Citations de David Colon (71)
TikTok représente donc une arme de subversion massive, qui affecte toutes les couches du cyberespace, aussi bien la couche cognitive (addiction, dépendance, toxicité, diversion), la couche des protocoles et des langages (captation des données, espionnage), que la couche matérielle (saturation des systèmes). À bien des égards, il s’agit de l’arme informationnelle la plus redoutable jamais conçue.
L’ingénierie comportementale est aujourd’hui au cœur même de la conception des plateformes numériques et occupe, à notre insu, une place de plus en plus importante dans nos existences quotidiennes. En outre, les progrès de la machine ont abaissé considérablement le coût des recherches sur l’impact persuasif des technologies numériques, permettant à de nouveaux acteurs d’investir le champ de la manipulation de masse. En 2007, par exemple, Fogg donne un cours avec l’entrepreneur numérique Dave McClure au cours duquel ses soixante-quinze étudiants de Stanford sont invités à recourir au design persuasif pour créer une application sur Facebook. En l’espace de dix semaines, en appliquant ce que Fogg leur a enseigné, ils réussissent à attirer 16 millions d’utilisateurs et gagnent 1 million de dollars avec la publicité ciblée32. En 2019, conscient plus que quiconque du pouvoir de la machine, Fogg s’alarme de la capacité dont disposent désormais les géants du numérique de tout savoir sur les internautes, et s’inquiète des progrès de l’apprentissage profond, qui permettra bientôt aux géants de la Silicon Valley de concevoir automatiquement des programmes plus persuasifs et hyperciblés que ceux conçus par les humains : « Le code va déterminer non seulement ce qui influence les gens en général, mais ce qui vous influence – vous précisément. »
L’impact des travaux de B. J. Fogg sur la vie de centaines de millions d’internautes est gigantesque. Ses élèves ont eu l’occasion de mettre en œuvre ses principes dans une multitude de sociétés de la Silicon Valley, au service d’une micropersuasion numérique de masse. Au-delà, de nombreux propagandistes se sont inspirés de ses préceptes. Ainsi, le colonel Casey Wardynski, qui a dirigé la conception du jeu vidéo America’s Army, produit par le département de la Défense des États-Unis entre 2002 et 2013, s’est ouvertement inspiré des idées de Fogg dans le but d’inciter les jeunes joueurs à s’enrôler dans l’armée.
Bongrand remporte le marché de la communication sur la sécurité routière et invente les slogans « Boire ou conduire, il faut choisir » et « La vitesse, c’est dépassé ». Entre 1973 et 1981, le nombre de morts sur les routes passe de 17 000 à moins de 10 000 par an, ce dont Bongrand s’attribue le mérite.
Edouard Bernays met la technique du pseudo-événement au service de l’industrie du tabac. En 1928, George Washington Hill fait appel à lui pour promouvoir la marque Lucky Strike auprès des femmes, pour un salaire très élevé. Connu pour sa capacité à accentuer et à capitaliser des tendances du marché – ce qu’il appelle « cristalliser l’opinion publique » –, Bernays recourt à des experts afin de promouvoir l’idée selon laquelle la cigarette est bonne pour la ligne. Il fournit aux éditeurs de presse des photographies de modèles de haute couture parisiennes cigarette à la main et le témoignage d’un médecin hygiéniste qui affirme que « la cigarette désinfecte la bouche et apaise les nerfs ». Il s’arrange également pour que des cigarettes soient ajoutées à la liste des desserts proposés dans des restaurants branchés et fait recruter les Ziegfeld Girls, les danseuses d’une troupe inspirée des Folies Bergère, en les faisant s’engager par écrit à renoncer à toute sucrerie et à fumer des cigarettes.
Les hacktivistes d'Anonymous ont ébranlé l'appareil de propagande de l'État islamique, démontrant que la guerre de l'information moderne fait de chacun un combattant en ligne potentiel : sur le théâtre des conflits numériques, un "j'aime" (like), un partage ou un signalement peuvent suffire à produire des effets significatifs.
Après chaque attentat en Occident, qu'il en soit ou non à l'origine, Daech diffuse des textes de revendication qui sont aussitôt repris mécaniquement par les médias. L'organisation terroriste décuple ainsi la terreur qu'elle inspire en s'associant, dans l'imaginaire occidental, à tout acte de violence.
En 2009, Israël se dote d'une "équipe de guerre sur Internet" pour répondre aux commentaires hostiles. La force de défense juive sur Internet (Jewish Internet Defense Force, JIDF), qui se présente comme une organisation privée et indépendante, organise sur les réseaux sociaux des campagnes contre la propagande terroriste islamique ou antisémite.
Dans la guerre de l'information, la perception l'emporte toujours sur la réalité.
Tandis que l'armée et le département d'État agissent au grand jour, la CIA injecte des récits dans les médias de façon clandestine.
Les agences de presse n'échappent pas aux contraintes qui pèsent sur leurs clients, les médias, et se retrouvent elles-mêmes de plus en plus tributaires des dépêches d'autres agences et des communiqués de presse ; elles sont vouées à produire de l'information bon marché et prête à l'emploi.
L'évolution des conditions même de production de l'information, en empêchant de facto les journalistes de rechercher des informations ou de vérifier les faits, favorise l'action des agences de renseignement et des agences de relation publiques qui introduisent sans mal de la fiction et de la propagande dans les journaux.
Les militants palestiniens diffusent dans le monde entier des images de victimes civiles, et retournent le mythe de David et Goliath en publiant des photos et vidéos de combats urbains opposant des jeunes Palestiniens lanceurs de pierre à des soldats lourdement armés.
L'État hébreu recourt pour accompagner ses opérations militaires aux techniques désormais classiques de cyberguerre et de guerre psychologique.
Trolls russes de L'IRA et trolls de l'alt-right partagent une même passion pour la "guerre mémétique" qui consiste à diffuser de façon récurrente et virale des idées ou concepts simples sous la forme d'un visuel ou d'une image animée (GIF) avec du texte.
La guerre de l'information est aujourd'hui une guerre totale, qui implique toutes les dimensions de notre société et de notre existence, que nous en soyons conscients ou non.
La production automatisée de fausses "preuves", de faux rapports, de fausses archives, risque bien de faire s'effondrer à court terme ce qui reste de notre régime de vérité scientifique.
En 2017, le président russe fait du passage à une "économie numérique" un axe majeur de son projet politique, et considère désormais l'intelligence artificielle comme un enjeu de sécurité nationale. "Celui qui deviendra le leader dans ce domaine, dit-il, sera le maître du monde".
En 2023, une nouvelle étude montre qu'il suffit de 40 minutes à un nouvel utilisateur qui ne fait que parcourir la page "Pour vous" de TikTok pour être exposé à de la désinformation sur la guerre en Ukraine, émanant notamment du Kremlin.
Le concept militaire de "communication informationnelle" s'est progressivement étendu à tous les aspects de la puissance américaine, sur la base de la conviction que le contrôle des moyens de communication était le plus sûr moyen de faire prévaloir la suprématie américaine dans le monde.
La défense informationnelle consiste autant à défendre l'information qu'à se défendre par l'information.