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Critiques de Dmitri Lipskerov (32)
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L'Outil et les papillons

"Au commencement Dieu créa le ciel et la terre. La terre était comme un grand vide, l'obscurité couvrait l'océan primitif et le souffle de Dieu agitait la surface de l'eau."

C'est beau non ? La terre était comme un grand vide... le vide, cette chose incommensurable qui envahit soudainement le bas-ventre du personnage principal de cette bien étrange histoire car il est aussi question de Dieu dans ce récit dont la narration est attribuée à un curieux personnage dont nous savons si peu et qui pourrait bien être un ange déchu tombé du ciel.



Par quelle ironie du sort le dénommé Arséni Andréiévitch Iratov, fringuant quinquagénaire se retrouve-t-il un beau matin dans ses appartements d'un quartier cossu de Moscou, privé de son appendice masculin, délesté de tout organe viril, ô comble de l'horreur ô malheur, lui qui aime (qui a tant aimé) les femmes ?

C'est qu'il ne s'est pas privé notre ami Arséni, il a même profité largement de toutes les bontés que pouvaient lui offrir le sexe et les femmes et il a bien failli s'y perdre durant sa jeunesse, semant allègrement sa petite graine à droite et à gauche avec moult insouciance, l'insouciance de ses vingt ans sûrement, laissant au passage une petite poignée d'enfants illégitimes qui ont tous leur importance dans ce récit. Lui que l'on surnommait "Yakoute", le brillant étudiant en architecture qui, pour arrondir ses fins de mois difficiles dans la Russie du début des années 80, s'adonne au trafic de devises, lui qui des années plus tard devient un diamantaire réputé mais non sans être passé par la case prison après avoir été accusé de n'avoir pas su aimer sa patrie et d'avoir tenté de corrompre un agent du KGB en la personne d'une femme, Alievtina Verontsova, dénuée de charmes mais à laquelle on ne manquera pas d'accorder d'autres qualités puisqu'elle portera elle aussi l'un de ses nombreux rejetons.



"Un fruit défendu peut-il vous induire à la tentation de le goûter combien même il serait défendu ?"

Le fruit défendu ou le sexe disparu d'Arséni Andréiévitch Iratov qui réapparait comme par enchantement dans les années 60 auprès de la douce Alissa qui vit avec sa mémé Xénia dans leur modeste isba d'un petit village perdu au milieu de la campagne russe. Le sexe disparu d'Arséni réincarné en un petit gnome, un petit Schtroumpf, qui sous les bons soins prodigués par la jeune demoiselle va grandir très très vite pour devenir un bel éphèbe vaillant et plein d'arrogance dont les actions ne seront pas sans conséquences dans cette histoire vous l'aurez bien compris puisque ce dernier n'hésitera pas à aller à l'encontre de son propriétaire ni même à séduire la compagne de celui-ci et comment pourrait-il en être autrement alors que la belle et voluptueuse Veruschka s'est elle aussi vue privée du Saint-Graal. Saura-t-elle résister à la tentation du fruit défendu ?



Malgré une narration alambiquée due aux nombreux personnages et à une chronologie alternée parfois même un brin loufoque, j'ai apprécié la lecture de ce roman. Quand l'esprit de Gogol se mélange avec celui de Dieu et insuffle la punition divine par excellence cela donne un roman déjanté à l'écriture caustique et acérée qui passe avec brio de situations burlesques à des situations bien plus tragiques puisque derrière "l'Outil" auquel fait référence le titre, se cache la vision désabusée de l'auteur sur une Russie communiste, celle d'avant la Perestroïka, celle des années pré-Gorbatchev, engluée dans le dogmatisme, qui plie sous le poids des dépenses militaires et dans laquelle le paternalisme n'est pas encore révolu. Une Russie où les hommes et les femmes courageux peinent à trouver leur place à l'image des personnages de Yseult et Iossif qui font malheureusement les frais des égarements d'Arséni et ne sont finalement que les dommages collatéraux issus des petites graines semées par ce dernier.



Dmitri Lipskerov nous offre ici un roman beau comme une envolée de papillons aux allures de dystopie, tout au long duquel souffle un vent divin. Je vous en conseille vivement la lecture.
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L'Outil et les papillons

Imaginez un cadeau, un gros cadeau, contenant lui-même plein de petits cadeaux. Vos yeux pétillent, et à chaque fois que vous ouvrez une de ces surprises inattendues, des Oh !, des ah ! , des Shebam ! Pow ! Blop ! Wizz ! fusent de toute part. Voilà l'effet que m'a fait ce livre, un livre surprenant, une friandise, dont je connaissais la ficelle, mais en la tirant me sont tombées dessus en cascade, un peu pèle mêle, plein d'autres surprises comme autant de bulles irisées, étonnantes et jubilatoires. Vous les dévoiler vous enlèverait la fraicheur et le pétillant que j'ai ressenti en lisant ce livre. Donc je vais juste vous évoquez l'histoire dans ses grandes lignes, telle que nous pouvons la trouver en 4ème de couverture, sans rien mais rien dévoiler surtout des méandres loufoques de cette histoire décalée, absurde, cette fable russe avec laquelle j'ai eu le bonheur de passer le WE.



C'est donc l'histoire d'un homme, Arseni Andréiévitch Iratov, riche quinquagénaire russe, d'une beauté ténébreuse, aux nombreuses conquêtes féminines, actuellement en couple avec la belle Véra, qui, un matin, constate avec effroi qu'il a perdu son membre viril, son appendice précieux, l'outil avec lequel il sait si bien faire frémir et virevolter les papillons des ventres de ces dames, oui il a perdu son pénis. Pas de mutilation sanglante, aucune douleur, non, il se lève et il n'a juste plus rien. Il le cherche, en vain : « Iratov eut alors l'idée d'utiliser son miroir grossissant monté sur un bras métallique articulé, comme dans les hôtels. Grimpant sur une chaise, il approcha le miroir-loupe de son entrejambe. Sur la surface égale de son épiderme, aussi lisse que si jamais rien n'en avait pointé, on voyait une petite ouverture soignée. Arséni Andréiévitch l'inspecta avec la plus grande attention, comme si cet orifice était une vermoulure cosmique, voire un trou noir qui avait englouti sa nature. » Son sexe s'est séparé de lui, comme un module d'une station spatiale. Dorénavant, il agit de façon autonome. Arséni espère trouver quelques réponses sur Internet mais déjà comment formuler la question… « Est-il arrivé à votre pénis de disparaître ? » Un vrai galimatias… « Lui est-il arrivé de vous quitter ? » ou « Comment vivre sans son sexe ? ». Pas simple.

