, des fragments de récit du passé qui permettent de reconstituer progressivement l'histoire de cette famille.
Au fil des pages, le récit m'a de plus en plus captivée. J'étais à Scarborough avec eux.
Beaucoup beaucoup d'émotions au moment de fermer le livre. Un mélange de tendresse et de peine, une tristesse paisible.
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Le canadien David Chariandy, dont les ancêtres sont originaires des Caraïbes et de l'Asie du sud-est, décide d’écrire ce livre après l’élection de Donald Trump et des nombreuses questions que soulève cet événement auprès de sa jeune fille. Cet essai, qu’il lui adresse directement, retrace le passé de ses parents et des nombreuses fois où lui-même fut discriminé par sa couleur de peau. L’auteur, conscient d’être aujourd’hui privilégié, écrit avec beaucoup d’humilité sur ce sujet malheureusement toujours d’actualité. Bien qu’abordant un thème douloureux et politique, ce petit livre de 110 pages est un ouvrage rempli de tendresse, un hymne à l’amour.
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Une boule d'émotions, me voici en totale immersion, un accord total avec une phrase choisie, parmi les autres. Elle en dit long sur la relation filiale de manman et de Michael: Depuis dix ans, je me montre circonspect avec manman. J'évite au maximum de parler de choses désagréables à propos du passé.
Les circonstances aggravantes annonçant la mort du frère aîné Francis; ce qui résulte après une bagarre entre bandes rivales, jonglant entre le racisme et les descentes de flics au coeur d'une banlieue de Toronto rongée par la pauvreté où la seule liberté se ressuscite sur un vieux tourne-disque de la mère solo écoutant avec ferveur les voix d'Aretha Francklin, Percy Sledge, évoquant aussi celle de Nana Mouskouri? derrière cet art métissé du son hip hop, la mère et ses secrets enfouis en quelques morceaux de musiques, portant tous ses espoirs ? le dévouement de celle-ci, ruiné brutalement lors d'une fusillade un jour d'été 1991. Un roman formidable et tenace.
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La musique de l’amitié
David Chariandy est un écrivain canadien anglophone, natif de Scarborough en Ontario, vivant à Vancouver, enseignant la littérature anglaise à la Simon Fraser University. Il publie son premier roman en 2007 sous le titre, Soucouyant, avec son deuxième roman Brother, il remportera le prix Rogers Writers 'Trust Fiction en 2017.
Ce troisième roman 33 tours visite un passé proche de notre auteur, comme une ballade lointaine vers une époque caressant une enfance réveillant cet adage, je n’oublie pas. L’intrigue prend ses lettres de noblesse dans la ville chère à notre auteur, Scarborough, un quartier précis où le métissage de la population est le poumon respirant les influences diverses de chacun, comme un îlot émergeant des cultures s’entremêlant, pour survivre au clivage incertain des minorités blancs, maitre de la justice et de l’autorité.
La prose sous la plume de la traduction de l‘anglais par Christine Raguet entraine le lecteur vers une musique sourde et mélancolique d’une génération sacrifiée, une jeunesse bercée par la musique et la dérive de faire partie d’une bande, d’être dans un groupe, où la mélopée du hip-hop crie sa force, le son monologique d’un D’J coule le refrain de la réussite, ou de la déchéance.
La dérive lente et dramatique d’une famille d’originaire de Trinidad, deux garçons et leur mère, un père fantôme, parti sans laisser de trace. Le destin de ces deux garçons dans cette banlieue de Toronto, dans cette toile d’immigré, façonnant leur culture, leur enfance au bord de la Rouge, ces deux frères adolescents Michael et Francis l’ainé, trainent leur espoir, la fatalité stérile des descentes de flics sans cesse, des propos racistes, un refrain humiliant cette trinité, comme une habitude quotidienne, blessant le cœur innocent De Francis, gravant à jamais cette scène de centre commerciale pour avoir cette amertume rongé son avenir et son esprit, Francis à cet instant débute son suicide sociétale.
Le roman narre avec beaucoup de subtilité et de tendresse, le combat sans cesse de cette famille, Ruth, une mère célibataire élevant ces deux enfants, travaillant avec rage jour et nuit pour ces deux progénitures, sous le regard de plus jeunes des enfants , Michael, éclairé par la visite de son amie d’enfance Aisha, revenu des années plus tard pour le décès de son père, s’hébergeant chez lui.
Cette femme revenant dans son quartier d’enfance comme un tsunami bouleverse la vie tranquille et inerte de cette famille dans le deuil depuis trop longtemps, Ruth en proie à des crises d’absences et son fils Michael fuyant sa vie dans la travail abrutissant, esclave de ce drame, véhiculant dans son sang, cette morosité, durcissant son cœur et sa vision de la vie, devenant solitaire.
