J'avoue m'être aventuré dans ce bouquin avec quelques a-prioris. A l'origine, il s'agissait d'une fan-fiction dans l'univers de Twilight. D'emblée, ça ne sentait pas bon. Partir du degré zéro de la littérature condamnait l'entreprise (pas le vaisseau de Star Trek) à ne pas voler bien haut.
Twilight, pour te résumer, c'est Roméo “Vampire” Montaigu qui se frite avec Julien “Loup-garou” Capulet pour les yeux mornes d'une Stella qui porte bien son nom (le vide dans sa tête est égal à la distance entre deux étoiles).
Long, ennuyeux, verbeux, creux, sans style, aussi vide de sens que bourré de poncifs, l'interminable pensum a réussi l'exploit de transformer le mythique vampire en figure nanarde irrécupérable.
Une base solide, donc. Au passage, je cherche encore le rapport entre vampire, loup-garou et SM… L'auteur a dû se faire la même remarque, puisque son récit deviendra une histoire à part sans lien avec le pire de Meyer.
Des nuances, on t'en annonce un pacson en titre. Chou blanc, j'en ai compté zéro.
Prenons les protagonistes. Ça va aller vite, sorti de Christian Grey et Anastasia Steele, il n'y a plus personne, juste une poignée de silhouettes Ikea pour meubler vaguement le décor.
Le Christian, il n'est pas mignon mais beau comme un dieu. Niveau situation, il se situe au-delà de la richesse. Pas comme un maître zen, non, Grey ferait passer Bill Gates pour un miséreux. du pognon tout le tour du ventre, des bagnoles, du fric, un hélico, du blé, un appart' plus chicos que Versailles, de l'oseille, une boîte à côté de laquelle Danone fait figure d'épicerie de village… le type est bien sûr paré de toutes les qualités… enfin, d'après ce qu'en dit l'auteur, parce que pour ma part je lui ai trouvé un QI de bulot, le charisme d'un poulpe et un comportement de trouduc. Pour couronner le tout, ce personnage en finesse et nuances, il est “mystérieux”… Tadadada !… Alors je t'explique, Batman est mystérieux, Zorro pareil, Albator aussi, rapport à leur comportement, leur face cachée, leur histoire, ce qu'on en sait, ce qu'on ignore, ce qu'on imagine. le gars Christian, lui, tient de la meule de gruyère. le “mystère” tient de la facilité d'écriture pour camoufler les trous dans son background et sa psychologie. du flou pour donner une illusion de volume à un personnage épais comme une feuille à rouler. Sauf que cette astuce du pauvre ne fonctionne pas. Grey vain, sa place est dans un musée…
Quant à Anastasia, Ana pour l'intime, c'est pire. On la croirait sortie d'un vieux roman, du temps où les femmes étaient représentées comme d'aimables potiches. QI d'huître (qui se ressemble s'assemble…), divisé par huit : par deux parce que Christian est beau, re par deux parce qu'il est riche, et encore par deux parce qu'il connaît les choses de la vie. Image de la femme qui en ressort : une forme de vie bébête et vénale sensible uniquement à la surface des choses. Eblouie par la beauté, la munificence et le cerveau (sic) de son cher maître masculin. Ben bravo… vive l'archaïsme…
Comme dit le célèbre mème, “50 Nuances de Grey est seulement romantique parce que le gars est un milliardaire. S'il vivait dans une caravane, ce serait un épisode d'Esprits Criminels.” le pire, c'est que c'est tout à fait ça, le roman résumé en une phrase.
Cadre luxueux, paillettes plein les yeux pour aveugler le lectorat, mais quand tu retires ce camouflage clinquant, il ne reste qu'un récit malsain : l'histoire d'une nana jeune, qui manque de confiance en elle et tombe sur un pervers narcissique, un manipulateur assoiffé de toute-puissance sur sa conquête.
Ce récit n'a RIEN d'une romance.
Le reste idem. L'auteur passe à côté du sujet et n'a visiblement rien compris aux rapports de domination-soumission dans le cadre du BDSM. Ses adeptes te le diront, le maître mot est confiance. Ici, je n'ai lu que de la peur chez Ana et, du côté de Grey, égoïsme et ivresse du pouvoir absolu. Or le SM n'a rien d'absolu, il ne peut fonctionner que si les partenaires sont en adéquation, ce qui implique une écoute de l'autre.
Pour le coup, Grey est sourd comme un pot de chambre, la cervelle farcie du même contenu.
Autre différence majeure, dans le SM, il y a un bouton “arrêt d'urgence” (c'est une métaphore, hein, ne cherche pas de gros poussoir rouge carmin sur la croix de saint André où on vient de t'attacher). Nada dans Cinquante nuances, Ana est prisonnière de sa relation avec Christian, qui fait tout ce qu'il faut pour tisser sa toile autour d'elle. Shelob en serait jalouse.
Raconter l'histoire d'une femme enfermée dans une relation toxique, le sujet n'est pas mauvais en soi et peut donner un bon roman, écho d'une triste réalité. le problème vient du fait qu'ici ce rapport soit vendu comme bel et bon, glamour et romantique.
Le summum de l'histoire d'amour, ce serait ça : accourir comme un toutou dès que le maître agite son bâton.
Beaucoup se plaignent de la pornographie qui renvoie une image dégradante des femmes, du sexe ou des plombiers, mais Cinquante nuances est pire à mon sens. le porno se veut hardcore, c'est admis, et vendu comme tel sans malice. 50 trucs de machin, lui, essaie de se faire passer pour “respectable”, “coquin”, “sulfureux”. Un gentil récit un peu osé avec du strass et du cuir autour. L'auteur a le culot de vendre sa soupe comme une histoire d'amour ! C'est tout le contraire d'une romance : une glorification de la violence conjugale et de la soumission à une sexualité machiste. Un type égoïste qui tient une femme sous sa coupe et lui fait subir ses quatre volontés même quand elle n'est pas super emballée, je n'appelle pas ça autrement.
(Je reviens, je vais vomir…)
La thématique se taillant la part du lion, je me montrerai plus bref sur les qualités littéraires. C'est simple, il n'y en a aucune.
Rien qui ne soit prévisible dans cette rédaction poussive niveau collège. le style pourrait n'être que plat, il pousse le vice jusqu'au ridicule. Comme dirait de Funès dans La Grande Vadrouille, “ce n'était pas mauvais, c'était très mauvais”.
Personnages inconsistants, excessifs dans leurs réactions, une Ana pénible à s'étaler sur tout et rien, un Christian nauséabond sur lequel tu as envie de tirer la chasse… N'en jetez plus, la cuvette déborde ! le binôme ressemble moins à un couple qu'à une allégorie de la gastro.
Quant à l'érotisme, peau de balle, le fiasco, la panne, rien qui t'arracherait une demi-molle ou trois gouttes de cyprine.
Si tu veux du sadisme, lis Sade. du masochisme, lis Sacher-Masoch. Pour le sado-masochisme… alterne une page de l'un, une page de l'autre.
Pour celles et ceux qui souhaiteraient quand même s'aventurer dans cette fange, mettez des bottes (les trucs verts tout moches en caoutchouc, pas des cuissardes sexy).
Lisez avec du recul. Vraiment.
Et méfiez-vous des Christian Grey.
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