Encore plus surprenant lorsque le membre viril disparu réapparait comme par magie dans les années 60 auprès d'une jeune adolescente, Alissa. Une sorte de gnome, tout petit, qui, grâce aux soins prodigués par la jeune fille, assez troublée, grandit très vite et devient un beau jeune homme.



Voilà ne pas en dire plus surtout. Et seulement vous dire pourquoi j'ai aimé cette histoire :



- L'écriture est fluide, aérienne, légère. Elle entrelace le surnaturel et le poétique. Mais l'écriture est également caustique, acérée. Au service d'un humour acide. L'auteur utilise tous les styles, celui du conte, du roman d'anticipation (comment faire dans une société sans mâle, sans testostérone ? Un pénis vous manque et tout est-il dépeuplé ?), de la fable religieuse et existentielle (un vent divin souffle sur ce roman narré par un être, sorte d'ange omniscient nous relatant la punition divine et la rédemption des âmes faibles). Cela donne un roman original et réjouissant qui sort complètement des sentiers battus.



- « L'outil et les papillons », sous couvert d'une fable à priori innocente et grivoise, en dessous de la ceinture, dénonce la Russie communiste, la corruption qui la gangrène, les dépenses militaires qui l'asphyxie, la société hyper-masculine, l'alcoolisme, les injustices. Une fresque au vitriol des bassesses de la société russe et des difficultés pour le peuple à être heureux : « j'ai regardé de l'autre côté de la vitrine ces gens qui vaquaient à leurs occupations sous les flocons de neige. Ils avaient presque tous la mine maussade, comme d'ailleurs la majorité de la population vivant dans la plaine centrale de Russie. Conçus sans joie, ils vivent dans la tristesse. Comment peuvent-ils savoir que la neige qui tombe est un bienfait ? Ce qui vient d'en haut n'est que joie, alors que d'en bas ne surgit rien de bon. »



- Dimitri Lipskérov se joue de nous, lecteurs médusés, car la chronologie, les personnages, les histoires, tout se mêlent et s'entremêlent. Cela crée un univers fantasmagorique et absurde dans lequel j'ai aimé plonger même si j'avais l'impression parfois d'avoir des hallucinations. Je m'arrêtais alors, prise de vertige, en me disant « bon, alors lui déjà c'est le petit-fils d'untel mais attends, temporellement, ça ne va pas… » Non, il faut lâcher et tout va bien, se laisser porter par le flow et tant pis si c'est un peu embrouillé par moment. D'ailleurs l'auteur l'écrit lui-même : « Les événements lui paraissaient pour le moins étranges, quelque peu grandiloquents et excentriques. Il s'efforça d'analyser l'information à partir du passé récent : la perte de son appareil génital, Sytine, le saphir, les secousses boursières, Véra… tout cela s'imbriquait en une pelote d'absurdités où il croyait discerner un sens. — Quelles foutaises ! lâcha-t-il à haute voix. » ou encore « Iratov se dit que la situation était d'un surréalisme digne de Dali. Un jeune homme cherche à prouver à un individu qu'il n'est autre que son sexe ! En même temps, la disparition de l'objet susmentionné chez Arséni Andréiévitch n'était pas moins absurde que les oeuvres de Kafka. » Voilà qui est dit et assumé pour notre plus grand plaisir.



Ce livre, vous l'aurez compris, m'aura procuré un immense bonheur de lecture. Ce livre, un outil baroque pour faire vibrer en nous les ailes du plaisir. Je vais me tourner à présent vers son premier ouvrage publié en 2017 « le dernier rêve de la raison » qui est, parait-il, rocambolesque et onirique. Déjà hâte ! Merci à Gaëlle et à Tetrizoustan pour cette belle découverte !





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Le dernier rêve de la raison

Comme beaucoup d'entre nous, nos nombreux partages sont l'occasion de dénicher de nouvelles envies de lecture, peut-être même de futurs coups de coeur, mais ils sont également source de frustrations, car on sait pertinemment que l'on ne viendra jamais à bout de nos bibliothèques surchargées dont les coutures sont continuellement prêtes à lâcher.



« le dernier rêve de la raison » faisait parti de ma bibliothèque sans que j'ai l'intention de le lire tout de suite, mon désir de le lire étant passé, remplacé par d'autres livres.

C'était avant que je sois invitée à participer à un jeu initié par Indimoon, consistant à créer une sorte de collier littéraire où le lecteur précédent choisirait un livre pour le babel-ami suivant. La perle qui m'a été choisie est ce roman du russe Dmitri Lipskerov, lauréat du Prix des Imaginales en 2019.

Je trouve l'idée de chaîne littéraire enthousiasmante, car elle permet de découvrir des livres auxquels on n'aurait pas forcément prêté attention ou eu envie de lire.



*

" C'est un rêve, répondit l'homme-arbre.

Un rêve de la raison.

Le cerveau s'endort et il fait un dernier rêve... "



"Le dernier rêve de la raison" est un roman onirique, métaphorique, qui donne un curieux sentiment d'irréalité. Il m'a rappelé la magnifique bande originale du film Arizona Dream, "In The Death Car" de Iggy Pop. Voyez-vous ce mystérieux poisson nageant dans un ciel qui rosit ? Imaginez maintenant un silure nageant, non pas dans le ciel arizonien, mais dans l'hiver russe.



L'auteur construit un univers très original, estompant les limites entre réalité et imaginaire, rationalité et fantaisie, rêverie et surréalisme. Ce roman est donc très particulier, étrange, entre fantastique et conte philosophique, mais il se dégage du texte une indéniable poésie qui m'a complètement envoûtée.