Au fil de la mémoire de Michael, la vie trouble et morcelée s’égrène comme une blessure profonde, une vie de famille de sacrifice et de joie aussi, la visite dans sa terre natale au loin de ses souvenirs, sentir un peuple au lien sanguin, une terre sauvage, une famille inconnue.
La fratrie des deux frères se fissure lentement, au fil de l’adolescence Francis rencontre la musique à travers des amis, comme la chanson de Nina Simone « Ne me quitte pas » le rapprochant du papa d’Aisha, mais petit à petit la vie de Francis s’effrite, avec le meurtre d’un de ces amis, lors d’une bagarre de rue, une fusillade, dans ses bras, les balles sifflant autour de leur oreilles, avec son frère, raccompagnés chez leur maman par les forces de police au yeux de tous les voisins, une haine diffuse s’installe, une brèche vers un non-retour, faisant écho à ce meurtre, le guidant vers un destin fatal.
Il y a aussi l’ambiguïté sur la vie sexuelle de Francis, étant proche de son ami D’J , une relation trouble, le poussant à un acte de folie lors d’un contrôle aléatoire dans leur repaire du salon de coiffure, une visite arbitraire, une harcèlement permanent, une provocation policière.
Ce roman ruisselle dans les méandres des années 80 dans une banlieue constellée de peuples diverses, échoués et parqués dans ce quartier, dans une atmosphère pesante, mais l’un des frères s’échappe dans la musique l’autre dans la bibliothèque sous le charme de la belle et intelligente Aisha. L’amour, l’amitié protège l’âme humaine de ces démons, Aisha est cet ange, ce catalyseur cristallisant le passé et le présent pour les réconcilier. C’est un roman traversant la tragédie avec beaucoup de pudeur, distillant par des petites scènes, la noirceur brut de cette époque, la légèreté de musique, la douceur de l’amour maternelle, puis la fraternité de l’amitié comme un sésame de la vie.
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David Chariandy : 33 tours : traduit par Christine Raguet, Zoé
Résumé de l’éditeur : À Scarborough, on boit des bières au bord de la Rouge, on rêve d’Aisha, la fille la plus intelligente du lycée, on se bat avec les gangs rivaux. Ou alors on se retrouve chez Desirea’s, qui tient autant du salon de coiffure que du night club. Michael et Francis, deux frères adolescents, mènent dans cette banlieue de Toronto une existence rythmée par les descentes de flics et le racisme ambiant. Ils n’ont jamais connu leur père et leur mère, Ruth, travaille nuit et jour pour leur donner une chance. Mais les espoirs de ces trois-là volent en morceaux lorsqu’une fusillade éclate, un jour d’été 1991.
Mon avis :
Roman extrêmement touchant, où l’on voit le narrateur tourner doucement du drame qui a détruit sa famille. Les personnages sont décrits avec beaucoup de finesse ; chacun est animé par une pulsion protectrice. La mère de famille travaille jusqu’à l’épuisement pour assurer un avenir meilleur à ses garçons ; Francis protège d’abord son petit frère Michael puis l’homme dont il est amoureux, Jelly ; puis lorsque Francis devient le chef de la famille il cherche à écarter de sa mère tout motif de souffrance.
Le quotidien des jeunes issus de l’immigration dans la banlieue de Toronto est très bien restitué : on sent qu’entre les trafics, les rivalités des gangs et les violences policières Scarborough est au bord de l’implosion. Mais il existe quelques belles échappatoires au quotidien : l’amour mais aussi la musique (celle diffusée par les 33 tours !), qui occupe une place importante dans le roman.
Cette lecture fut une grande découverte, que je dois à Exploratology et à Zoé éditions, à qui j’exprime ma profonde gratitude.
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Magnifique lettre d'un écrivain à sa fille sur le racisme.
David Chariandy, canadien dont les origines - au cœur du texte - sont de la Caraïbe et de l'Asie du sud-est, se lance dans l'écriture de ce livre après l'investiture de Donald Trump en 2017, jour de fête pour l'anniversaire de sa fille, gâché par les discussions autour du furieux voisin du sud.
Il entreprend alors de lui raconter le parcours plein d'embûches de ses parents.
Entre anecdotes sur sa jeunesse et histoire de ses parents, l'auteur livre des réflexions sur le racisme, mais aussi le sexisme, à sa fille.
Avec une grande humilité, il n'oublie jamais de mentionner ses privilèges, comme ses incompréhensions ou de partager ses failles, erreurs, peurs ou incertitudes.
L'image bien lisse d'un Canada paisible en prend pour son grade - comme, dans un tout autre style, sous la plume d'Alain Deneault.
