Don Winslow

Une odeur âcre transperce l’air frais et vif.
De l’essence.
Danny entend ces mots :
— Tu vas les regarder brûler vifs. Et après ce sera ton tour.
Voilà donc comment je vais mourir, pense-t-il.
Le rêve s’efface.
La longue nuit est terminée.
Le jour se lève.

Il fait froid dans le désert à l’aube, et Danny grelotte, agenouillé dans le sable, malgré l’apparition du soleil, la lune n’étant plus qu’un souvenir évanescent. Un rêve. La vie n’est peut-être que ça, se dit-il : un rêve.
Ou un cauchemar.
Car même dans les rêves on paye le prix de ses péchés.

Il est à genoux, un flingue collé sur la tempe. Les autres sont pieds et poings liés, attachés à des poteaux, et lui jettent des regards suppliants, terrifiés.

On est venus pour le fric, pas pour provoquer un massacre, s’est dit Danny. Des dizaines de millions de dollars en cash, pour commencer de nouvelles vies, au lieu de reprendre les anciennes.
Les tueries devaient cesser.
Alors, il a pris le fric et leur a laissé la vie sauve.
Maintenant, il comprend que c’était une erreur.

Popeye Abbarca avait la triste réputation d’abattre non seulement ceux qui l’arnaquaient, mais aussi toute leur famille. L’homme de confiance de Popeye l’a même dit à Danny. Couché par terre, il a levé la tête et lâché, en souriant :
— Vous et toutes vos familles. Muerte. À petit feu.

Il faut prendre leur fric et leur vie.
Mais ce n’est pas dans la nature de Danny Ryan.
Cela a toujours été son problème : il croit en Dieu. Au paradis, à l’enfer et à toutes ces joyeuses conneries. Certes, il a liquidé quelques types, mais c’était toujours dans des situations où il devait sauver sa peau.
Ce braquage n’entrait pas dans cette catégorie. Ces types étaient tous allongés par terre, ligotés par des colliers de serrage, impuissants, et ses gars voulaient leur tirer une balle dans la tête.
Dans le style exécution, comme ils disaient.
— Eux, ils ne se priveraient pas, lui a dit Kevin Coombs.
Pas faux, a songé Danny.

Danny aurait dû les tuer. Tous.
Il le sait maintenant.
Il aurait dû le savoir sur le coup : quand vous piquez quarante millions en liquide à des gens, arme au poing, il faut les tuer pour les empêcher de se venger.
Il faut prendre leur fric et leur vie.
Mais ce n’est pas dans la nature de Danny Ryan.

La seule chose qui pourrait ajouter de l’intérêt au golf, c’est des snipers. Comme ça, ces types ne porteraient plus de tenues grotesques et ça accélèrerait la vitesse du jeu.

L’espoir ne meurt pas d’un seul coup, comme une branche qui se casse sous le poids de la neige.
Il se flétrit comme une plante qui meurt de mort lente et sale sous la sécheresse.
Il meurt déshydraté au terme d’une longue journée de recherches vaines – pas de petite fille, pas de vêtements, et encore moins de petit cheval.
Il meurt à la vingt-quatrième heure qui sonne comme autant de coups de marteau dans la poitrine.
Il meurt pendant qu’on regarde Cheryl Hansen lancer ce fameux « appel » qu’on n’aurait jamais voulu voir. Pendant qu’on la voit, campée derrière la rangée de micros et devant un agrandissement d’une photo de son enfant disparue, supplier un sociopathe de la « relâcher saine et sauve. »
Il s’éteint au fil des jours suivants – après qu’on a suivi la plus petite piste, cuisiné le moindre délinquant, interrogé et réinterrogé tout le quartier en vain.
C’est ce que j’ai fait.

Willie et moi sortîmes sous la véranda.
- Elle a un casier, dis-je.
Dont je lui donnai les détails.
- Elle me l’a dit.
Evidemment. Les gens disent tout à Willie.
- Elle t’a dit que le CPS était venu trois fois ?
- Oui.
- C’est une alcoolique ?
Parce que si elle avait bu dans l’après-midi, était tombée ivre morte ou tout comme, nous pouvions tirer un trait sur la chronologie des faits. Hailey avait peut-être disparu depuis des heures, Cheryl s’en rendant compte seulement quand elle avait repris ses esprits.
- C’est une alcoolique en rémission, souligna Willie. Elle va aux réunions, n’a pas touché à une goutte d’alcool depuis trois ans.

Conduite en état d’ivresse.
Troubles sur la voie publique.
Le CPS s’était déplacé trois fois à son ancienne adresse.
Je notai le nom du policier qui avait procédé à la verbalisation ainsi que ceux des agents sociaux du CPS s’étant présenté à son domicile et demandai que me soient transmis leurs rapports. S’ils étaient sous scellés, je devrais obtenir l’agrément du juge pour les consulter.
Puis je regagnai l’intérieur de la maison.
Willie, assise sur le canapé, tenait Cheryl par les épaules.
Cheryl braqua sur moi un regard plein d’espoir.
- Toujours rien, dis-je. Vous sentez-vous la force de rester seule quelques minutes ? Je voudrais parler au sergent Shaw.
- Ça ira.

La vérité, c'est que nous sommes finis.

- J'aime bien cet endroit, confie Mullen. J'aime y venir pour me promener et réfléchir. Ça me permet d'oublier toute cette merde. Je ne suis pas sûr d'aimer le monde moderne, Art.
- Moi non plus. Mais il n'y en a pas d'autre.

Si vous voulez construire une nouvelle vie, une vie propre, vous ne pouvez pas la bâtir sur le péché. 

Nicolas Hel regarda la feuille d’érable tomber de la branche, flotter dans la légère brise, puis se poser doucement sur le sol.

Il regarda par la fenêtre et vit la pluie battante arracher une feuille à une branche. La feuille flotta jusqu’au sol, scintillante, dorée et verte dans la pluie. Satori.

Le restaurant au bord de la piscine sent le chlore et la crème solaire. Le Berverly Hilton symbolise le Hollywood d’antan, il n’est plus à la page depuis au moins vingt ans, mais Bobby ne peut pas le savoir. On y trouve essentiellement d’anciennes vedettes de la télé dont la date de péremption se rapproche à la vitesse de trains lancés à toute allure, de vieux acteurs espérant dégoter un rôle de grand-père ou de vieil oncle dingo, et des divas sur le retour dont les cicatrices laissées par les liftings sont plus fraîches que leur teint.

Los Angeles, en comparaison de Las Vegas, ressemble à une communauté d’amish.

p.232.
- Je travaille tellement, soupire-t-il.
Johnny ne marche pas dans la combine. Bon sang, son épouse et lui-même exercent une profession à plein temps, ils ont des gosses, et ils ne se font pas porter de cornes ! On trouve toujours du temps pour faire ce qui vous paraît essentiel. Et c'est même la façon la plus simple d'apprendre ce qui compte réellement pour quelqu'un : il suffit de voir à quoi il passe son temps.

p.139.
Comme tout bon sociopathe, Eddie ne s'intéresse qu'à Eddie.