*

Ilyassov le Tatare est un vieux homme solitaire et taciturne qui vend du poisson dans un magasin. Peu apprécié de ses collègues de travail, sans famille, il se prend d'affection pour un silure découvert, un jour, parmi un arrivage de carpes. Il l'installe dans un aquarium sous son comptoir, en prend soin, le nourrissant, le caressant, jusqu'au jour où il le retrouve agonisant.

C'en est trop pour le vieil homme déjà traumatisé par un passé douloureux. Il décide alors de se suicider, en se noyant dans une carrière près de chez lui. Mais, en s'enfonçant lentement dans l'eau gelée, Ilya se transforme en silure.



« Il se sentait parfaitement bien. Son corps se détendit, il s'abîmait dans la contemplation du monde qui vibrionnait autour de lui, il vibrionnait lui-même, éprouvant de tous ses organes, de toutes ses cellules, un bonheur sans précédent, et pour toutes ces raisons, pour cet élan d'enthousiasme inouï, il fit résolument un dernier pas vers les profondeurs insondables, plongea et se transforma en poisson… »



Ce n'est bien sûr que le tout début de l'histoire, car il va arriver de nombreuses infortunes au vieil homme qui garde toute sa conscience humaine.



En parallèle, l'inspecteur Sinitchkine se voit confier l'enquête sur la disparition du vieux Tatare que policiers et voisins supposent mort, malgré l'absence de cadavre. Comme vous l'avez sans doute déjà deviné, le récit est peu conventionnel, déroutant même, car le capitaine de police va lui aussi subir d'étranges métamorphoses .



« Et Sinitchkine préféra s'endormir. Ainsi font les enfants quand se produit quelque chose de terrible et d'incompréhensible. Ils se cachent dans le rêve… »



L'auteur nous entraine dans un récit abracadabrant où les situations les plus cocasses se mélangent à des scènes d'une grande poésie ou d'une extrême violence.

Ce mélange entre réalité et fantastique, plein d'humour, de dérision, de poésie et de barbarie n'est pas gratuit. Car l'auteur prend le contre-pied de la fantaisie, de l'imaginaire pour dénoncer le régime politique russe et les dures réalités de la vie dans son pays : disparités sociales et de niveau de vie, pauvreté, pénuries de produits alimentaires, alcoolisme, violences conjugales, mortalité infantile, dépressions, suicides, disparitions, ...



« Tout aurait été si bien, si tout n'avait pas été aussi mauvais. »



*

Avec en toile de fond la société russe et ses dérives, Dmitri Lipskerov aborde également de nombreux autres thèmes : les souvenirs et le temps qui passe, la solitude et l'indifférence, les désirs et les désillusions, les discriminations et l'intolérance, l'amour et le deuil, les croyances et l'au-delà.



« S'il n'y avait pas la mort, on pourrait souffrir indéfiniment… »



Mais, s'il y a beaucoup de noirceur dans ce récit, il laisse aussi entrevoir des petits éclats de lumière dans cet hiver maculé de glace. Peut-être est-ce un rêve, ou un cauchemar qui prend la forme de la belle Aïza dont le destin, bien cruel, semble vouloir s'acharner ?



*

J'ai trouvé l'écriture de Dmitri Lipskerov particulièrement belle, poétique, avec une vraie volonté de se démarquer.

Délicate et subtile, elle emporte le lecteur dans un monde surnaturel très immersif. La légèreté et la tendresse dissimulent cependant des sentiments plus sombres. Tout le talent de l'auteur lui permet de colorer habilement son texte de nombreuses nuances, entrelaçant la tristesse, la mélancolie, la douleur ou la cruauté.

La structure du récit s'équilibre ainsi merveilleusement, le ton de l'auteur toujours juste, à la fois acéré et doux, caustique et mélancolique, absurde et touchant.



J'ai une attirance pour les romans teintés de réalisme magique. "Le dernier rêve de la raison" ne fait pas exception. Unique et déroutant, d'une beauté singulière, d'une noirceur abyssale, il a été une magnifique découverte en ce qui me concerne.



*

Pour conclure, Dmitri Lipskerov signe un roman original, très agréable à lire.

Le ton souvent décalé, empli d'un humour cynique et noir s'amuse de scènes surréalistes où l'homme se métamorphose, et pas seulement en poisson. Mais l'absurdité tragique des situations, la beauté du texte, sa poésie et sa douceur, prennent aussi un sens plus profond par ses différents niveaux de compréhension.



Ce beau roman atypique ne plaira sans aucun doute pas à tous les lecteurs, mais il ne vous laissera en aucun cas indifférent.

Si vous avez envie d'un roman surprenant, intelligent, subtil, n'hésitez pas, ce roman sera peut-être une très belle surprise.



"On croit que je compte les poissons. Non. Je scrute leur âme, je lis leurs rêves, et ils envahissent les miens. Les gens pensent que c'est con un poisson. C'est faux. Ils savent se taire. C'est les gens qui sont cons. le poisson qui sait tout n'a pas besoin de penser."

Arizona dream



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Merci Bernard pour ce choix judicieux. C'est pour moi un beau coup de coeur. Je vais maintenant passer la main à un autre lecteur en espérant avoir la main aussi heureuse.

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Léonid doit mourir

Chaudement recommandé par Sachka - que son absence sur Babelio me pèse… - je me suis laissé entraîner de suite dans ce récit



Dmitri Lipskerov a une imagination débordante et sans limites : ses personnages sont inoubliables, qu'il s'agisse de Léonid que nous suivons depuis qu'il est embryon, nous le voyons réfléchir, s'adresser à sa mère depuis le ventre de celle-ci, assister à sa mort en couches, comprendre Einstein, être capable de voler, et j'en passe tant il est véritablement hors normes.

Mais il y a également Angelina Lébiéda, sniper de 82 ans, multi décorée par l'Etat soviétique, qui ressent un frisson annonciateur de la mort prochaine de ses amants.

Il y a enfin, comme dans tout roman russe qui se respecte, une foule de personnages hors du commun, la mère de Léonid, au

« corps proche de la perfection,

une silhouette en sablier « , Mikhaïl Valérianovitch Outiakine, docteur menant des recherches sur le vieillissement, Romka le Roux, surnommé « le Cinglé », Macha, la petite orpheline dont s'éprend Léonid, …

la liste des principaux personnages est, comme à l'accoutumée, reprise en début du volume.