Les petits boulots de ses parents, dont personne ne veut, mais qui leur permettent d'offrir un certain confort à leurs enfants.
Puis David Chariandy parle de lui, de sa jeunesse, et partage des fragments malheureusement trop communs. Les insultes, les bousculades, la peur, le rejet. Puis la découverte d'une nouvelle dynamique auprès de camarades de discrimination, lors de l'arrivée à l'université.
Et toujours, l'amour des lettres.
Il y aura aussi la rencontre avec la mère de sa fille, un premier week-end chez la belle famille, ou plus frontalement, la rencontre des beaux parents entre eux.
Et toujours, l'amour de sa fille. Impressionnant fil rouge et conducteur. La célébration de sa force, de sa beauté, de sa liberté.
On ne sait pas ce qu'elle en pensera - maintenant comme plus tard -, mais en tout cas nous pouvons remercier David Chariandy de partager avec nous ce splendide texte plein d'amour et de finesse.
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David Chariandy, auteur canadien, s'est fait connaître en 2007 avec son premier roman Soucougnant qui eut alors un fort retentissement en Amérique du Nord. Mais j'ai, pour ma part, découvert cet auteur avec la publication de 33 tours. Une belle et émouvante découverte.
Il y a dans la construction et l'ambiance du récit, des éléments qui m'ont rappelé les meilleurs épisodes de la série américaine Cold case. Un compliment, précisons-le, au cas où....
David Chariandy manie avec dextérité et souplesse l'art du flash-back continuel. Comme dans la série, chaque retour en arrière nous ramène à l'époque du drame, à la charnière des années 1980-1990, qu'il cerne et reconstitue visuellement, grâce aux détails des modes vestimentaires et capillaires notamment. Les protagonistes de l'histoire soudain rajeunissent de quelques années comme sous l'effet d'un morphing, replongeant dans un passé pas si lointain, très présent encore, déjà mis à distance pourtant. Une émotion communicative.
Cold case aussi parce que le lecteur ne découvre que progressivement les raisons de la tragédie. On sait très vite que le frère de Michael, narrateur de l'histoire, est mort. Mais si les conséquences de cette mort sont immédiatement au premier plan du récit, les circonstances précises ne se dévoilent qu'au long des retours en arrière. Le retour d'une jeune femme, Aisha, constitue l’élément déclencheur du surgissement du passé, mal enfoui dans les mémoires de Michael et de sa mère, Ruth,
Comme dans Cold Case, une bande-son accompagne la vie des personnages durant ces flash-back. Bande-son de la nostalgie, celle d'avant la mort, celle aussi de l'exil, pour les habitants de ce quartier métissé de Toronto, celui de Scarborough, que David Chariandy connaît parfaitement pour y avoir grandi. .
Car David Chariandy est bien un écrivain de l'exil, de la nostalgie des terres originelles quittées pour un monde meilleur et où l'on vit pourtant à peine mieux. Originaires de Trinidad, Michael et son frère éprouvent ce sentiment de n'être chez eux, ni où ils vivent, ni dans ce pays des origines qu'ils connaissent si mal.
A noter : si le titre français 33 tours n'a rien d'absurde et fonctionne bien, le titre anglais Brother ouvre plutôt vers la thématique du lien fraternel et familial, déjà présente dans Soucougnant.
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Pour moi l’essentiel du sort des deux frères Michael et Francis et de leur mère Ruth est habilement préfiguré dans la première scène de ce roman. Michael suit son frère aîné et admiré Francis dans l’ascension d’un poteau électrique: il ne faut pas tomber en négociant les échelons rouillés, ni toucher certaines parties métalliques pour éviter l’électrocution. Et pourquoi cette escalade? Pour prendre de la hauteur, et voir Scarborough, leur ville, d’en haut « comme un réseau ». Ce court récit m’a ouvert les yeux sur la réalité canadienne des populations récemment immigrées et m’a laissé une forte impression.
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Au Canada, dans la banlieue métissée de Scarborough, Francis et Michael, deux jeunes frères, vivent un quotidien marqué par le racisme et les violences policières. Elevés seuls par une mère au bord de l’épuisement, ils cherchent leur place dans une société brisée par les inégalités. D’une voix blanche, c’est Michael qui nous raconte l’histoire - ses bribes de souvenirs, les couleurs et les sons. Entre passé et présent, il déroule le fil noueux d’une existence qui a mené au drame. Emouvant récit à l’absent et à l’amour fraternel, 33 tours explore ce que la brutalité du monde craquelle en chacun de nous. De ces blessures profondes, David Chariandy tire un livre étonnamment apaisé, comme un lumineux retour à la vie.
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