Les rebondissements sont nombreux, le situations imprévisibles, Léonid ayant par exemple, la faculté de se venger de quelqu'un en lâchant une centaine de fourmis rouges dans son oreille ; ou encore ce lézard vivant aux dons surprenants, serti dans une chevalière.



Tout cela est débridé et déjanté à souhait et m'a emporté.



Mais sous ce burlesque, la charge contre le régime, qu'il soit soviétique ou post-soviétique (le roman courant des années 1960 à 2048…) est féroce : le viol, la vie des enfants en orphelinat, le climat de méfiance régnant entre tous les Russes, les surveillances, les dénonciations, les fusillés.

« - Qu'est-ce que j'avais fait pour qu'on me mette sous surveillance ?

- Ben ça, justement, on vous l'a pardonné répondit le général, semant dans l'esprit du psychiatre une angoisse lancinante qui allait le miner jusqu'à la fin de sa vie. Que lui avait-on pardonné ? »



Les 436 pages se dévorent sans peine, cette lecture m'a ravi.
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L'Outil et les papillons

Ce que j’ai ressenti:



*Un seul outil vous manque…Et tout est dépeuplé.



Car à y perdre cette partie là de l’anatomie masculine, Arseni Andreiévitch ne pensait pas qu’il vivrait un tel drame! Mais le pire, c’est que ce manque parait épidémique… Imaginez un peu, un avenir sans testostérone et voyez, l’envol des perspectives…



Mais si en plus, les gnomes s’invitent et prennent la place dans les branle-bas des rendez-vous amoureux, que les diamants reluisent dans les ombres et que la guimauve n’adoucit plus les mœurs, il va en rester quoi de notre monde? Dmitri Lipskerov joue les tailleurs d’anatomie et fait danser les papillons, dans une histoire sucrée/salée aux allures de science-fiction.



"-À quelque chose malheur est bon."



*Une fable délicieuse…



Cette lecture est une friandise, tant par son originalité détonante, que par son absurdité délicieuse. Elle se fait poésie, et parfois délicatesse, comme une aile de papillon posée sur une peau. Et pourtant, c’est bel et bien une fantaisie presque démoniaque qui vient s’inviter dans ces pages! Cette petite pointe de provocation envers cette absence incongrue de sexe masculin, vient gratter quelque peu les clichés de notre société, et la féminité de fleurir avec panache. J’ai trouvé que l’auteur avait une perspicacité bien sentie et une plume rafraîchissante. Derrière un humour complètement décalé, il nous donne à réfléchir sous couvert de fantaisie, sur les modes de vies, l’histoire et les influences de la Russie.



"Nous venons dans ce monde pour devenir meilleurs."



*Un petit OLNI follement pétillant.



J’ai vraiment adoré ce mélange des genres entre contemporain, réécriture et dystopie. C’est à découvrir! Inclassable, intelligent, sensible et hilarant, c’était vraiment un chouette moment de lecture! J’avais vraiment été attirée par cette jolie couverture, et je ne regrette pas cette virée dans Moscou, grâce cette histoire déjantée. Je suis conquise. Et ce final, tout en finesse et en poésie, c’était génial…En bref, une belle découverte!



"-Je ne veux pas que tu gâches ta vie à t’occuper de ma folie!"







Ma note Plaisir de Lecture 8/10



Remerciements:

Je tiens à remercier très chaleureusement Babelio ainsi que les éditions Agullo de leur confiance et l’envoi de ce livre.
Lien : https://fairystelphique.word..
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L'Outil et les papillons

Roman orné d’un certain panache, à la bourgeoisie affamée d’égards et qui ne pardonne pas la simplicité, hypothèse que le récit s’y retrouve fâcheusement. Ou non d’ailleurs. D’un empire phallique, on ne saurait induire la dangereuse primauté d’un organe sans lequel le monde -supposément- s’écroule. Les contours d’une Russie contemporaine dans toutes ses obsessions et contradictions.



Au même titre que le dévoilement d’une cynique fresque russe, le roman est l’aubaine de l’examen d’un empire masculin. Les mécanismes d’un pouvoir phallocratique par la mue, en quelque sorte émancipée, de son membre emblématique. La fresque au vitriol d’une société faite par les plis d’une vigueur masculine. La disparition de cette appendice, énigmatique, offre l’occasion au personnage d’une introspection et permet au·à la lecteur·rice l’analyse d’une virilité d’homme flétrie, la crainte d’une impuissance.
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L'Outil et les papillons

Enfin un livre qui ne donne pas l'impression qu'on l'a déjà lu une dizaine de fois (à l'instar d'ailleurs des deux autres romans de Dmitri Lipskerov que j'ai pu lire, notamment "Le dernier rêve de la raison"). Dans "L'outil et les papillons", nous rencontrons Arséni Iratov, un homme à qui tout réussit apparemment : il a la beauté du diable, une carrière d'architecte couronnée de succès, une femme splendide et aimante, des richesses incommensurables… Et pourtant, d'entrée de jeu, un grain de sable vient de gripper la machine : il se réveille une nuit, dépourvu de son sexe. À partir de là, rien ne se passe comme on l'attendrait. D'une part, ce sexe réapparaît sous la forme d'un sosie d'Arséni Iratov ; d'autre part, des pans entiers de la narration sont pris en charge par un être étrange qui semble doté de capacités hors du commun et d'une animosité, en apparence inexplicable, à l'encontre d'Arséni Iratov. Alors, sous les yeux du lecteur médusé, la chronologie, la vraisemblance, les personnages… tout se brouille sans qu'on s'y perde jamais, pour créer une fantasmagorie qui pourrait faire songer à des hallucinations sous acide.

Dans ce tourbillon, l'imagination du lecteur trouvera de quoi étancher sa soif, avant que le cynique qui sommeille en lui n'entrevoie de réjouissants prétextes pour ricaner de ses semblables, puis qu'un découragement crépusculaire n'enveloppe enfin cet univers, une fois la dernière page tournée. Oui, ce livre est une réussite, tant par son ambition existentielle que par sa remarquable construction et un art de dérouter sans cesse les attentes du lecteur. Un immense plaisir de lecture.

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Léonid doit mourir

A la réception du livre obligeamment envoyé dans le cadre d’une Opération Masse Critique (Merci Babelio et les éditions Agullo ), j’ai été pris d’un moment d’appréhension. L’ouvrage présentait plus de 400 pages et je redoute toujours des livres d’une telle ampleur.


Mais, à mon grand soulagement, très vite j’ai été pris par ces personnages originaux, ses péripéties entrecroisées.

L’écriture bien que dense est d’une grande fluidité et la traduction excellente, à ce qu’il m’a paru.

Autant le dire sans ambages, en refermant « Léonid doit mourir », je considère Dmitri Lipskerov comme un équivalent russe en tout point aussi talentueux que son homologue Japonais Haruki Murakami. Il partage avec lui ce goût du fantastique, cette vivacité d’écriture et cette capacité à vous tenir en haleine malgré le surréalisme du récit.

On ne peut bien sûr ignorer les différentes strates de lecture d’un roman aussi charnu. Critique constante d’une société cadenassée par ses élites où le petit peuple ne cesse de souffrir alors que les plus puissants ne cessent de s’enrichir, l'ouvrage exalte aussi, à travers ses protagonistes, le génie soviétique, la force de la Russie éternelle que le communisme a rendu un temps orpheline et criminelle.

Une belle découverte de plus que je recommande à tous les amateurs de romans fantastiques mais aussi satiriques.
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Léonid doit mourir

Si vous aimez le réalisme magique assaisonné à la sauce russe, ce livre est pour vous !

Ce roman de Dmitri Lipskerov est une découverte surprenante, déroutante et magique. Dans les pas des écrivains sud-américains ou d'un Murakami, ce roman russe nous fait découvrir les orphelinats dans les années 60, la guerre patriotique, la bureaucratie, les dirigeants du Parti, les logements communautaires et les scientifiques fous.



Deux histoires se deroulent en parallèle.

D'abord celle de Leonid dont on fait la connaissance dans l'utérus de sa mère au 26ème jour de sa conception. Mêlant considerations philosophiques, opportunisme et cynisme, la vie de Leonid est racontée avec un humour grinçant et parsemée d' épisodes totalement délirants : ses relations érotiques avec une nounou de l'orphelinat, son mariage à 7 ans avec Macha en se faisant passer pour un lilliputien....



Parallelement on découvre l'histoire d'Angelina, ancienne sniper de 82 ans, qui prenait systématiquement pour amants, tous les hommes dont elle devinait la mort proche. Angelina est un phénomène, son corps est en parfait état mais sa peau a vieilli et elle doit, pour retrouver la jeunesse éternelle, suivre les prescriptions d'un médecin fou et d'un lézard doré.



Un roman drôle, inventif et noir à découvrir !!!







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Le dernier rêve de la raison

C'est avec plaisir que j'ai lu ce livre reçu dans le cadre de l'opération masses critique. C'est aussi la critique la moins aisée que j'ai eu à écrire. Le dernier rêve de la raison de Dmitri Lipskerov est indescriptible. Une sorte d'OVNI même dans le style du réalisme magique. Un homme se transforme en poisson, son ancienne petite amie morte il y a longtemps ce réincarne elle aussi en poisson et la n'est que le début. Pour autant derrière toutes les loufoqueries, il y a une histoire.

Le dernier rêve de la raison est aussi un fabuleux roman russe, on y retrouve les alcooliques, les dépressifs, les tueurs de chiens. C'est parfois violent mais toujours attachant. Un roman vivant et moderne à lire absolument si vous êtes prêt pour une grande aventure. Laissez vous porter par l'imagination de Dmitri Lipskerov.
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L'Outil et les papillons

L'Oscar de la lecture la plus foutraque de l'année est attribué à «L'outil et les papillons» de Dmitri Lipskerov !



C'est une histoire fantasque, absurde.

Arseni Iratov, la cinquantaine fringante se réveille un matin et découvre qu'il n'a plus de sexe. Plus de pénis, plus de testicules, son bas-ventre est aussi lisse que celui de sa Véra d'amour. Les attributs masculins ont disparu. Evaporation de zob ! Magique, inexplicable.

Rajoutez à cela une jeune paysanne russe qui découvre sur le chemin de l'école un gnome qui va se transformer en un jeune homme de toute beauté (gnome qui n'est ni plus ni moins que le pénis d'Iratov) et vous voilà au coeur d'une histoire franchement barrée.



Ça part dans tous les sens, des histoires s'entremêlent, les sauts entre le passé et le présent d'Iratov sont continuels et pourtant on ne lâche pas le bouquin tout en ne sachant pas où nous entraine ce délire à la Gogol.



Une farce ? sans aucun doute mais avec en toile de fond la Russie, nos sociétés hyper masculines, la politique, la paternité, la religion, le pouvoir de l'argent, la corruption et j'en passe.



Dmitri Lipskerov est un écrivain à l'imagination débridée mais avec un sens impeccable du style. Le surnaturel se mêle au poétique, au grotesque et au baroque. L'auteur s'amuse et perd son lecteur pour conclure par un dernier chapitre jubilatoire.



Traduit par Raphäelle Pache

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L'Outil et les papillons

La perte du pénis ou une interrogation, absurde et virevoltante, sur nos libidos et sur ce qui nous tient debout. Dans une manière de conte philosophique, aussi hilarant que vecteur d'une acerbe critique sociale, Dmitri Lipskerov entraîne son lecteur dans une mise en scène des possibilités du récit, de ses vertiges démoniaques. Toujours insaisissable et irréductible à une morale toute faite, L'outil et les papillons dépeint la Russie aujourd'hui mais surtout épuise le seul désir qui vaille : celui de sens.
Lien : https://viduite.wordpress.co..
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L'Outil et les papillons

J'ai découvert Dmitri Lipskerov en 2017 avec son premier ouvrage publié chez Agullo, "Le dernier rêve de la raison." Une trame rocambolesque au service d'un univers poétique et onirique déconcertant, un livre qui a durablement marqué mon expérience de lecteur.

Ce fut véritablement une révélation dans ma jeune expérience de libraire et une vraie fierté à défendre auprès de notre aimable clientèle. Les retours avaient d'ailleurs été très élogieux.



Ce deuxième opus est donc une confirmation. Comme une envie de serrer la main de Lipskerov en lui disant "chapeau mon vieux, c'est pour quand le prochain?". Pour le public français il est encore assez méconnu, en Russie c'est un des auteurs contemporains les plus appréciés, et franchement il le mérite. On pourrait aisément le comparer au Cœur de chien de Boulgakov (lu) ou au Nez de Gogol (pour bientôt). Alors oui il ne suffit pas de faire du réalisme magique pour être comparé à ces illustres auteurs (Garcia Marquez).



Mais pour le coup Lipskerov possède une touche, dans la plus grande tradition des auteurs russes, doté d'une intelligence narrative et d'une imagination foisonnante qui moi me touche profondément.

Les niveaux de lecture sont nombreux, brillants et profonds. La panoplie de personnage, la temporalité qu'il manie avec brio, le fantastique qu'il incorpore au réel comme pour mieux en montrer ses travers et sa beauté, sa façon de nous emmener dans une Russie contemporaine en pleine mutation, font de lui un auteur à découvrir assurément.
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L'Outil et les papillons

Même si on n'est pas un homme, on se figure sans mal le choc que peut causer la découverte, un beau matin, qu'on a perdu ses bijoux de famille ! C'est pourtant bel et bien ce qui arrive à Arséni Iratov, à qui jusqu'alors tout avait réussi dans la vie. Ce point de départ à la fois ironique et cruel n'est que la première fantaisie de ce roman porté par une imagination débordante, où dans un pays en mutation entre l'URSS et la Russie, on croisera aussi le sexe d'Arséni, devenu sosie de son ancien propriétaire (un hommage à peine déguisé au fameux "Nez" de Gogol), des malfrats en tous genres, une beauté tourmentée par son désir d'enfants, un drôle de coiffeur marathonien et une créture étrange dont on ne devinera l'identité qu'à la toute fin du roman.

J'ai aimé dans ce livre cette aptitude qu'a Lipskerov à faire naître des images visuellement saisissantes (qui tiennent à la fois du Bosch et du Dali), tout en développant une métaphysique crépusculaire du monde, pleine de mélancolie, qui invite le lecteur à la méditation, une fois la dernière page tournée.
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Le dernier rêve de la raison

Dès les premières pages j’ai pensé à Gogol et à son univers, et la première chose que je me suis dite, c’est que c’était un roman, et que je ne voyais pas l’auteur tenir dans la durée sur cette veine-là. Et bien si ! Les situations abracadabrantes ou rocambolesques s’enchaînent, alternant des moments oniriques, quasi poétiques et des passages macabres, sordides, mais très cocasses. L’auteur est un conteur né, et il a une imagination débordante. Il y a un petit quelque chose aussi de Salman Rushdie. Dans les passages les plus sordides, c’est une vision de la société russe dans ce qu’elle a de plus navrant : une triste banlieue avec une décharge et un trou servant de réserve de pêche, des alcooliques, des tueurs de chiens et de pigeons, des dépressifs. A côté de cela des passages débordent d’une grande tendresse. L’histoire se déroule, crédible malgré tout, toujours dans ce même univers burlesque. C’est complètement déjanté, d’un bout à l’autre. Et en même temps, cela débouche contre toute attente sur une certaine philosophie, une forme de métaphysique. Cet auteur est pour moi une grande découverte.
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Léonid doit mourir

Retour en littérature russe avec la découverte, me concernant, de l'auteur Dmitri Lipskerov à travers ce titre Léonid doit mourir. Il n'en laisse pas forcément paraître au prime abord, mais est tout bonnement un petit bijou d'excentricité et d'absurdité, d'ironie grinçante, sur fond de désillusion. Merci encore à Agullo Editions de m'avoir transmis de ce titre, publié en janvier dernier. Dmitri Lipskerov est lauréat du prix des Imaginales 2019, consacré à la littérature fantasy, et incarne selon Le Matricule des Anges "une imagination toujours débridée au service d'une satire féroce".



Un fœtus qui a la capacité d'échafauder une réflexion, s'exprimer et se fâcher contre sa mère, une mamie de 82 ans sniper qui carbure au , Lipskerov a à l'évidence choisit de prendre quelques libertés avec la réalité, et ce fut, ma foi, une idée réussie quoique loufoque. Leonid et Angelina, leur destin, très différent, vont brièvement se croiser, qui seront, mais finiront bien par se rejoindre. C'est un long fil biographique qui va amener le lecteur à comprendre l'originalité des êtres qu'ils sont et deviennent par la force des choses. Depuis la grande guerre patriotique jusqu'à nos années de ce XXIe siècle ou une partie non négligeable de la médecine est dévolue à la conservation de la jeunesse à tout-prix. Autant dire que l'on traverse une grande partie de l'empire soviétique puis de la Russie à travers les vies insensées de ces deux phénomènes.



Dmitiri Lipskerov est de ces écrivains qui a recours au grotesque, au fantastique pour se détacher d'une réalité sombre et peu joyeuse, pour en mieux dénoncer l'absurdité. J'ai pris un réel plaisir à suivre l'évolution de cet embryon pensant et virulent dès le début, limite hargneux, coincé dans le ventre de sa mère, qui deviendra Léonid : ce sera un enfant autant qu'un homme hors-du-commun. Cette absurdité, qui prête à rire, contrebalance en effet une réalité infiniment glauque, d'un enfant a priori bien mal parti dans la vie, qui va passer ses premières années à l'orphelinat du coin. Mais Léonid n'est que le reflet d'une société soviétique totalement déconnectée, ou chacun n'est plus que le membre désincarné d'une armée qui l'est autant : désormais plus capable de comprendre les besoins basiques et primordiaux des siens, même pas les pleurs d'un bébé en recherche de la chaleur maternelle. Marche ou crève : Léonid est bien heureusement doté d'une force peu commune, surhumaine, qui lui permet de traverser le semblant de vie en totale exclusion du système. Mais il faut être un Léonid pour oser affronter en toute impunité les rouages du système russe aussi bien que soviétique : lui seul survole tout, mais la chute est bien rude. Car Léonid possède cette âme de dictateur que les Russes connaissent si bien, il décide, choisit, prend, vole, sans se soucier du consentement de son prochain. À l'opposé de Léonid se pose Angelina, qui a tout pour se poser en parfait modèle soviétique, d'ailleurs elle en est recouverte de médaille, la seule reconnaissance que le pays peut bien lui décerner. Aussi vite qu'il peut lui enlever, à la moindre erreur.



Tout cela se prêterait à rire si derrière cette façade ne se cachait pas une vérité cruelle : celle de régime écrasant et destructeur, qui a laissé les orphelins pourrir dans des immeubles immondes, ou toute forme de chaleur et d'empathie humaine fait défaut. Un système qui laisse et oublie ses enfants derrière des murs, qui ne veut que des braves soldats, qui réagissent comme tel, sans sentiment, sans pitié, des machines, à tirer, à tuer, à agir - sans laisser de place à la réflexion. Mais ce n'est pas Léonid, Léonid vit hors-système, Léonid vit pour lui, en aucun cas pour l'URSS, pas pour la Russie, Léonid doit mourir. Angelina incarne ce soldat parfait, le meilleur tireur d'élite que le pays ait connu, mais Angelina vieillit et elle ne devient plus qu'une femme parmi tant d'autres.



L'auteur a choisi ainsi deux personnages extrêmes dans ce qu'ils sont, un modèle, un anti-modèle à travers une histoire abracadabrantesque qui tranche avec son fond profondément réaliste. Celui d'une république socialiste, puis d'une nation, qui contraint ses individus à rentrer et vivre dans le moule qu'elle a préfabriqué, celui du brave camarade soviétique, prêt à se sacrifier pour sa patrie. Si l'on apprend bien une chose à travers le destin de nos deux personnages, c'est quoi que vous puissiez faire pour la mère patrie Russie, la moindre erreur se paie très cher.



J'ai effectivement ri quelquefois, je crois que lire les ronchonnements d'un fœtus est une expérience tout à fait inédite pour moi. Mais aussi parce qu'on retrouve toute une galerie de personnages qui s'inscrivent dans la lignée des plus grands portraits russes, des caricatures, que l'on retrouve forcément lorsqu'on s'aventure dans un roman russe : le vieil ingénieur célibataire frustré, fier de son rang, mais qui vit en solitaire farouche. Les gradés violents et autoritaires qui n'hésitent pas à y aller de leur dénonciation, faire condamner leur collègue. Le revanchard. La matrone gradée. On retrouve dans le monde de Lipskerov un savant mélange des maux de cette Russie moderne - ou la jeunesse est devenu le rêve ultime et de cette Russie - ponctués de repères et de valeurs, qui au fond, ne valent rien dès lors qu'on sort des sentiers battus soviétiques.



On sourit plutôt que de pleurer, car derrière ces dessous grinçants se cache une violence inouïe qui a atteint les individus et qui ne s'en rendent même plus compte, dépassés comme ils le sont par la société dont les repères ne cesse d'évoluer, de changer ou les mérites d'hier sont esquissés par le temps, Lipskerov a écrit là un roman parfois déroutant - le fantastique ne facilite pas clairement le sens du roman - mais captivant, car sa plume possède ce charme, après, cocasse russe qui nous fait tant aimer la littérature russe. Et comme il le dit si bien dans une interview, tout ne peut pas être toujours rentré dans une case, et c'est bien pour cela que j'ai apprécié Angela et Leonid.
Lien : https://tempsdelectureblog.w..
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L'Outil et les papillons

Russie - Voilà un livre qui sort des sentiers battus. L'auteur m'a désarçonnée plusieurs fois ...



Le début déjà : un homme, la cinquantaine, se rend compte un matin que son sexe a disparu . J'ai beaucoup aimé cette première partie qui analyse précisément les réactions d'Arseni Andreiévitch Iratov, celle de son médecin, celles de sa compagne (qui se découvre soudain un désir d'enfant...) ;  j'ai cru entrevoir par moment Romain Gary et "Au delà de cette limite votre ticket n'est plus valable" ...



A la fin de cette première partie, je me demandais bien comment l'auteur allait tenir 512 pages sur le sujet ou plutôt l'absence du sujet.

L'auteur change alors de registre et nous suivons une jeune fille 14 ans qui rencontre un homoncule (qu'elle appelle stroumpf, j'ai beaucoup ri lors de cette partie)

Puis retour auprès d'Arseni Andreiévitch Iratov (qui n'a toujours pas retrouvé son sexe), c'est l'occasion pour l'auteur de raconter sa vie : de petit garçon, d'étudiant en quête de vocation, de jeune trafiquant de devises (nous sommes dans les années 70 à ce moment là) puis de séjour (assez court) aux Usa. Il n'y a aucune date dans ce livre et je n'ai pas toutes les connaissances historiques pour connaître les dates de « règne » des différents dirigeants cités : Khrouchtchev, Gorbatchev, Eltsine (le dirigeant présent au moment de l'histoire, donc je dirais que l'histoire prinicapele se situe juste avant les années 2000).



En parallèle, nous suivons aussi un homme, qui est le seul narrateur de l'histoire, il semble épier Iratov (un maître chanteur ? le diable ?, un espion du KGB ? ) ; j'ai cru entrevoir par moment Léo Perutz ...



Nous avons aussi via son intermédiaire des informations sur les enfants (3) tous illégitimes d'Arseni Andreiévitch Iratov, qui finissent de définir le portrait de cet architecte à la fois malhonnête et attachant.



Vous trouverez peut-être que mon avis part un peu dans tous les sens ! Et bien oui, j'ai souvent eu l'impression que l'auteur partait lui même dans tous les sens (mais à la fin je me suis dit : c'est très construit tout cela finalement avec des situations réelles, du fantastique, de l'ironie, une moquerie des systèmes politiques de tous bords, de la religion...et un bon brin de misogynie aussi, et peut être un peu de misanthropie itou )



En conclusion : Un livre foisonnant, très dense que je relirai bien pour essayer de creuser ce que j'ai manqué...
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Le dernier rêve de la raison

Étant dans le métier depuis peu, je peux dire avec joie que chaque jour est une chance (#FDJ). 1 an et demi d'apprentissage à tout casser et me voilà depuis un certain temps déjà en contact avec des éditeurs indépendants.

Oui car qu'on se le dise ce métier là est magnifique, pas simplement car nous entretenons une liaison quotidienne avec notre passion, mais surtout car il nous permet de découvrir de vastes champs éditoriaux inconnus jusque là.

Cette profusion de possibilités m’apparaît comme étant la force majeure de ce métier, mettre en avant ce que les autres laissent passer, noyés que nous sommes sous le flot perpétuel de la production littéraire. Alors à quel saint se vouer me direz-vous? Je considère comme nécessaire de toujours rester curieux afin de découvrir toujours plus de maisons d'éditions qui méritent une reconnaissance plus grande, vu que les grandes ont déjà tout, si à mon modeste niveau je peux aider à leurs promotions, alors bingo.



Et justement Agullo fait partie de ces éditeurs là. J'adhère à la ligne éditoriale, à cette prise de risque de publier des textes différents, qui aiguise la curiosité avec style, finesse et humour. Autant d’ingrédients qui donnent simplement envie de se plonger dans ces ouvrages à la charte graphique de très grande qualité. L'installation de la peur de Rui Zink fut une grosse claque, le magnifique et dystopique Espace lointain en 2017, et voici donc Le dernier Rêve de la raison. Dmitri Lipskerov? Never heard about him. Peu importe ! Je m'y suis plongé sans hésiter, comme une course de dératé dans la mer le premier jour des vacances.



Et bien je dois dire que ce fut un grand moment de lecture. C'est typiquement le genre de roman qui me passionne. Inventif, briseur de codes, onirique, qui tient presque du conte. C'est malin, philosophique aussi, profondément encré dans le réel des petites gens. Du réalisme-magique pur jus, un voyage entre réalité qui tient du thriller et un imaginaire quasi fantastique. Très vite un enthousiasme assez jouissif s'empare de nous une fois que l'on a compris que l'auteur peut nous emmener n'importe où. Il suffit alors de mettre son mental de côté, et de se dire : "Ok ! Je te suis, mon vieux !". Pas besoin de faire de résumé, de toute façon vous ne me croiriez pas si je vous le disais !



"Ah, mais il est inutile de chercher la gloire à mon sujet, dit le petit Sémion. La gloire c'est un éclat de samovar sous les rayons du crépuscule. C'est infécond et cela détruit l'organisme de fond en comble. La modestie, voilà ce qui fonde une âme, tout en polissant les facettes"
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Le dernier rêve de la raison

Un vieux Tatare, Ilya Ilyassov, vendeur de poisson dans un magasin d'alimentation se transforme un jour en silure.



Un capitaine de police, Volodia Sinitchkine, est affublé de deux grosses cuisses qui se frottent et s'échauffent, puis de manière incompréhensible se mettent à enfler jusqu'à atteindre des circonférences inédites.



Tous deux habitent ou travaillent dans une zone d'habitation pauvre dans laquelle un grand trou rempli d'eau sert de zone de pêche à deux amis, Mitrokhine dont la fille adolescente est très délurée et un peu droguée et Mykine, qui aiment boire, pêcher et se taper dessus. Au dessus de ce lac, des nuées de corbeaux attaquent tout ce qui ressemble à de la viande, animaux et hommes et fientent sur leurs agresseurs en guise de représailles.



Voilà un résumé qui peut paraître foutraque, barré et encore, je reste volontairement sobre. Sobre, je ne sais pas si Dmitri Lipskerov l'est mais quelle imagination, quel délire. Lorsque l'on croit qu'il a atteint des sommets dans l'art de raconter des folies pures, il en rajoute encore une couche. Ce roman est surréaliste, surnaturel, onirique, grotesque, magique, je n'en ai pas vu passer les presque cinq cents pages !



C'est une pure folie qui se déguste et se dévore. J'ai pu y trouver un discours sur la tolérance, la différence, sur la mort, l'amour, la croyance en un au-delà ou pas et une certaine philosophie zen enseignée par un homme-arbre... Ce roman se lit a plusieurs niveaux, soit comme une simple farce -on passerait quand même à côté d'une grande partie-, soit comme un roman à messages -et on perd également l'autre grande partie- soit comme je l'ai fait, comme un mélange habile des deux.



Dmitri Lipskerov, je le disais plus haut, est habile, il construit son roman avec différents narrateurs qui s'expriment par chapitres, un coup le capitaine de police, un coup le poissonnier devenu poisson, puis d'autres intervenants au fur et à mesure que l'histoire avance. Evidemment, tout se recoupe, et même si les liens sont faciles à faire, à chaque fois, le romancier surprend ses lecteurs par des inventions, des folies inimaginables pour tout esprit sain, pas celui de l'auteur...



C'est un roman fou comme rarement j'en ai lu, d'une folie douce et parfois plus violente qui exacerbe les passions humaines, les pulsions mais aussi les bons sentiments. J'ai peur que mon article soit pâlot, je l'écris juste après ma lecture, et qu'il ne transmette que peu la joie et l'enthousiasme avec lequel j'ai dévoré ce livre. Laissez vous tenter par ce coup de cœur, laissez-vous embarquer dans ces histoires fantasques, magiques, cocasses, tragiques, comiques, grotesques, totalement barrées -j'accumule les adjectifs, parce qu'un seul est trop réducteur et j'ai même l'impression que ma liste est trop légère, en-dessous de la réalité, c'est dire le pied que j'ai pris et que vous allez prendre...



Diable, c'est une tuerie ce bouquin !
Lien : http://www.lyvres.fr/
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Le dernier rêve de la raison

Un roman dans la veine du réalisme merveilleux dans lequel l'humour, la drôlerie de certaines situations et la galerie de personnages loufoques, ne suffit pas à masquer la noirceur du propos. Le romancier y met en évidence une société en proie à bien des difficultés, où bien et mal ne se distinguent plus toujours. Une folle sarabande pleine d'imagination qui se transforme bientôt en danse macabre.
Lien : https://appuyezsurlatouchele..
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